LA
BALLADE DU CHEMIN DE FER
Version
française – LA BALLADE DU CHEMIN DE FER – Marco Valdo M.I. –
2019
Dialogue
Maïeutique
Il
te souviendra, Lucien
l’âne mon ami, que nous avions déjà précédemment rencontré
sur notre voie un train allemand dans la chanson « Das
Eisenbahngleichnis »,
dont
j’avais intitulé la version française « Parabole
du Train »,
ce qu’en effet, elle était et une locomotive tout aussi allemande
dans la « La
locomotive
unitaire ». Toutes
deux étaient tirées d’auteurs allemands du siècle dernier
principalement connus comme des écrivains, respectivement :
Erich Kästner et Günter Grass. Cette fois, avec cette
« Eisenbahnballade – Ballade du Chemin de fer », il
s’agit d’une chanson écrite et interprétée par son
auteur-compositeur Reinhard Mey.
Bien
merci de toutes ces précisions, répond Lucien l’âne. Toutefois,
j’aimerais savoir ce que raconte cette Ballade du Chemin de fer et
aussi, en quoi elle se rapproche des deux autres que tu viens de me
rappeler et dont je me souviens très bien.
Eh
bien, dit Marco Valdo M.I., je commencerai par ta dernière demande.
Ces trois chansons et pour tout dire, ces trois trains sont des
trains historiques et politiques, du fait que tous les trois
traversent l’histoire de l’Allemagne du siècle dernier et qu’ils
évoquent tous trois les circonstances politiques qui firent de
l’Allemagne un grand épouvantail, une sorte de monstre sorti d’on
ne sait où. Ces chansons montrent comment le train, la locomotive,
bref, le chemin de fer a largement contribué à ces événements.
Entre
parenthèses, on ne pourrait passer sous silence un autre train,
italien celui-là, qui est aussi un objet politique, un train qui
entre tout droit dans la Guerre de Cent Mille Ans, que les riches
font aux pauvres, c’est « La
Locomotiva » de Francesco Guccini, à laquelle se réfère
directement ma chanson Terminus.
Tant
qu’on y est, Marco Valdo M.I., ajoutons à cette énumération « Le
Chat et la Locomotive », cette histoire de train bombardé,
mais je t’ai interrompu.
Ce
n’est rien, j’ai l’habitude, Lucien l’âne mon ami. Donc, le
chemin de fer, le train, la locomotive, et tout ce qui s’ensuit ont
été des éléments importants de l’histoire des hommes depuis
l’invention de la machine à vapeur roulante. Pour en revenir à la
Ballade du Chemin de fer, elle se distingue par le fait qu’elle
couvre, en plus de l’édification du chemin de fer et de son rôle
dans les guerres, y compris l’épisode plus que dramatique de la
déportation, la période qui commence après la défaite de 1945.
D’accord,
dit Lucien l’âne, mais cette Ballade quel est le personnage qui la
chante ?
Oh,
il s’agit d’un homme, d’un voyageur qui recourt au train de
nuit pour rentrer chez lui et qui seul dans un compartiment se laisse
aller à une sorte de longue et somnolente réflexion, une sorte de
rêve éveillé. Mais, pour moi, il vaut mieux laisser chanter la
ballade – qui est aussi une balade nocturne en train – que de
tenter de la résumer ou de la raconter à sa place. Juste de petites
précisions à propos de ce passage – je les note entre
parenthèses :
« L’Aigle
(première locomotive
allemande), le Hamburger
volant (C’est
le nom du premier express
allemand Hambourg-Berlin – 1933), le P8
prussien (pistolet Luger
Parabellum),
Et
les légendaires O5 (groupe de résistants antinazis autrichiens)
murmuraient pour moi à travers la nuit. »
Il ne
reste plus, conclut Lucien l’âne, qu’à écouter la ballade et à
tisser le linceul de ce vieux monde mécanisé, motorisé, roulant
vers sa destruction et cacochyme
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
L’Eisenbahnballade et ses locomotives P8 et O5
Notre interlocuteur de langue allemande, que je voudrais remercier vivement pour ses remarques et sa lecture attentive de ma version française et du commentaire sous forme de dialogue maïeutique, a raison de me faire tenir une note correctrice concernant la P8 et la O5 qui sont donc définitivement des locomotives ; pensez, je les avais prises l’une pour un pistolet Lüger P8 et l’autre pour un groupe autrichien de résistants au nazisme O5. Le curieux, c’est que ces mentions sont exactes, mais inappropriées. Cependant, je n’avais pas trouvé les précieuses indications qui nous sont envoyées par hmmwv. Il faudra donc rectifier le texte ; idem pour « chuinter » à la place de « murmurer », quoique là, le « murmure », qui veut dire grosso modo la même chose que le chuintement, donnait un petit plus tendre et plus humain à la ballade ; je n’userai cependant pas de mon droit de licence poétique.
Les deux premières lignes de l’avant-dernière strophe se libellent dès lors comme suit :
« L’Aigle, le Hamburger volant, le P8 prussien,
Et la légendaire 05 chuintaient pour moi à travers la nuit. »
Cela étant, si notre interlocuteur au nom énigmatique voulait bien anticiper ses précisions lors de l’insertion du texte originel, on gagnerait du temps et on épargnerait des erreurs inutiles.
Encore une fois, pour tout ce qu’il a fait et qu’il fera, qu’il soit chaleureusement remercié.
Cordialement
Ainsi Parlait Marco Valdo M.I.
L’Eisenbahnballade et ses locomotives P8 et O5
Notre interlocuteur de langue allemande, que je voudrais remercier vivement pour ses remarques et sa lecture attentive de ma version française et du commentaire sous forme de dialogue maïeutique, a raison de me faire tenir une note correctrice concernant la P8 et la O5 qui sont donc définitivement des locomotives ; pensez, je les avais prises l’une pour un pistolet Lüger P8 et l’autre pour un groupe autrichien de résistants au nazisme O5. Le curieux, c’est que ces mentions sont exactes, mais inappropriées. Cependant, je n’avais pas trouvé les précieuses indications qui nous sont envoyées par hmmwv. Il faudra donc rectifier le texte ; idem pour « chuinter » à la place de « murmurer », quoique là, le « murmure », qui veut dire grosso modo la même chose que le chuintement, donnait un petit plus tendre et plus humain à la ballade ; je n’userai cependant pas de mon droit de licence poétique.
Les deux premières lignes de l’avant-dernière strophe se libellent dès lors comme suit :
« L’Aigle, le Hamburger volant, le P8 prussien,
Et la légendaire 05 chuintaient pour moi à travers la nuit. »
Cela étant, si notre interlocuteur au nom énigmatique voulait bien anticiper ses précisions lors de l’insertion du texte originel, on gagnerait du temps et on épargnerait des erreurs inutiles.
Encore une fois, pour tout ce qu’il a fait et qu’il fera, qu’il soit chaleureusement remercié.
Cordialement
Ainsi Parlait Marco Valdo M.I.
Un
épais brouillard s’abattait sur l’étrange grande ville.
Un
long jour de travail s’étendait derrière moi, j’étais épuisé
et sans énergie.
Trop
fatigué pour l’autoroute, trop tard pour le dernier vol.
Mais
je voulais rentrer chez moi,
Et
j’ai découvert là
Qu’un
autre train partait encore vers minuit.
Il
me restait encore du temps, je ne savais où aller, alors je suis
resté à la gare :
Un
pompeux édifice d’un temps longtemps révolu, bondé ;
fouinant,
grouillant tout autour, les voyageurs, les badauds et les paumés de
la nuit,
Tant
d’indifférence,
Tant
de détresse et tant de souffrance
Sous
tant de splendeur glacée.
Je
sortis sur le quai, l’air humide et froid m’a tenu éveillé.
Je
frissonnais, j’ai remonté mon col et j’ai regardé mon haleine.
Dans
l’obscurité, trois lumières apparurent au-dessus de la voie, et
mon train entra.
Une
porte de wagon claqua.
Il
faisait chaud dans le train,
J’étais
tout seul dans le compartiment.
Sans
bruit, on démarra et les lumières de la ville s’enfoncèrent dans
une purée laiteuse.
Et
toujours plus vite, passaient à toute allure les fenêtres éclairées
et les gares de banlieue.
Un
autre passage à niveau, quelques projecteurs, et le monde disparut.
La
lumière de mon compartiment tombait en blanc
Sur
le ballast de la voie
Et
je devinais le pays obscur.
Et
à travers les ténèbres, résonnait
Le
bruit monotone
Des
roues sur la voie ferrée,
Un
chant solitaire,
Au
long du chemin de fer.
Ils
se tenaient au bord de la voie, la peau tannée par les intempéries.
Avec
leurs pelles, ils avaient tracé des sillons dans le pays,
Avec
des pics et des marteaux, ils avaient déplacé des montagnes
Et
posé des traverses sur du ballast et par-dessus, les rails.
Dans
le froid âpre, les braises brûlantes, sous la pluie, jour après
jour,
La
nuit, un sac de paille sur le sol dans une cabane en bois.
Et
encore recommencer à l’aube pour une misérable récompense,
Et
encore une nouvelle fortune de plus pour le baron de l’acier.
Et
bientôt la resplendissante machine à vapeur gronda dans tout le
pays.
De
nouvelles industries et un nouvel empire ont vu le jour,
Des
richesses inestimables, mais sur chaque mètre de voie,
Sur
chaque pont, sur chaque tunnel collent des larmes, du sang et de la
sueur.
Le
chemin de fer apporta progrès, révolution technique
Partout,
jusqu’à la gare la plus éloignée.
Il
transporta les marchandises des ports au fond des Alpes,
Relia
les gens et les villes et apporta la prospérité dans le pays.
Mais
la grande invention est toujours associée au tragique,
Car
elle peut servir à la paix, mais aussi à la guerre.
Des
trains blindés sans fin roulèrent bientôt jour et nuit :
Le
matériel de guerre et les canons étaient la cargaison prioritaire.
Bientôt,
l’armée se pressait triomphante dans les gares,
Les
cris de joie sur les lèvres et les fleurs au fusil,
Dans
les wagons ornés de drapeaux et du cri de victoire
Direction
Lemberg ou Liège, Cracovie ou Mons.
Dans
le feu d’enfer de Verdun, l’illusion de la victoire est morte,
Les
trains se sont transformés en hôpitaux, et cette fois le train a vu
La
retraite des vaincus et – les seigneurs de guerre couverts de
déshonneur –
Dans
un wagon dans la forêt de Compiègne, la capitulation.
Des
millions de morts sur les champs de bataille, des souffrances
insensées.
Les
rescapés ont trouvé la misère, le gêne et le chômage.
Mais
sur le terrain de la déroute déjà prospèrent
Les
trafiquants et les profiteurs de guerre, la spéculation.
Mais
naquit aussi de la confusion d’une politique trouble
La
tendre et délicate pousse de la première république.
Alors
l’étroitesse d’esprit, la stupidité et la violence l’ont
piétinée
Avec
des bottes à clous sur la route du Reich millénaire.
Les
monstres régnaient, et le monde observait et gardait le silence.
Et
à nouveau, on dit : « Les roues doivent rouler pour la
victoire ».
Et
commença le chapitre le plus sombre de la nation,
La
plus sombre des migrations : la déportation.
Enfermés
dans des wagons de marchandises, entassés comme du bétail,
Affamés
et désespérés, ils étaient debout, nus et froids,
Des
femmes et des hommes sans défense, des vieillards et même des
enfants,
Pour
l’amer voyage dont le but était le camp de la mort.
Mais
alors, la colère frappa les humbles,
Aucun
village n’a été épargné, aucune pierre n’est restée sur une
pierre,
Et
les bombes tombèrent jusqu’à ce que tout le pays soit en feu,
Les
villes furent anéanties et la terre brûla.
La
guerre fut plus meurtrière qu’aucune guerre auparavant,
Et
punit sévèrement le Peuple qui l’avait outrageusement provoquée.
Marchèrent
dans des débris et des ruines, affamés,
Les
survivants, les bombardés, rien n’allait plus.
Et
toujours plus longs, les convois de réfugiés arrivaient jour après
jour
Et
ils traversaient un pays de décombres et de cendres.
La
volonté de survivre les força à ne pas se résigner,
Le
désespoir, à tenter l’impossible :
Encore
bondir, quand quelque part un train de hamsters partait,
Quand
il y avait un tas de gens accrochés à la porte du wagon.
Une
place sur un marchepied, au mieux sur un tampon,
Avec
l’espoir d’un peu de farine, de pommes de terre ou de saindoux.
Ce
qui se trouvait sur le talus de la voie ferrée était ramassé par
des enfants,
Et
nombre d’honnêtes gens ont volé le charbon des trains.
Et
puis les trains arrivèrent bondés de rapatriés,
Blessés
et battus, dépenaillés et usés.
Combien
de drames se sont déroulés sur les quais !
De
recherches et de larmes de joie, où ont lieu des retrouvailles.
Attendre,
espérer et demander, sera-ce cette fois ?
Beaucoup
vinrent en vain, beaucoup repartirent seuls.
Les
locomotives et les wagons endommagés furent vite et mal réparés
Et
lancés sur un réseau ferroviaire aventureux
Et
le pouls commença à battre, et surgit de nulle part,
Chargé
d’espoirs et de rêves, un nouveau pays.
Et
à travers l’aube résonnait
Le
son monotone
Des
roues sur le rail,
La
chanson mélancolique,
Au
long du chemin de fer.
Le
cliquetis des roues sur un aiguillage me ramena dans le présent.
Je
me suis réveillé de la nuit, j’étais presque au terme de mon
voyage.
Je
me frottais les yeux et je m’étirais, la lumière du néon
paraissait pâle,
Et
dans la pièce vide
Entre
veille et rêve,
J’ai
vu encore une fois :
L’Aigle
(première locomotive allemande), le Hamburger volant (le premier
express allemand –
1933),
le P8 prussien (pistolet Luger Parabellum),
Et
les légendaires O5 (groupe de résistants autrichiens) chuintaient
pour moi à travers la nuit.
Un
train en mouvement sur la voie voisine m’a arraché à mes rêves.
Un
coup d’œil à l’horloge,
Encore,
dix minutes seulement
Et
je serai à la maison pour le petit-déjeuner.
Dehors,
d’un coup d’œil, je pouvais voir dans les fenêtres éclairées.
Je
voyais les gens sur le chemin du travail, debout dans les gares de
banlieue,
Je
voyais les phares des voitures devant les barrières au passage à
niveau,
Et
luisait un espoir
Sur
le jour nouveau
Et
dans le lever du
soleil.