mercredi 8 octobre 2014

Comme Un Petit Coquelicot


Comme Un Petit Coquelicot



Chanson française – Comme Un Petit Coquelicot – Marcel Mouloudji – 1951
Paroles: Raymond Asso
Musique: Claude Valéry


Mais pour aimer les coquelicots
Et n'aimer que ça... il faut être idiot !




Voici, Lucien l'âne mon ami, une chanson sur une fleur et comme elle le dit dans son titre, sur une de ces modestes fleurs des champs, que les herbicides, pesticides et autres planticides avaient presque réussi à éliminer, mais qui a résisté et reprend (du moins dans nos régions) sa place au bord dans les champs et au bord des chemins : c'est le coquelicot, petit pavot rouge.

Eh bien, tu en peux pas savoir, Marco Valdo M.I. mon ami, comme ça me fait rand plaisir une chanson où le coquelicot tient une belle place… Moi qui ai toujours été si amoureux de cette petite fleur que je lui ai place en mon cœur. Je l'ai si souvent contemplé tout le long de ma longue route ; ils étaient là joyeux ou mélancoliques suivant que le ciel était clair ou assombri.

Cette fois, tu le verras sous les deux masques… Allègre en début de la chanson, et terriblement triste, prêt à virer au loir, à la fin d'icelle. Car il s'agit là d'un coquelicot qui raconte une belle et terrifiante histoire… Une de ces histoires de la guerre que les hommes (certains d'entre eux, tout au moins…) font aux femmes, idiotement. C'est une histoire assez banale, au demeurant ; une histoire où s’illustre l'envie de possession, le même désir que celui qui conduit à vouloir dominer et la même pulsion qui pousse à la richesse : l'histoire de l'assassinat d'une jeune femme par un homme « qu'elle n'aimait pas » ; en clair, un acte de pure et barbare violence. Qui plus est, racontée à demi-mots par celui avec qui elle partageait amour et sentiment.

Grande est ma douleur, grande est la bêtise de certains hommes. Ce sont des barbares, des infantiles qui cassent le jouet qui leur résiste… mais quand même, je me demande s'ils comprendront un jour que les autres humains, les autres êtres vivants ne sont pas des jouets, jamais. Et quand bien même, il s'agirait d'un objet matériel, il serait déjà d'une stupidité phénoménale de le détruire. Infantilisme et stupidité me semblent bien être les éléments moteurs de l'avidité et de l'ambition qui conduisent la Guerre de Cent Mille Ans. Plus que jamais reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde avide, ambitieux, aride, infantile, stupide, idiot, assassin et cacochyme.


Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


Le myosotis, et puis la rose,
Ce sont des fleurs qui disent quelque chose !
Mais pour aimer les coquelicots
Et n'aimer que ça... il faut être idiot !
Tu as peut-être raison ! Seulement voilà :
Quand je t'aurai dit, tu comprendras !
La première fois que je l'ai vue,
Elle dormait, à moitié nue,
Dans la lumière de l'été,
Au beau milieu d'un champ de blé.
Et sous le corsage blanc,
Là où battait son cœur,
Le soleil, gentiment,
Faisait vivre une fleur :
Comme un petit coquelicot, mon âme !
Comme un petit coquelicot.

C'est très curieux comme tes yeux brillent
En te rappelant la jolie fille !
Ils brillent si fort que c'est un peu trop
Pour expliquer... les coquelicots !
Tu as peut-être raison ! Seulement voilà :
Quand je l'ai prise dans mes bras,
Elle m'a donné son beau sourire,
Et puis après, sans rien nous dire,
Dans la lumière de l'été,
On s'est aimés ! ... on s'est aimés !
Et j'ai tant appuyé
Mes lèvres sur son cœur,
Qu'à la place du baiser,
Il y avait comme une fleur :
Comme un petit coquelicot, mon âme !
Comme un petit coquelicot.

Ça n'est rien d'autre qu'une aventure
Ta petite histoire, et je te jure
Qu'elle ne mérite pas un sanglot
Ni cette passion... des coquelicots !
Attends la fin ! tu comprendras :
Un autre l'aimait qu'elle n'aimait pas !
Et le lendemain, quand je l'ai revue,
Elle dormait, à moitié nue,
Dans la lumière de l'été,
Au beau milieu du champ de blé.
Mais, sur le corsage blanc,
Juste à la place du cœur,
Il y avait trois gouttes de sang,
Juste comme une fleur :
Comme un petit coquelicot, mon âme !
Un tout petit coquelicot.

LA LÉGENDE DU SOLDAT MORT


LA LÉGENDE DU SOLDAT MORT


Version française – LA LÉGENDE DU SOLDAT MORT – Marco Valdo M.I. – 2012

D'après la version italienne LEGGENDA DEL SOLDATO MORTO – Roberto Fertonani – 1971 d'une
Chanson allemande - Legende vom toten Soldaten – Bertolt Brecht – 1918




 
Avec les caisses et les au revoir
Et les femmes et les chiens et le curé !
Et le soldat mort noir
Comme un singe bourré.




1918 : le jeune Eugen Berthold Friedrich Brecht fils d'un sévère dirigeant de quartier, a un peu plus de vingt ans. Il écrit des poésies. Pas seulement ; il les met en musique, seul, en écrivant les accords pour la guitare et avec une vieille guitare, il les joue pour les amis. Et l'année de la défaite de l'Allemagne du Kaiser, la première « année zéro » d'une Allemagne qui, plus tard, aura à en revivre une autre, plus terrible encore. Il vient alors à l'esprit du jeune Brecht, depuis toujours opposé à la guerre, d'écrire une ballade antimilitariste. Ainsi naquit la « Legende vom toten Soldaten », le 13 août 1918. Une fois encore, il écrit la musique. À vingt ans, Brecht écrit celui qui sera sans doute le plus féroce texte antimilitariste allemand de tous les temps. Celui-là même qui, en 1935, servira de justification aux nazis pour lui ôter la nationalité allemande, alors qu'il était déjà en exil. La même année, Paul Dessau en réécrit la musique. La version anglaise ("The Legend of the Dead Soldier"),dont le texte est jusqu'à présent resté introuvable fut interprétée par Dave Van Ronk [R.V.]


Tu sais, Lucien l'âne mon ami, être confronté à Bert Brecht, ou à Kurt Tucholsky, ou à Franz Jozef Degenhardt... est une aventure redoutable... On est là soudain devant de la poésie assez rude, assez charpentée et de la poésie qui conte certaines heures effroyables de la guerre de Cent Mille Ans... Loin de Charles d'Orléans ou de Ronsard. Et si l'on se place dans le domaine de la chanson, la constatation est évidemment la même, mais ce que je voudrais ajouter, c'est que ces textes, par ailleurs et pas toujours, musicalisés, montrent nettement le fait qu'il y a des genres et des niveaux très variés dans la chanson et qu'on ne peut en faire abstraction. Ceci m'amène à parler du site des Chansons contre la Guerre lui-même et des chansons qu'il rassemble. Lui aussi, il rassemble des choses exceptionnelles, qui dans leur ensemble, ont un ton particulier. Ce n'est pas tant qu'elles soient contre la guerre – cela va de soi, qui importe, mais bien le fait qu'elles sont la plupart du temps (il y a certes des exceptions...) d'une qualité qu'on ne retrouve que rarement dans ce que déversent les médias et l'industrie du disque.

Voilà de bien étranges considérations et je me demande quel rapport il peut y avoir avec la chanson dont tu vas me parler...

J'y viens, j'y viens... La raison... C'est que précisément cette Légende du Soldat mort est exemplaire de ce que je viens de te décrire. C'est une poésie, un poème rude, de haut vol, terrible. La musique ne vient qu'ensuite... je veux dire la musique instrumentale, car la musique elle-même est déjà dans les paroles. Et puis, elle est d'une densité au sens strict du mot « extraordinaire ». C'est là une de ces grandes chansons qui content les épisodes de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches mènent contre les pauvres, que les puissants réservent aux faibles, que les princes d'empire font à l'encontre des paysans révoltés...

En effet, Marco Valdo M.I., mon ami, dit Lucien l'âne en secouant sa belle crinière noire, et nombreux sont les empires où ce genre de massacres eut lieu. Maintenant, ce soldat mort m'intrigue... Je n'arrive pas à comprendre qu'on le traîne ainsi par les routes... Quel étrange cortège nocturne... Mais il me rappelle une autre chanson qui parle de ces années-là et dont, sauf ta modestie, tu es l'auteur – avec l'aide de Günter Grass, ce qui n'est certes pas rien... Elle s'intitule : « À la prochaine ! » [[http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?id=37758&lang=it]].

De fait, avec l'aide de Günter Grass... Tu y vas fort, Lucien l'âne mon mai. C'est plus qu'avec l'aide... Sans lui et son livre, il n'y aurait rien eu. Que savais-je moi de toutes ces Histoires d'Allemagne ? Mais évidemment, pour ce qui est du jeune Brecht, la situation était fort différente... Il avait le nez dedans... Et crois-moi, ça sentait....

Ça sent toujours les grands massacres, dit l'âne Lucien d'un air sentencieux. Et c'est une odeur très particulière... Ainsi, les guerres sont une des choses les plus caractéristiques de ce vieux monde où les riches et les puissants entendent bien conserver par tous les moyens leur domination ; c'est ce qui rend ce monde si détestable... mais reprenons notre tâche et tissons le suaire de ce monde valeureux, héroïque, guerrier, fier, cent fois victorieux et cacochyme.


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


On en était au cinquième printemps
Aucun espoir de paix devant
Le soldat conclut le propos
Et mourut de la mort du héros.

La guerre n'était pourtant pas finie encore
Il ne plaisait pas au Kaiser,
Que son soldat fut mort :
Il lui semblait qu'il était bien trop vert.

L'été s'étala sur les tombes
Et le soldat dormait comme une bombe.
Quand arriva dans la nuit estivale
Une commission militaire médicale

La commission s'installa
Au-dedans du cimetière.
Et d'une pelle consacrée sortit de terre
Le malheureux soldat.

Le Docteur examina le soldat
Ou du moins, ce qui restait de celui-là.
Le Docteur trouva le soldat en parfait état
Et il le déclara bon pour le combat.

Ils emmenèrent le soldat fantasque
La nuit était belle et bleuie
On peut, quand on ne porte pas de casque,
Voir les étoiles de la patrie.

Ils versèrent un schnaps d'enfer
Dans son corps putréfié
Et à son bras, ils mirent deux infirmiers
Et une femme au majestueux derrière.

Le soldat puait la rage ou même, pire,
Alors, on vit boiter un curé tout noir
Qui balançait au-dessus de lui un encensoir
Pour qu'on ne puisse rien sentir.

Devant la musique et les grosses caisses
Jouait une marche militaire.
Et le soldat, comme il avait appris à le faire,
Levait les jambes jusqu'à ses fesses.

En le tenant fraternellement par le bras
Les deux infirmiers marchaient au pas.
Sans eux, dans la boue, il retomberait déjà
Et cela ne se peut pas.

Ils enduisirent son suaire
De rouge de blanc de noir
Et ainsi, ils l'emmenèrent
Sous les couleurs, la saleté s'égare.

Un monsieur en frac marchait devant
Avec sa poitrine amidonnée
Il se tenait comme un vrai Allemand
Conscient de devoir assumer.

Ils passèrent ainsi avec les grosses caisses
Ils s'engagèrent sur la route sombre
Et le soldat balançait son ivresse
Comme les flocons dans l'ombre.

Les chats et les chiens criaient,
Les rats des champs sifflaient sauvagement
Ils ne veulent pas être français
Car c'est un un avilissement

Et quand ils traversent les hameaux,
Toutes les femmes sont là.
La Lune brille. Les arbres font les beaux
Et tous crient Hourra !

Avec les caisses et les au revoir
Et les femmes et les chiens et le curé !
Et le soldat mort noir
Comme un singe bourré.

Et quand ils traversent les hameaux,
Personne ne peut le voir
Tant ils sont autour du héros
Avec les caisses, les hourras et l'encensoir.

Tant à brailler et danser autour du héros
Qu'on ne le voit pas.
Peut-être le verrait-on de haut
Où les étoiles brillent déjà.

Mais les étoiles ne sont plus là,
Voici l'aurore
Alors, comme il a appris à le faire, le soldat,
Se redresse en héros mort.