La
Compote d’Hommes
Chanson
française – La Compote d’Hommes – Marco Valdo M.I. – 2020
ARLEQUIN
AMOUREUX – 49
Opéra-récit
historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola
« Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le
titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J.
Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de
l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR
CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez
Flammarion à Paris en 1979.
Dialogue
Maïeutique
Je
sais, je sais, évidemment que je sais, mon
ami
Lucien
l’âne, que
tu vas trouver ce titre bizarre et que tu vas faire mine de te
torturer les méninges pour me faire marcher ; mais ça ne
marche pas et je te laisserai sur ta faim. Pas longtemps
naturellement, puisque l’explication de cette « compote
d’hommes » se trouve au début de la chanson. Disons
quand même que c’est une façon imagée, ce qui peut se dire aussi
poétique, métaphorique, de
décrire le magma de sangs, d’os, de poils et de chairs qui couvre
le champ de bataille. J’aurais en bonne justice
l’appeler « compote d’hommes et de chevaux ». Mais
enfin, comme pour le pâté d’alouette (recette :
une alouette, un cheval), on ne compte pas le cheval.
En
somme, dit Lucien l’âne, il s’agit en quelque sorte d’une
compote de pommes couleur tomate. J’imagine fort bien ça, car j’ai
déjà vu bien des batailles dans ma vie du fait notamment
qu’on m’a souvent réquisitionné – contre mon gré et mis à
la corvée militaire jusqu’à ce que – évidemment – moi aussi,
je foute le camp. Je sais aussi et pour la même raison que dans les
grandes batailles, il y a deux mouvements concomitants
celui de ceux (dans chacun des camps) qui ont envie de se battre –
ils vont vers l’avant et celui de ceux qui n’ont pas (du tout)
envie de se battre – ils vont partout où les mène le vent.
Oui,
reprend Marco Valdo M.I., c’est d’ailleurs noté dans la
chanson :
« Le
soldat meurt-il par-devant ou par-derrière ?
Telle
est la question du prince militaire. »
Il
y a un
par-devant
et par-derrière et on
peut l’envisager
dans l’autre sens : Par
derrière et par devant, comme
le chantait Marie Josée Neuville (1956). Mais dans le cas de cette
chanson, le sens est un peu décalé, car il s’agit de savoir si le
soldat sera tué « par-devant » d’un tir de
l’adversaire ou « par-derrière » d’une balle
disciplinaire. Et
il fallait bien attribuer la question à un prince, car – comme
toujours dans la
Guerre de Cent Mille Ans – le soldat n’a pas le loisir de se
poser pareil dilemme hamletien.
Drôles
de manières quand même, Marco Valdo M.I., que de tuer les soldats
de sa propre armée ; mais là aussi, la chose s’est faite et
plus souvent qu’on pourrait le penser. De
toute façon, ces échauffourées sont horriblement confuses.
Tu
ne pourrais mieux dire ? Lucien l’âne mon ami, car comme à
Marengo,
les armées de la Cacanie et leurs alliés vont tenir la victoire
« Victoria ! » et entonner :
« Victoria,
c’est toi, l’amante la plus belle
Écoutez-la
ma ritournelle. »
Oh,
dit Lucien l’âne, une parodie à la manière et anticipant
textuellement – avec plus d’un siècle d’avance – Boby
Lapointe et son « Andréa,
c’est toi » (1975).
Et puis, ensuite ?
Ensuite,
reprend Marco Valdo M.I, voici que reparaît ce bon vieux Koutouzov,
le même dont je parlais dans « Le
Sommeil de Koutouzov », sur ce même champ de bataille,
mais un peu après quand il s’est réveillé, s’est fait porter
sur son cheval…
Comment
ça, il s’est fait porter sur son cheval ?, s’étonne Lucien
l’âne.
Oui,
porter sur son cheval, littéralement, dit Marco Valdo M.I., car
Koutouzov n’était plus très jeune et en plus, il était fort gros
de sorte qu’il ne pouvait monter sur son cheval tout seul et qu’il
fallait l’y hisser. Donc, porté sur son cheval, tel un Lucky
Luke, il s’éloigne solitaire au pas de son cheval.
Bonne
idée, dit Lucien l’âne, j’ai toujours rêvé de ça dans ces
moments-là : tourner le dos et m’en aller tranquille de mon
pas d’âne. À propos justement, que fait notre Arlequin, alias
Matthias, alias Matěj, et je ne sais plus trop quoi d’autre ?
Ben,
répond Marco Valdo M.I., lui aussi, il prend la tangente et se
carapate en faisant vite en se cachant, ni par-devant, ni
par-derrière, mais par une trouée latérale et dès qu’il le
peut, il se débarrasse de ses armes, de l’uniforme et tout ça,
puis, il se réfugie sous une meule et s’endort. Ce qui met fin à
l’épisode.
Une
heureuse fin, dit Lucien l’âne. Alors tissons le linceul de ce
vieux monde chaotique, suant, saignant, sanguinolent, soufflant,
suppliant, surfant et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Sous
les lambris, Metternich rêve la paix.
Le
soldat meurt-il par-devant ou par-derrière ?
Telle
est la question du prince militaire.
Sous
le soleil exactement, ils attaquaient.
Un
soleil immense, écarlate
De
sa griffe d’or montre comme
L’abject
ouvrage, couleur tomate,
Fait
la gluante compote d’hommes.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Victoire
en vue ! Le général-major de Cacanie
Salue,
triomphant, le tsar de Russie.
Victoria,
c’est toi, l’amante la plus belle
Écoutez-la
ma ritournelle.
La
débâcle est sûre, le désastre est certain.
Sur
son cheval monté, Koutouzov s’en reva déjà
À
l’envers des combats, vers la retraite au pas.
Austerlitz
s’achève en eau de boudin.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Par
rangs entiers dégringolent les soldats.
Expert,
le fantassin Matej ne reste pas ;
Il
noie sa pétoire, jette son barda
Et
conclut : « Finissez sans moi !
Je
me tire ailleurs, chère Cacanie ;
Bien
le bonsoir, très chère Patrie. »
Enfin
assez loin, il ralentit.
Sous
une meule, il s’enfouit.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.