vendredi 20 septembre 2013

TOUT EST LA FAUTE DES JUIFS

TOUT EST LA FAUTE DES JUIFS

Version française - TOUT EST LA FAUTE DES JUIFS – Marco Valdo M.I. – 2013
d'après la version italienne de Riccardo Venturi
Chanson allemande - An allem sind die Juden schuld - Friedrich Hollaender – 1931
]
Texte: Friedrich Hollaender
Musique: Georges Bizet (dalla Carmen)
Première interprète: Annemarie Haase
De la revue
Spuk in der Villa Stern ("Fantômes à la Villa Stern")






Dans cette page, nous nous occupons d'une chanson satirique, probablement une des plus célèbres en langue allemande : An allem sind die Juden schuld (« TOUT EST LA FAUTE DES JUIFS»). Pas seulement célèbre, mais aussi réellement particulière sous chaque chacun de ses aspects ; à commencer par son auteur, Friedrich Hollaender (1896-1976). Il n'arrive pas souvent que celui qui est connu (et il l'est resté) pour être un musicien de valeur soit connu pour avoir écrit le texte d'une chanson dont la musique est reprise en réalité d'un opéra, dans ce cas-ci, Carmen de Georges Bizet ; mais c'est le cas précisément de cette chanson, qu'Hollaender inséra dans la revue musicale Spuk en der Villa Stern (des « Fantômes à la Villa Stern »), représentée pour la première fois au cabaret qu'il gérait à Berlin, le Tingel-Tangel-Theater, en septembre 1931 (la chanson fut interprétée pour la première fois par Annemarie Haase).

Friedrich Hollaender était né à Londres de parents Juifs allemands, et appartenait à une famille de musiciens ; mais de musiciens « sui generis ». Le père, Victor Hollaender, était directeur de l'orchestre du célèbre cirque Barnum ; l'oncle, Gustav Hollaender, était par contre directeur du Conservatoire Stern de Berlin. Rentré en Allemagne à l'âge de trois ans, Friedrich Hollaender devint lui-même musicien, et il atteint la notoriété internationale en composant, en 1930, la musique du film L'Ange bleu, avec ses chansons chantées par Marlène Dietrich. Le film est le symbole de la République de Weimar, il est interprété par une fière antinazista et mis en musique par un juif ( à noter que par contre, le protagoniste masculin ainsi que le premier Oscar de l'histoire, Emil Jannings, flirta ensuite avec le nazisme). 1930, 1931 : les dernières années de Weimar, unique et très libre atmosphère de cette Allemagne qui glissait à grands pas vers le gouffre sur un pas de danse et dans les fumées des cabarets. Puisque juif, Friedrich Hollaender vivait dans sa chair cette atmosphère où Hitler s'apprêtait à prendre le pouvoir avec le but précis de balayer la « corrompue et infernale » République de Weimar. L'antisémitisme allemand, du reste, marchait à plein régime, et l'intérêt historique de cette chanson satirique réside aussi et surtout dans sa valeur de témoignage d'une période où, en Allemagne, quand même il était encore permis de s'exprimer librement pour des Juifs qui voyaient monter la marée irrépressible.

Hollaender écrivit donc cette chanson en employant une arme particulièrement haïe par les nazis et tous les antisémites allemands : le ridicule. Il choisit, en la caricaturant, une musique très célèbre (celle de Carmen de Bizet, et en particulier son air le plus connu, la Habanera), en y installant un texte où l'image antisémite du juif, considéré comme à la base de tout le mal, de tous les malveillances et malheurs du monde, est mise au pilori par le biais de toutes sortes d'exagérations et en élevant ainsi à l'absurde les plus typiques argumentations antisémites. Les antisémites, et pas seulement les militants nazis, donnaient la « faute aux Juifs » pour chaque chose, sans donne de raison ou en justifiant le tout avec des arguments impossibles à prouver jusqu'à arriver à la simple faute tautologique : « C'est la faute des Juifs car c'est leur faute ».

Aux débuts des années 1930, du reste, dans ses revues musicales, Hollaender y allait assez fort ; dans la même revue satirique « Fantômes à la Villa Stern », dont cette chanson fait partie, il fait dire par exemple au Fantôme, à l'instant de son apparition : « Houhou ! Tutu ! Je suis un petit Hitler et je mords sans préavis ! Je vous mettrai tous dans ce damné sac ! Houhou ! Hihi ! Haha ! Wawa ! » Au Baron de Münchhausen, qui paraît aussi parmi les personnages, Hollaender fait dire : « Mensonges ! Mensonges ! Mensonges ! Mensonges ! Mensonges ! Tout ce que l'homme a vu, ce sont des mensonges ; cependant il les raconte tellement bien ! , et ainsi de suite. La chanson comporte des strophes contenant toutes les principales accusations contre les « Juifs », coupables, par exemple, de toutes les catastrophes mondiales (la guerre mondiale, la révolution russe de 1917 et les crises économiques de l'après-guerre). De ces accusations, qui étaient formulées authentiquement et quotidiennement, on passe à celles-là totalement des ridicules qui forment, inutile le dire, la vraie force ravageuse de la chanson. Est faute des Juifs, par exemple, que Greta Garbo ait une dent cariée, ou bien que la neige soit Que la neige soit terriblement blanche
Et de là, dit-on, froide », ou bien que le feu flambe, que les arbres soient dans le bois ou qu'un oignon ne soit pas une rose. On comprend ainsi que des accusations du genre n'ont pas certes pas moins de fondement que les plus « sérieuses », comme du reste cela se produit de nos jours (« les immigrés volent le travail aux Italiens », « les Gitans enlèvent les enfants », « les Roumains viole les femmes car c'est dans leur culture »). La chanson, donc, est un parfait symbole de la stupidité universelle de masse, principal bouillon de culture de tous les fascismes, les racismes et combien d'autres.

La chanson fait partie de cette douzaine de chansons, publiées entre 1930 et 1936, où est mentionnée l'homosexualité ; dans une des strophes, elle est donc faute des Juifs si le Prince du Pays de Galles est un « fenouil » [ NDT : en italien finocchio – fenouil est un des termes communs pour désigner un homosexuel : on peut le traduire par tante, tantouse, tapette, pédé, etc ] : ( j'emploie ici le terme politiquement incorrect en traduisant à la lettre l'allemand « schwul »). Hollaender se référait à Édouard VIII d'Angleterre, dont était connue l'homosexualité dès 1926 lorsque l'avait révélée la revue allemande Freundschaftblatt (« Revue de l'Amitié »). La chose à noter est que la revue en question était une revue gay ; dans l'Allemagne de Weimar, la publication (d'une revue homo) était libre. Il va de soi que la chanson de Hollaender obtint un succès sensationnel, et même une sorte d'hymne antinazi au moment où, avec les élections de 1930, l'insignifiant petit parti de Hitler était devenu la seconde force du Parlement. L'interprétation fut confiée à Annemarie Haase, elle aussi d'origine juive, qui, étant donnée la mélodie, pour la rendre encore plus satirique l'interpréta avec un accent « espagnol ». Bien qu'à l'évidence, le texte de Hollaender diverge totalement du livret de Carmen, la relation entre les deux textes est plus étroite que ce qui semble ; dans le texte de l'air lyrique, en effet, on affirme que « tout l'amour provient des gitans », cependant que dans la chanson tout le mal provient des Juifs.

Selon le musicologue Dietmar Klenke, la chanson de Hollaender est un parfait exemple du mécanisme de la soi-disant « projection du bouc émissaire » ; en parlant de l'effet que fit la satire de Hollaender, le même Klenke affirme que « les contemporains, pendant l'époque de Weimar, associaient la mélodie au monde des gitans avec un texte dans lequel une jeune gitane s'exprime en termes amoraux sur le thème de la sexualité. En mettant la chanson dans la bouche d'un nazi, le compositeur le ridiculise aux yeux des contemporains cultivés. La mélodie non appropriée aide à considérer les opinions nazies comme immatures et infondées. La force provocatrice de la chanson peut être encore mieux comprise en tenant compte du climat de heurts et d'hostilité parmi les diverses composantes de la population allemande durant la Grande Dépression ». [RV]




Qu'il pleuve, qu'il grêle,
Qu'il neige ou qu'il éclaire
Qu'il s'assombrisse, qu'il tonne,
Qu'il gèle ou qu'on sue,
Qu'il fasse beau, qu'il se couvre,
Qu'il dégèle ou qu'il verse,
Qu'il bruine, qu'il ruisselle,
Qu'on tousse, qu'on éternue :

De tout cela, les Juifs sont coupables !
Les Juifs de tout sont coupables !
Pourquoi, pourquoi sont-ils coupables ?
Enfant, tu ne peux pas comprendre, ils sont coupables !
Ils sont coupables ! C'est ce qu'on dit !
Les Juifs sont, sont et sont coupables !
Et même si tu ne le crois pas, ils sont coupables,
De tout, de tout les Juifs sont coupables !
C'est ainsi !

Si le téléphone est occupé,
Si la baignoire coule,
Si tes impôts sont augmentés,
Si ta saucisse goûte le savon,
Si le pain du dimanche n'est pas bon,
Si le prince de Galles est pédé,
Si la nuit les meubles grincent,
Si le chien gronde :

De tout cela, les Juifs sont coupables !
Les Juifs de tout sont coupables !
Pourquoi, pourquoi sont-ils coupables ?
Enfant, tu ne peux pas comprendre, ils sont coupables !
Ils sont coupables ! C'est ce qu'on dit !
Les Juifs sont, sont et sont coupables !
Et même si tu ne le crois pas, ils sont coupables,
De tout, de tout les Juifs sont coupables !
C'est ainsi !

Si le ministre Dietrich paye tes impôts,
Si la Dietrich de la tête au pied te sourit,
Si l'Okasa se renchérit,
Si une vierge dit : « Moi, je le fais, chéri ! » ,
Si les banques sont en crise,
Si la radio radote de vieilles histoires ,
Si la Garbo a une carie,
Si au cinéma, la jeune première pète :

De tout cela, les Juifs sont coupables !
Les Juifs de tout sont coupables !
Pourquoi, pourquoi sont-ils coupables ?
Enfant, tu ne peux pas comprendre, ils sont coupables !
Ils sont coupables ! C'est ce qu'on dit !
Les Juifs sont, sont et sont coupables !
Et même si tu ne le crois pas, ils sont coupables,
De tout, de tout les Juifs sont coupables !
C'est ainsi !

Que la neige soit terriblement blanche
Et de là, dit-on, froide,
Qu'en revanche le feu chauffe
Et qu'en forêt, du bois, on fagotte,
Que la rose ne soit pas l’échalote
Et que le cafard cafarde
Que Heine soit plein de santé
Et qu'Einstein soit surdoué :

De tout cela, les Juifs sont coupables !
Les Juifs de tout sont coupables !
Pourquoi, pourquoi sont-ils coupables ?
Enfant, tu ne peux pas comprendre, ils sont coupables !
Ils sont coupables ! C'est ce qu'on dit !
Les Juifs sont, sont et sont coupables !
Et même si tu ne le crois pas, ils sont coupables,
De tout, de tout les Juifs sont coupables !
C'est ainsi !