LA BANANE
Version française – LA BANANE – Marco Valdo M.I. – 2019
à partir de la traduction italienne LA BANANA de Krzysiek Wrona
d’une chanson polonaise (inédite) – Banan – Jacek Kleyff – 2018
Paroles et musique : Jacek Kleyff
Jacek Kleyff : guitare et métronome, enregistrement sur dictaphone.
Texte transcrit à l’oreille par YT.
Dialogue
Maïeutique
Qu’est-ce
que c’est encore, Marco Valdo M.I., que cette histoire de banane ?
D’abord, d’où vient-elle ? Puisque c’est une version
française, elle vient forcément d’ailleurs. Est-elle africaine,
sud-américaine, antillaise comme sont les bananes ? Vient-elle
du Pérou ou de la Martinique ? Ou d’ailleurs, mais
nécessairement, d’un pays où poussent les bananes qui sont des
pays chauds, très chauds pour ce que j’en sais, car sur les
rivages que j’ai fréquentés par ici, il n’y en avait pas, sauf
à titre de curiosité.
En
effet, Lucien l’âne mon ami, la banane est un fruit résolument
exotique ; mais, il y a aussi une excellente raison d’en faire
une version française, car si la banane est née en Afrique, la
chanson est absolument polonaise. C’est ce qui lui donne toute son
originalité.
Une
chanson sur la banane polonaise ? Tu m’en diras tant, Marco Valdo M .I. mon ami. J’ai beaucoup de mal à le concevoir ;
j’avais le souvenir que la Pologne était plutôt la patrie des
pommes.
Arrête,
Lucien l’âne mon ami, ne t’emballe pas, je vais tout
t’expliquer. D’abord, laissons de côté la banane et parlons de
la chanson. Je voudrais dire un mot à propos de la chanson polonaise
et de celui – Krzysiek Wrona – qui fait ce travail de nous les
faire connaître en langue originale et de les traduire en italien,
ce qui me donne la possibilité d’en présenter des versions en
langue française. Tout ce truchement, même s’il est lent, est
bénéfique. Je trouve fascinant de pouvoir ainsi découvrir ces
territoires inconnus et jusque-là, inaccessibles.
Oui,
dit Lucien l’âne, c’est fantastique et je ne peux qu’abonder
dans ton sens ; on connaîtra ainsi
tous ces pays dont nous parlent toutes ces chansons.
Mais si tu veux bien revenir à la banane.
Je me souviens d’ailleurs qu’il n’a pas toujours été facile
d’en avoir des bananes ; des fois même, il n’y en avait
pas, même en Amérique où tout est pléthorique, comme le disait
une chanson de
1923
« Yes! We Have
No Bananas » (Frank
Silver et Irving Cohn), qu’il faudrait regarder de plus près, car
elle a toute une histoire elle aussi.
Sans
doute, reprend Marco Valdo M.I., mais pour ce qui est de la banane
polonaise, je veux dire la chanson « Banan », elle aurait
pu s’intituler : La véridique histoire d’une banane, car,
elle suit exactement cet itinéraire biographique depuis la
cueillette jusqu’à l’étal du commerçant quelque part en
Pologne. Elle retrace ce parcours et elle fait surgir certains
paradoxes et dénonce certaines iniquités que je te laisse
découvrir. Tout comme la guerre de la banane où les enjeux sont
terribles. La banane est au cœur d’un affrontement international
qui est un aspect de cette Guerre de cent Mille Ans que les puissants
et les riches font aux faibles pour accroître leur emprise,
multiplier leurs profits, écraser toute concurrence, éteindre toute
conscience et liquider toute résistance à leurs lubies. La seule
remarque à faire à ce sujet, c’est que la la banane que l’on
trouve dans les commerces ne vient pas principalement d’Afrique,
mais des exploitations vivrières des compagnies américaines
d’Amérique latine, où les conditions de travail sont
épouvantables.
Oh,
je sais, dit Lucien l’âne, ces histoires de bananes sont fort
complexes et la guerre de la banane est intercontinentale ; de
toute façon, nous les ânes, on ne mange pas de bananes. Alors,
tissons le linceul de ce vieux monde incohérent, complexe,
exploiteur et cacochyme
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
La
banane croît, croît, croît
Dans
un village du Libéria.
Elle
est encore verte ;
Tout
le village la surveille.
On
la met dans la caisse,
Le
vélo tient à peine,
Car
les accessoires coûtent.
La
banane voyage, voyage
Sur
le vélocipède.
Le
négociant va
Pour
les achats
Dans
la brousse du Libéria
Tant
que le vélo roule.
Il
transporte ses deux caisses.
À
présent la banane dans sa caisse
Grimpe
sur le porte-bagage
D’une
vieille Willys
Ou
d’une Peugeot,
Restes
des guerres et des embrouilles
Où
les Yankees et les mangeurs de grenouilles
Ont
fait du sale boulot.
La
banane dans sa caisse
Est
déjà moins verte ;
Avec
son chargement de quarante caisses,
La
voiture avance à peine
Et
l’habile colonisateur
Fait
tourner le moteur
Au
pétrole d’Arabie ou de Perse.
Dans
le port, la banane passe
De
la voiture au conteneur ;
Des
gens la chargent
Qui
voulaient vivre au paradis,
Mais
pour eux, c’est râpé :
Ce
marché est contrôlé
Par
quatre compagnies.
Ah,
comme elle est douce la chair de la banane ;
En
bouche, elle se mue en moelleuse mousse.
Je
la veux tout de suite.
Elle
a été cueillie par le singe
Noir
comme l’asphalte
Qui
l’a transportée sur son vélo.
Je
m’empiffrerai dans mon studio.
Le
ramassage des , maintenant,
C’est
l’affaire des enfants.
Ils
mettent dans un sac ce qu’ils trouvent,
De
temps en temps, ils mangent un morceau.
Affamés,
ils n’ont pas la force
De
leur père qui les surveille,
Ployant
sous la caisse qui pèse sur son dos.
Le
quai nettoyé,
Les
câbles d’acier
Un
à un, tous les conteneurs tirent,
Ils
chargent le navire
Qui,
de plus, marche au pétrole
Et
rejette le trop-plein à la mer
Où
dans la boue grasse, les oiseaux s’enferrent.
Le
bateau vogue déjà
Loin
du Sénégal, il s’en va.
Où
sévit une infernale sécheresse
Et
où plusieurs petits puits
Qui
datent d’avant la guerre,
Les
moteurs à sec, sans pétrole,
Ne
peuvent pas pomper.
Déjà,
le Danemark est contourné,
Skagerrat,
Kattegat sont passés.
En
route, le navire s’est ravitaillé
Avec
l’argent envoyé par la société.
Reste
la mer Baltique à traverser,
Car,
à Gdynia, notre belle cité,
Le
navire est arrivé.
À
Gdynia, sur le port,
Des
grues portuaires encore.
La
banane a mûri dans sa caisse
Les
portefaix du port
Qui
viennent de gagner leur grève
Pour
sauver le quatorzième salaire
Ont
daigné décharger la marchandise.
Du
quai zébré, dans le conteneur,
La
banane dans sa caisse
Part
dans un train qui roule
À
l’électricité et au pétrole
Pour
la région lointaine
De
Masovie ou d’ailleurs,
Sans
s’arrêter, il va sans peine.
Ah,
comme elle est douce la chair de la banane ;
En
bouche, elle se mue en moelleuse mousse.
Je
la veux à l’instant.
Ce
qui est bon, le sait mon enfant
Qui
en mange trois à la fois.
Il
n’aime plus les pommes maintenant.
Je
vais en acheter tout un tas.
Mais
à la jonction de la grande voie,
D’une
énorme grue, encore une fois
S’écoule
le flot de bananes
Dans
un camion après l’autre
Qui
s’en vont vers les petites villes
En
labourant le nouveau bitume,
Payé
par l’Union Européenne.
Les
financements de l’Union
Permettent
de nouvelles routes
Et
soutiennent la civilisation
Qui
vient des mêmes gens
Qui
ont conquis l’Afrique
Le
Christ à la main,
Se
goinfrant tels des vampires humains.
La
banane est désormais jaune et belle.
L’attendent
tant et tant de camionnettes ;
Du
conteneur avec un élévateur,
On
monte la banane
Sur
la galerie d’un transporteur.
Toutes
les mains restent propres,
Personne
n’est en sueur.
Et
maintenant la banane s’en va
À
l’entrepôt du voisinage,
D’où
l’emporte
Dans
sa boutique, l’épicière
Et
là, sur l’éventaire,
Mesdames
et Messieurs, Messieurs dames,
C’est
à n’y pas croire, à n’y pas croire !
Il
est moins cher d’acheter cette banane
Qu’une
pomme polonaise
Non
loin de Grójec, le verger de la Pologne,
C’est
à n’y pas croire, à n’y pas croire !
C’est
une chose stupéfiante :
À
quatre euros, les pommes ;
À
deux euros, les bananes.
Ah,
comme elle est douce la chair de la banane ;
En
bouche, elle se mue en moelleuse mousse.
Je
la veux à l’instant.
Moi,
je vais m’en débarrasser,
J’achèterai
un bélier.
Et
je briserai ce marché
Car
j’y suis déterminé !
La
banane croît, croît, croît
Dans
un village du Congo, cette fois.
Elle
est encore verte
Tout
le pays la surveille.
Il
la met dans la caisse,
Son
vélo tient à peine,
Car
les accessoires coûtent.