AU PAYS DES JOUETS
Version
française – AU
PAYS DES JOUETS
– Marco
Valdo – 2020
d’après
la traduction italienne de Riccardo Venturi
d’une
chanson allemande – Spielzeugland
– Die
Toten Hosen – 1986
Dialogue
Maïeutique
Spielzeugland
– littéralement, en français :
Pays des Jouets – désigne quelque chose de particulier en
allemand, mais transposé en italien, il désigne tout autre chose,
ce qui bien évidemment complique un peu le problème qui se pose au
traducteur bénévole, comprenez au sens premier et paraît-il
vieilli de « de bonne volonté » ; on y ajoute
généralement, un zeste de bienveillance. En italien donc, Riccardo
Venturi a tout naturellement traduit : « Paese dei
balocchi », ce qui renvoie à Pinocchio et à Carlo
Collodi,
alias Carlo
Lorenzini.
Comme
on le voit, rien n’est simple. D’autant que vu ainsi, le sens de
Spielzeugland
glisse
encore un peu plus vers un autre sens, celui de Pays de Cocagne -
Paese
dei balocchi,
luogo immaginario del Pinocchio
di Collodi, nel quale i bambini non fanno altro che giocare e
mangiare dolci; per estens., paese di cuccagna – autrement
dit : « lieu imaginaire du Pinocchio de Collodi, dans
lequel
les enfants ne font pas autre chose que jouer et manger des bonbons ;
par extension : pays de cocagne », dit l’encyclopédique
dictionnaire Treccani.
On verra que dans la chanson, ce n’est
pas exactement de ce fameux Pays qu’il est question.
Ceci
posé, dit Lucien l’âne, j’en déduis que ce pays des jouets est
un concept polymorphe tout autant que polysémique. Ou l’inverse.
D’autant
plus, reprend Marco Valdo M.I., si l’on veut bien prendre en compte
le fait que Georges Mélies avait fait un film sur le même sujet en
1908, intitulé : « Conte
de la grand mère et rêve de l'enfant »
– curieusement,
ce
Pays des jouets de
la Belle Époque était
surtout peuplé de nymphettes sautillantes.
Toujours
dans le domaine filmique, on ne peut passer sous silence le Pinocchio
que Disney sortit en 1940 où le « Paese dei Ballochi »
se transformait, en quelque sorte américanisé, en « Land of
Toys ». Passons
et revenons à un film bien plus récent (2009)
et allemand qui donne une tout autre saveur à ce pays des
jouets ;
une couleur
plus
sombre et plus liée à l’histoire récente de
ce même grand pays, dont parle la chanson : l’Allemagne ;
il s’intitule justement lui aussi : « Spielzeugland »,
dénomination qui est cette fois traduite en anglais par le mot :
Toyland.
Tous
ces commentaires et ces films sont intéressants, répond Lucien
l’âne, mais je ne sais toujours pas ce que raconte la chanson.
En
effet, Lucien l’âne mon ami, je vais combler cette lacune à
l’instant. D’abord, il faut concevoir ce « Spielzeugland »
véritablement dans son sens contemporain et nettement commercial,
lié aux fêtes de fin d’année où des jouets sont offerts en
cadeaux aux enfants
soit
par Saint-Nicolas, soit par le Père Noël. Il s’agit
essentiellement de jouets manufacturés et souvent, c’est le cas
ici, ce
sont des objets mimétiques du monde des « grands », du
monde « adulte ». Et comme tu le sais, le
monde des « adultes » est peuplé de guerres et de
militaires que les enfants connaissent fort bien de les voir
quasiment tous les soirs à la télévision – massacres et
bombardements compris. Et aurait ajouté le Sar
Rabindranath Duval,
alias Pierre Dac : « Et c’est en couleurs ! »
Oui,
je sais cela aussi, dit Lucien l’âne. Cependant, je n’ai jamais
vraiment bien compris pourquoi les jouets pour les petits garçons
sont souvent des soldats et de l’armement. Mais pas seulement,
comme le démontre l’exemple de Clara, la
jeune
héroïne du conte d’Hoffman et du ballet de Tchaïkovski,
« Casse-Noisette », qui
reçoit en cadeau un soldat (« Casse-Noisette ») et qui
va d’ailleurs se muer elle-même en chef de guerre.
Pour
une vision plus proche du « Spielzeugland »,
il
vaut mieux jeter un coup d’œil à l’épouvantable version venue
des Zétazunis, revu
par Disney encore une fois, un
méconnaissable brouet intitulé « Casse-Noisette ».
Fort
bien, reprend Marco Valdo M.I., j’en viens à la chanson des Toten
Hosen qui a un autre fond politique : son pays des jouets est
l’Allemagne de 1986, encore divisée, mais en grand danger de se
laisser à nouveau séduire par la volonté de devenir une « Grande
Puissance » :
« Les
chambres des enfants d’Allemagne sont réarmées
Pour
être la Grande-Puissance du Pays des Jouets. »
Et
la chanson fait passer le mot aux futurs grands « Allemands »,
un fameux avertissement destiné aux enfants, tout à fait salutaire,
si on se réfère aux deux grandes guerres récentes et à la
gloriole dont on parfume le « Baron rouge » - héros
aviateur de la Guerre de 14-18 :
« Le
Baron rouge tire à volonté…
Les
kamikazes sont
à la mort destinés. »
Pour
reprendre la question des jouets « belliqueux », on ne
peut vraiment conclure, on ne peut savoir si en finale, ils auront un
rôle d’incitant ou de catharsis. Jouer au petit soldat ou tirer
avec des fusils de bois n’implique pas que l’on devienne des
militaristes à tout crin. Si en effet, ces jeux initient les enfants
à l’existence de la guerre et à la pratique du combat, ils n’en
restent pas moins des jeux et on ne peut que renvoyer vers
l’éducation pour donner une orientation à l’avenir. Plus
prégnants et plus dangereux sont les mouvements de jeunesse
(politiques ou religieux) et les formations en bande qu’ils
organisent. Là, on passe de la phase ludique à la formation par la
propagande, au viol de l’enfance et de la jeunesse. C’est la mise
en œuvre d’un conditionnement, parallèle à celui qu’on fait
subir à la société entière.Serge Tchakhotine parlait de « viol
psychique »
C’est
aussi ce que je pense, dit Lucien l’âne ; j’ai vu maintes
fois la propagande convaincre les adultes de s’entremassacrer pour
de
« bonnes raisons ». À
mon sens, seul un refus obstiné d’avaler
la bouillie
et une résistance de tous les jours a des chances de contenir
l’effet délétère des
chants maléfiques de la
Guerre de Cent Mille Ans. Alors, tissons le linceul de ce vieux
monde infantile, propagandiste et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Sous
l’arbre de Noël, comme chaque année,
Les
renforts tant attendus sont arrivés ;
Les
chambres des enfants d’Allemagne sont réarmées
Pour
être la Grande-Puissance du Pays des Jouets.
Guerre
au pays des jouets !
Le
Baron rouge tire à volonté.
Chaque
jour, on la refait ;
Les
kamikazes sont
à la mort destinés.
Des
fusées larguent des bombes en plastique,
Des
chars crachent le feu et la terreur,
Des
millions de soldats s’entassent dans la boutique.
Tout
ça, c’est censé venir du cœur.
Guerre
au pays des jouets !
Le
Baron rouge tire à volonté.
Chaque
jour, on la refait ;
Les
kamikazes sont
à la mort destinés.
Quand
sur le tapis, l’offensive est perdue,
Les
larmes de déception sont éperdues.
Pépé
est ravi que l’enfant a si vite compris
Que
dans la vie, c’est souvent comme ça aussi.
Guerre
au pays des jouets !
Le
Baron rouge tire à volonté.
Chaque
jour, on la refait ;
Les
kamikazes sont à la mort destinés,
Les
kamikazes sont à la mort destinés.