LE
DIABLE AU PARADIS
Version
française – LE DIABLE AU PARADIS – Marco Valdo M.I. – 2014
d'après
la version italienne de Riccardo Venturi
Chanson
chilienne en espagnol – El diablo en el paraíso – Violeta Parra
– 1964
Paroles et musique: Violeta Parra
Album:
Recordando a Chile (Una Chilena en París)
Interprétée aussi par Daniel Viglietti
Interprétée aussi par Daniel Viglietti
« Tous les animaux sont égaux. Mais certains animaux sont plus égaux que d'autres. » George Orwell
Aller wunder sî geswigen,
das erde himel hât überstîgen,
daz sult is vür ein wunder wîgen.
Erd ob und himel unter,
daz sult îr hân besunder
vür aller wunder ein wunder.
Qui
sait si quelqu'un la reconnaît, cette strophe ; elle est en allemand
médiéval, ou mieux, en moyen haut allemand. Je me demandais si
quelqu'un la reconnaîtrait, car elle est dans un livre que tous ont
lu : Le Nom de la Rose d'Umberto Eco. Le docte Alexandrin (dans le
sens d'Alessandria en Piémont, clairement), cependant, ne nous a pas
donné la traduction de cette strophe. Elle veut dire ce qui suit :
Tous
les prodiges, je tairai
La
terre a renversé le ciel
Et
ceci vous émerveille
Le
ciel en bas, la terre en l'air
Et
surtout ceci soit pour vous
Le
plus prodigieux des prodiges.
Aussi
vieille que le monde, l'histoire du monde à l'envers ; il était,
par exemple, à la de base de cette fête de l'ancienne Rome, celle
de « semel in anno licet insanire », où pour un jour par
an, tout était vraiment renversé et même les esclaves étaient
servis par les maîtres. Au Moyen-Âge, elle devint un thème des
plus fameux du temps, probablement un moyen répandu, ou un rêve,
populaire de s'opposer au « monde en place » – qui était
celui de l'Église et des riches. La célèbre strophe en allemand
médiéval en est témoin.
Tout
ceci seulement pour vous dire où et dans quelles traditions
populaires planétaires est allée puiser Violeta Parra. C'était une
iconoclaste de premier ordre. Cela se voit même dans son autre
chanson, ces « Souhaits à rebours » (Parabienes al
revés) qui visent l'institution de la cellule familiale (la Violeta
se donnait comme but de miner à la base les piliers). Son monde à
rebours, à la chanson authentiquement brillante, semble en effet une
sarabande médiévale ; excellente anticléricale et bouffeuse de
curés, Violeta ne perd naturellement pas l'occasion de glisser
immédiatement le diable dans le paradis, le comble de la subversion
oui, mais à la saveur de temps reculés. En réalité, il s'agit
d'un « moyen âge » qui connaît le Chili des années 50
est 60, loin de l'an mil : une description féroce de ce qui devait
être fait en urgence. Renverser tout un monde, justement. La
propagande des torchons comme le « Mercurio » ( "La vérité
est une erreur» !"), parfaitement applicable encore aujourd'hui
; les soldats en prison (et combien aurait été opportun de les
mettre en prison, on le vit bien en 1973) ; les juges mis au mur ("On
fusille les magistrats") ; et ainsi de suite.
Ah
oui, il s'agit bien du Chili. Et pas seulement du Chili. Cependant, à
souligner à quoi elle se référait, celui de Violeta est un
Moyen-Âge qui parle un chilien pointu. Parmi toutes les chansons de
Violeta Parra, celle-ci est un des plus dialectale. Des phrases
entières incompréhensibles à un non-Chilien. C'est tellement vrai
que, lorsque l'Uruguayen Daniel Viglietti la chanta, il dut remplacer
les phrases et les mots qu'aucun de ses compatriotes n'aurait
compris. Par exemple, « cantalos ricos andan rotosos », en bon
castillan, à la place de « los futres andan pililos ». Oui,
vraiment un Moyen-Âge de rien ! [RV]
Un
Moyen-Âge de rien ? Un monde à rebours ? Voilà bien une
chanson étrange, dit Lucien l'âne en se frottant le museau sur
l'écorce du sapin. De quoi elle cause ? D'où vient-elle ?
Et au fait, qui donc l'a écrite et qui la chante ?
Voilà
une bien belle série de questions, mon ami Lucien l'âne au museau
gratouillant. Aurais-tu une mouche dans le nez ? Où
souffrirais-tu d'une rhinite intellectuelle ? Ou d'une
questionnite aiguë ? Heureusement que je te connais et que je
sais que tes intentions sont pures et qu'il ne se cache pas là
derrière, je ne sais quelle manie policière et investigatrice. Tu
n'as rien d'un Papa Schultz et de ses « moyens de vous faire
parler », ni de ces gens de services. Reprenons dans l'ordre à
rebours : qui la chante ? Violeta Parra. Qui l'a écrite :
Violeta Parra. D'où vient-elle ? Du Chili. De quoi elle cause ?
De tout, de rien, du monde à l'envers. Et donc, de la réalité, du
Chili... Tel qu'il était et selon Riccardo Venturi, du Chili à
venir. Mondo alla rovescia que j'ai volontairement traduit par
« monde à rebours », en mémoire de J.K. Huysmans et de
l'ineffable Des Esseintes, cousin francilien d'Oblomov – lesquels
deux pratiquaient vigoureusement le « monde à revers ».
Au passage, George Orwell en mit en scène un fameux de monde à la
renverse avec sa Ferme des Animaux, où les cochons prennent le
pouvoir... Une fameuse parabole sur notre société libérale. Mais
j'imagine que tu as déjà médité cette fable moderne...
Sûr
que je connais Orwell et j'ai particulièrement bien aimé sa
définition de la démocratie où : « Tous les animaux sont
égaux. Mais certains animaux sont plus égaux que d'autres. »
Nous aussi, on devrait parfois le faire, renverser notre petit
monde... Tu serais l'âne et moi, le pantin... Mais en fait, je ne
vois pas trop ce que ça changerait. Cela dit, revenons à notre
tâche qui est de tisser le linceul et de renverser l'ordre de ce
monde imbécile, trop régulier, comptable, inéquitable, étouffant
et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
L'homme
mange le pré vert
L'âne, les douceurs
La petite-fille commande le grand-père
Et le valet, le roi de coeur.
Je porte l'eau dans une panière
Dessous le lit, je dors,
Je sucre tout à la salière,
Je danse sur la tombe du mort.
« La vérité est une erreur»,
Criait tout nu un tailleur.
L'âne, les douceurs
La petite-fille commande le grand-père
Et le valet, le roi de coeur.
Je porte l'eau dans une panière
Dessous le lit, je dors,
Je sucre tout à la salière,
Je danse sur la tombe du mort.
« La vérité est une erreur»,
Criait tout nu un tailleur.
Les
pages sont couronnés,
Les rois lavent les planchers,
Le diable règne au paradis
En prison vont les soldats.
On récompense les bandits,
On fusille les magistrats,
Au sec nagent les poissons ;
Ainsi finit le monde
Quand dans les mers profondes
Mûrissent les moissons.
Les rois lavent les planchers,
Le diable règne au paradis
En prison vont les soldats.
On récompense les bandits,
On fusille les magistrats,
Au sec nagent les poissons ;
Ainsi finit le monde
Quand dans les mers profondes
Mûrissent les moissons.
Les
justes marchent enchaînés
Libres vont les condamnés,
Soixante centimes font un euro,
Et six cent grammes, un kilo.
Les rupins vont tête baissée
Les gras sont rachitiques,
Et danse le paralytique
Sur une machette affûtée.
Trois plus huit égale rien
Compte un mathématicien.
Libres vont les condamnés,
Soixante centimes font un euro,
Et six cent grammes, un kilo.
Les rupins vont tête baissée
Les gras sont rachitiques,
Et danse le paralytique
Sur une machette affûtée.
Trois plus huit égale rien
Compte un mathématicien.
Assis
sur le piano,
Ils jouent les mains derrière le dos
Caïn est la plus belle
Pour son frère Abel .
Sur les mains, il fait le beau
Les saints sont querelleurs,
Et bénissent les voleurs ,
Ils jouent les mains derrière le dos
Caïn est la plus belle
Pour son frère Abel .
Sur les mains, il fait le beau
Les saints sont querelleurs,
Et bénissent les voleurs ,
Et
avec votre permission, à mon tour,
Le théâtre, je l'appellerai temple.
« Tout doux, je t'apprécie »,
Dit le bandit à sa prisonnière,
Le plus hérétique est celui qu'il prie,
Les vieux vont à l'école,
Les enfants à la marelle.
Et tous ont un grain de folie.
Le théâtre, je l'appellerai temple.
« Tout doux, je t'apprécie »,
Dit le bandit à sa prisonnière,
Le plus hérétique est celui qu'il prie,
Les vieux vont à l'école,
Les enfants à la marelle.
Et tous ont un grain de folie.