lundi 13 janvier 2020

AU PAYS DES JOUETS

AU PAYS DES JOUETS



Version française – AU PAYS DES JOUETSMarco Valdo – 2020
d’après la traduction italienne de Riccardo Venturi
d’une chanson allemande – SpielzeuglandDie Toten Hosen – 1986





Dialogue Maïeutique

Spielzeugland – littéralement, en français : Pays des Jouets – désigne quelque chose de particulier en allemand, mais transposé en italien, il désigne tout autre chose, ce qui bien évidemment complique un peu le problème qui se pose au traducteur bénévole, comprenez au sens premier et paraît-il vieilli de « de bonne volonté » ; on y ajoute généralement, un zeste de bienveillance. En italien donc, Riccardo Venturi a tout naturellement traduit : « Paese dei balocchi », ce qui renvoie à Pinocchio et à Carlo Collodi, alias Carlo Lorenzini. Comme on le voit, rien n’est simple. D’autant que vu ainsi, le sens de Spielzeugland glisse encore un peu plus vers un autre sens, celui de Pays de Cocagne - Paese dei balocchi, luogo immaginario del Pinocchio di Collodi, nel quale i bambini non fanno altro che giocare e mangiare dolci; per estens., paese di cuccagna – autrement dit : « lieu imaginaire du Pinocchio de Collodi, dans lequel les enfants ne font pas autre chose que jouer et manger des bonbons ; par extension : pays de cocagne », dit l’encyclopédique dictionnaire Treccani. On verra que dans la chanson, ce n’est pas exactement de ce fameux Pays qu’il est question.


Ceci posé, dit Lucien l’âne, j’en déduis que ce pays des jouets est un concept polymorphe tout autant que polysémique. Ou l’inverse.

D’autant plus, reprend Marco Valdo M.I., si l’on veut bien prendre en compte le fait que Georges Mélies avait fait un film sur le même sujet en 1908, intitulé : « Conte de la grand mère et rêve de l'enfant »curieusement, ce Pays des jouets de la Belle Époque était surtout peuplé de nymphettes sautillantes. Toujours dans le domaine filmique, on ne peut passer sous silence le Pinocchio que Disney sortit en 1940 où le « Paese dei Ballochi » se transformait, en quelque sorte américanisé, en « Land of Toys ». Passons et revenons à un film bien plus récent (2009) et allemand qui donne une tout autre saveur à ce pays des jouets ; une couleur plus sombre et plus liée à l’histoire récente de ce même grand pays, dont parle la chanson : l’Allemagne ; il s’intitule justement lui aussi : « Spielzeugland », dénomination qui est cette fois traduite en anglais par le mot : Toyland.

Tous ces commentaires et ces films sont intéressants, répond Lucien l’âne, mais je ne sais toujours pas ce que raconte la chanson.

En effet, Lucien l’âne mon ami, je vais combler cette lacune à l’instant. D’abord, il faut concevoir ce « Spielzeugland » véritablement dans son sens contemporain et nettement commercial, lié aux fêtes de fin d’année où des jouets sont offerts en cadeaux aux enfants soit par Saint-Nicolas, soit par le Père Noël. Il s’agit essentiellement de jouets manufacturés et souvent, c’est le cas ici, ce sont des objets mimétiques du monde des « grands », du monde « adulte ». Et comme tu le sais, le monde des « adultes » est peuplé de guerres et de militaires que les enfants connaissent fort bien de les voir quasiment tous les soirs à la télévision – massacres et bombardements compris. Et aurait ajouté le Sar Rabindranath Duval, alias Pierre Dac : « Et c’est en couleurs ! »

Oui, je sais cela aussi, dit Lucien l’âne. Cependant, je n’ai jamais vraiment bien compris pourquoi les jouets pour les petits garçons sont souvent des soldats et de l’armement. Mais pas seulement, comme le démontre l’exemple de Clara, la jeune héroïne du conte d’Hoffman et du ballet de Tchaïkovski, « Casse-Noisette », qui reçoit en cadeau un soldat (« Casse-Noisette ») et qui va d’ailleurs se muer elle-même en chef de guerre. Pour une vision plus proche du « Spielzeugland », il vaut mieux jeter un coup d’œil à l’épouvantable version venue des Zétazunis, revu par Disney encore une fois, un méconnaissable brouet intitulé « Casse-Noisette ».

Fort bien, reprend Marco Valdo M.I., j’en viens à la chanson des Toten Hosen qui a un autre fond politique : son pays des jouets est l’Allemagne de 1986, encore divisée, mais en grand danger de se laisser à nouveau séduire par la volonté de devenir une « Grande Puissance » :

« Les chambres des enfants d’Allemagne sont réarmées
Pour être la Grande-Puissance du Pays des Jouets. »

Et la chanson fait passer le mot aux futurs grands « Allemands », un fameux avertissement destiné aux enfants, tout à fait salutaire, si on se réfère aux deux grandes guerres récentes et à la gloriole dont on parfume le « Baron rouge » - héros aviateur de la Guerre de 14-18 :

« Le Baron rouge tire à volonté…
Les kamikazes sont à la mort destinés. »

Pour reprendre la question des jouets « belliqueux », on ne peut vraiment conclure, on ne peut savoir si en finale, ils auront un rôle d’incitant ou de catharsis. Jouer au petit soldat ou tirer avec des fusils de bois n’implique pas que l’on devienne des militaristes à tout crin. Si en effet, ces jeux initient les enfants à l’existence de la guerre et à la pratique du combat, ils n’en restent pas moins des jeux et on ne peut que renvoyer vers l’éducation pour donner une orientation à l’avenir. Plus prégnants et plus dangereux sont les mouvements de jeunesse (politiques ou religieux) et les formations en bande qu’ils organisent. Là, on passe de la phase ludique à la formation par la propagande, au viol de l’enfance et de la jeunesse. C’est la mise en œuvre d’un conditionnement, parallèle à celui qu’on fait subir à la société entière.Serge Tchakhotine parlait de « viol psychique »

C’est aussi ce que je pense, dit Lucien l’âne ; j’ai vu maintes fois la propagande convaincre les adultes de s’entremassacrer pour de « bonnes raisons ». À mon sens, seul un refus obstiné d’avaler la bouillie et une résistance de tous les jours a des chances de contenir l’effet délétère des chants maléfiques de la Guerre de Cent Mille Ans. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde infantile, propagandiste et cacochyme.
Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Sous l’arbre de Noël, comme chaque année,
Les renforts tant attendus sont arrivés ;
Les chambres des enfants d’Allemagne sont réarmées
Pour être la Grande-Puissance du Pays des Jouets.

Guerre au pays des jouets !
Le Baron rouge tire à volonté.
Chaque jour, on la refait ;
Les kamikazes sont à la mort destinés.

Des fusées larguent des bombes en plastique,
Des chars crachent le feu et la terreur,
Des millions de soldats s’entassent dans la boutique.
Tout ça, c’est censé venir du cœur.

Guerre au pays des jouets !
Le Baron rouge tire à volonté.
Chaque jour, on la refait ;
Les kamikazes sont à la mort destinés.

Quand sur le tapis, l’offensive est perdue,
Les larmes de déception sont éperdues.
Pépé est ravi que l’enfant a si vite compris
Que dans la vie, c’est souvent comme ça aussi.

Guerre au pays des jouets !
Le Baron rouge tire à volonté.
Chaque jour, on la refait ;
Les kamikazes sont à la mort destinés,
Les kamikazes sont à la mort destinés.