dimanche 24 mai 2015

LA MARCHE DES SUICIDÉS

LA MARCHE DES SUICIDÉS



Version française – LA MARCHE DES SUICIDÉS – Marco Valdo M.I. – 2015
Chanson italienne – La marcia dei suicidiDavide Giromini – 2013
Texte de Gianni Symbolo, alias Fabio Ghelli
Interprétée par Davide Giromini






RÉVOLUTIONS SÉQUESTRÉES
… et 
ce fut ainsi que je devins un robot








« C'est très simple. Un jour je vis un spectacle théâtral sur la guerre d'Espagne. Le théâtre était très petit, les acteurs âgés et du vingtième siècle. Nous étions cinq ou six au parterre. Un acteur maigre et grisonnant, dont on voyait que jeune, il avait été un bel homme, mais maintenant chenu et décadent, interprétait le rôle d'un intellectuel anarchiste du nom de Camillo Berneri et il en disait en monologue un discours. La définition de « Révolutions séquestrées » qu'il donnait, toucha en moi quelque chose d'universel. Toutes les révolutions de l'histoire ont été tôt ou tard séquestrées par quelqu'un qui les avait transformées en quelque chose d'autre. Peut-être est-ce vraiment le concept de révolution qui est destiné à ça mais pourquoi parmi les êtres humains le résultat doit-il être toujours dégénératif ? Où finissent les utopies pour lesquelles on verse du sang dans les moments révolutionnaires ? La réponse qu'on me donna était la suivante. Les êtres humains ont besoin de grandes idées pour accomplir des gestes surhumains. Mais précisément parce que des gestes surhumains sont destinés à durer peu, car l'homme ne peut pas régir toute cette sur-humanité. »
Davide Giromini, “Rivoluzioni Sequestrate” ( p. 54)


Ce n'est pas la première fois que le thème du suicide fait irruption dans ce site, quoique du point de vue personnel et pas strictement semblable (par exemple, dans un Extra comme Ιδανικοί αυτόχειρες, les « Suicides idéaux » du suicidé Karyotakis) ; avec cette chanson écrite par Fabio Ghelli, sous son nom actuel de Gianni Symbolo pour les « Rivoluzioni Sequestrate – Révolutions Séquestrées » de Davide Giromini, nous sommes en présence par contre du suicide comme d'un acte précis, même politique, de rébellion extrême. Ce n'est pas un hasard si dans le texte sont récupérées les figures classiques de Jacopo Ortis et de son prédécesseur Werther (les « mauvais exemples, instigateurs de la jeunesse »). Cette chanson provient même du temps actuel où le suicide est quotidien, gentiment distillé par la crise d'argent et de vie, par des conditions impossibles, en réponse à la répression, accompli maintenant par un nombre toujours croissant de personnes qui désertent. Dans cette « marche », les suicidés semblent assumer pleinement une identité collective, comme s'ils avaient pleine conscience de la valeur révolutionnaire de leur geste ; une valeur, du reste, qui est ancienne (on pense, par exemple, à Masada). « Prefiero la muerte », semble le cri de bataille qui, de quelque façon qu'on veuille le voir et le considérer, est même une suprême affirmation de vie. Vie niée, vie détruite, vie dont on désire de toute façon disposer totalement au dernier instant, alors que pour toute sa durée ce furent par contre d'autres à en disposer pour leur profit. Une chanson jouée sur des fils très subtils et délibérément dangereux, écrite par Fabio Ghelli et chantée rauquement par Davide Giromini avec son rythme pressant et avec sa structure métrique acrobatique faite d'assonances continues et de vertigineux enjambements polysémantiques (une caractéristique plus unique que rare dans une chanson en langue italienne). [RV]



Il y a celui qui le nomme désertion
Le nomme geste désespéré,
Celui qui pour nous éprouve de la compassion,
Celui qui le considère comme un délit

Et celui qui nous trouve du courage,
Une aveugle et stupide lâcheté,
À nous morts pour outrage,
Esclaves de la liberté.

Pour nous pas de pierre tombale,
Aucuns marbres ni ors;
Puis avec le sel des larmes,
La rage séchera la douleur.

Il restera un geste sans sens,
Si ce n'est le sens de vide que
Notre infini silence
Jette au visage à tous vos parce que.

Ce ne sera pas temps de maudire
Et de pleurer et de remercier
Celui qui a su vous étonner
Par la force d'un impérissable

Désir vif comme le fer
Qu'on assimile à l'éternité,
Et vous de votre côté,
Y préférez l'enfer.

L'enfer des bonnes manières
Contre qui nous nous rebellons
Car à tort ou à raison,
Nous sommes ce que nous sommes.

Nous sommes les mauvais exemples,
Instigateurs de la jeunesse,
Les Ortis, les Werthers d'autres temps,
Et de Camus, les Sisyphes.

Nous qui beauté et amour
Avons plein les veines,
Convaincus que la vie est toujours
Plus que réunir quelques cellules.

Unis dans silence,
Nous vous observons des barricades
De notre fière impertinence
Comme des sentinelles de jade.

D'une guerre et d'un avant-poste
Reculé d'une frontière,
Rétifs à la défaite,
À la paix, à la peur,


La peur qui nous tient tous debout
En équilibre instable sur l'abîme.
La différence entre nous et vous
Alors sera seulement un pas.

Pas après pas, roulent
À travers les siècles
Inutiles, fragiles,
Stupides, ridicules

Marionnettes d'un théâtre
Enveloppé de flammes,
Avec des yeux de cire
Et des faces de bitume.

Moi, moi, de vos applaudissements,
Non, je ne m'en fous pas
Et déjà leur grondement
Dans la rumeur de mon sang se noie.

Déniez-moi une tombe,
Déniez-moi la mémoire,
Mais ne me refusez pas l'espoir
De prêter l'oreille

À celui qui voulait vivre
D'une unique caresse,
Malade de désespérance,
Ou peut-être de trop de tendresse.

Et lorsque la fin aura sonné
Et qu'à votre ciel, vous irez
Dans les rangs des justes
- comme il est écrit dans l'Évangile

Regardez la noire vallée
Du haut des portes de l’Élysée
Et vous verrez nos ombres
Se dresser dans l'aveuglante lumière

Du suicide.