lundi 29 juillet 2019

LA BANANE


LA BANANE



Version française – LA BANANE – Marco Valdo M.I. – 2019
à partir de la traduction italienne LA BANANA de Krzysiek Wrona
d’une chanson polonaise (inédite) – Banan – Jacek Kleyff2018
Paroles et musique : Jacek Kleyff
Jacek Kleyff :
guitare et métronome, enregistrement sur dictaphone.
Texte transcrit à l’oreille par YT.














Dialogue Maïeutique


Qu’est-ce que c’est encore, Marco Valdo M.I., que cette histoire de banane ? D’abord, d’où vient-elle ? Puisque c’est une version française, elle vient forcément d’ailleurs. Est-elle africaine, sud-américaine, antillaise comme sont les bananes ? Vient-elle du Pérou ou de la Martinique ? Ou d’ailleurs, mais nécessairement, d’un pays où poussent les bananes qui sont des pays chauds, très chauds pour ce que j’en sais, car sur les rivages que j’ai fréquentés par ici, il n’y en avait pas, sauf à titre de curiosité.


En effet, Lucien l’âne mon ami, la banane est un fruit résolument exotique ; mais, il y a aussi une excellente raison d’en faire une version française, car si la banane est née en Afrique, la chanson est absolument polonaise. C’est ce qui lui donne toute son originalité.


Une chanson sur la banane polonaise ? Tu m’en diras tant, Marco Valdo M .I. mon ami. J’ai beaucoup de mal à le concevoir ; j’avais le souvenir que la Pologne était plutôt la patrie des pommes.


Arrête, Lucien l’âne mon ami, ne t’emballe pas, je vais tout t’expliquer. D’abord, laissons de côté la banane et parlons de la chanson. Je voudrais dire un mot à propos de la chanson polonaise et de celui – Krzysiek Wrona – qui fait ce travail de nous les faire connaître en langue originale et de les traduire en italien, ce qui me donne la possibilité d’en présenter des versions en langue française. Tout ce truchement, même s’il est lent, est bénéfique. Je trouve fascinant de pouvoir ainsi découvrir ces territoires inconnus et jusque-là, inaccessibles.


Oui, dit Lucien l’âne, c’est fantastique et je ne peux qu’abonder dans ton sens ; on connaîtra ainsi tous ces pays dont nous parlent toutes ces chansons. Mais si tu veux bien revenir à la banane. Je me souviens d’ailleurs qu’il n’a pas toujours été facile d’en avoir des bananes ; des fois même, il n’y en avait pas, même en Amérique où tout est pléthorique, comme le disait une chanson de 1923 « Yes! We Have No Bananas » (Frank Silver et Irving Cohn), qu’il faudrait regarder de plus près, car elle a toute une histoire elle aussi.


Sans doute, reprend Marco Valdo M.I., mais pour ce qui est de la banane polonaise, je veux dire la chanson « Banan », elle aurait pu s’intituler : La véridique histoire d’une banane, car, elle suit exactement cet itinéraire biographique depuis la cueillette jusqu’à l’étal du commerçant quelque part en Pologne. Elle retrace ce parcours et elle fait surgir certains paradoxes et dénonce certaines iniquités que je te laisse découvrir. Tout comme la guerre de la banane où les enjeux sont terribles. La banane est au cœur d’un affrontement international qui est un aspect de cette Guerre de cent Mille Ans que les puissants et les riches font aux faibles pour accroître leur emprise, multiplier leurs profits, écraser toute concurrence, éteindre toute conscience et liquider toute résistance à leurs lubies. La seule remarque à faire à ce sujet, c’est que la la banane que l’on trouve dans les commerces ne vient pas principalement d’Afrique, mais des exploitations vivrières des compagnies américaines d’Amérique latine, où les conditions de travail sont épouvantables.


Oh, je sais, dit Lucien l’âne, ces histoires de bananes sont fort complexes et la guerre de la banane est intercontinentale ; de toute façon, nous les ânes, on ne mange pas de bananes. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde incohérent, complexe, exploiteur et cacochyme


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane









La banane croît, croît, croît
Dans un village du Libéria.
Elle est encore verte ;
Tout le village la surveille.
On la met dans la caisse,
Le vélo tient à peine,
Car les accessoires coûtent.


La banane voyage, voyage
Sur le vélocipède.
Le négociant va
Pour les achats
Dans la brousse du Libéria
Tant que le vélo roule.
Il transporte ses deux caisses.


À présent la banane dans sa caisse
Grimpe sur le porte-bagage
D’une vieille Willys
Ou d’une Peugeot,
Restes des guerres et des embrouilles
Où les Yankees et les mangeurs de grenouilles
Ont fait du sale boulot.




La banane dans sa caisse
Est déjà moins verte ;
Avec son chargement de quarante caisses,
La voiture avance à peine
Et l’habile colonisateur
Fait tourner le moteur
Au pétrole d’Arabie ou de Perse.


Dans le port, la banane passe
De la voiture au conteneur ;
Des gens la chargent
Qui voulaient vivre au paradis,
Mais pour eux, c’est râpé :
Ce marché est contrôlé
Par quatre compagnies.


Ah, comme elle est douce la chair de la banane ;
En bouche, elle se mue en moelleuse mousse.
Je la veux tout de suite.
Elle a été cueillie par le singe
Noir comme l’asphalte
Qui l’a transportée sur son vélo.
Je m’empiffrerai dans mon studio.


Le ramassage des , maintenant,
C’est l’affaire des enfants.
Ils mettent dans un sac ce qu’ils trouvent,
De temps en temps, ils mangent un morceau.
Affamés, ils n’ont pas la force
De leur père qui les surveille,
Ployant sous la caisse qui pèse sur son dos.


Le quai nettoyé,
Les câbles d’acier
Un à un, tous les conteneurs tirent,
Ils chargent le navire
Qui, de plus, marche au pétrole
Et rejette le trop-plein à la mer
Où dans la boue grasse, les oiseaux s’enferrent.


Le bateau vogue déjà
Loin du Sénégal, il s’en va.
Où sévit une infernale sécheresse
Et où plusieurs petits puits
Qui datent d’avant la guerre,
Les moteurs à sec, sans pétrole,
Ne peuvent pas pomper.


Déjà, le Danemark est contourné,
Skagerrat, Kattegat sont passés.
En route, le navire s’est ravitaillé
Avec l’argent envoyé par la société.
Reste la mer Baltique à traverser,
Car, à Gdynia, notre belle cité,
Le navire est arrivé.


À Gdynia, sur le port,
Des grues portuaires encore.
La banane a mûri dans sa caisse
Les portefaix du port
Qui viennent de gagner leur grève
Pour sauver le quatorzième salaire
Ont daigné décharger la marchandise.


Du quai zébré, dans le conteneur,
La banane dans sa caisse
Part dans un train qui roule
À l’électricité et au pétrole
Pour la région lointaine
De Masovie ou d’ailleurs,
Sans s’arrêter, il va sans peine.


Ah, comme elle est douce la chair de la banane ;
En bouche, elle se mue en moelleuse mousse.
Je la veux à l’instant.
Ce qui est bon, le sait mon enfant
Qui en mange trois à la fois.
Il n’aime plus les pommes maintenant.
Je vais en acheter tout un tas.


Mais à la jonction de la grande voie,
D’une énorme grue, encore une fois
S’écoule le flot de bananes
Dans un camion après l’autre
Qui s’en vont vers les petites villes
En labourant le nouveau bitume,
Payé par l’Union Européenne.


Les financements de l’Union
Permettent de nouvelles routes
Et soutiennent la civilisation
Qui vient des mêmes gens
Qui ont conquis l’Afrique
Le Christ à la main,
Se goinfrant tels des vampires humains.


La banane est désormais jaune et belle.
L’attendent tant et tant de camionnettes ;
Du conteneur avec un élévateur,
On monte la banane
Sur la galerie d’un transporteur.
Toutes les mains restent propres,
Personne n’est en sueur.


Et maintenant la banane s’en va
À l’entrepôt du voisinage,
D’où l’emporte
Dans sa boutique, l’épicière
Et là, sur l’éventaire,
Mesdames et Messieurs, Messieurs dames,
C’est à n’y pas croire, à n’y pas croire !


Il est moins cher d’acheter cette banane
Qu’une pomme polonaise
Non loin de Grójec, le verger de la Pologne,
C’est à n’y pas croire, à n’y pas croire !
C’est une chose stupéfiante :
À quatre euros, les pommes ;
À deux euros, les bananes.


Ah, comme elle est douce la chair de la banane ;
En bouche, elle se mue en moelleuse mousse.
Je la veux à l’instant.
Moi, je vais m’en débarrasser,
J’achèterai un bélier.
Et je briserai ce marché
Car j’y suis déterminé !


La banane croît, croît, croît
Dans un village du Congo, cette fois.
Elle est encore verte
Tout le pays la surveille.
Il la met dans la caisse,
Son vélo tient à peine,
Car les accessoires coûtent.