mardi 28 avril 2015

SOUVENIRS D'UN VAINCU



SOUVENIRS D'UN VAINCU

Version française – SOUVENIRS D'UN VAINCU – Marco Valdo M.I. – 2015
d'après la version espagnole de Caballero Bonald (RECUERDOS DE UN VENCIDO)
d'une chanson catalane – Records d'un vençutJoan Isaac – 1977




Parc Güell, le dimanche.





L'histoire d'un vaincu de la guerre civile. L'exil en France, la tentative de recommencer une nouvelle vie, le rêve – qui pour beaucoup ne fut pas possible ou fut trop tardif – d'un retour dans une patrie libérée de la dictature.



Vois-tu, Lucien l'âne mon ami, c'est une chanson qu'on dira – à juste titre, antifranquiste et conséquemment, antifasciste, antiféloniste et d'une façon doublement particulière :

d'une part, car ce sont les remembrances d'un vaincu, d'un de ceux qui durent connaître le dur exil – pour des raisons que nous connaissons et qui pèsent encore et que l'on appelle communément « real politic » ou en jouant sur les mots : de « reale politica », celle qui sévit toujours aujourd'hui en Espagne (Una, grande...) ;

d'autre part, car c'est une chanson catalane, chose qu'on ne peut ignorer. Et c'est de ce dernier sens que j'aimerais que nous parlions un peu.


Pourquoi pas ? Il me semble, à moi, tout âne que je suis, moi qui ai parcouru depuis bien des siècles, bien des régions, bien des villages, bien des pays, il me semble que la langue est un des éléments les plus importants de la vie de l'humaine nation ; bref, tu as raison, il faut en parler.


Moi, comme tu le sais, mon ami l'âne Lucien, je vis dans un pays artificiel, dont la plus grande partie parle une autre langue (le flamand) que celle que je m'efforce de connaître et de pratiquer (le français). Et ces gens-là (comme disait Brel) ont parfaitement le droit et même raison de parler leur langue et de vivre en elle, puisque comme pour nous tous, c'est au travers de la langue que l'on pense et que se traduisent les émotions. Donc, c'est ainsi que transite la vie, la sensation de vie. Cependant, on m'obligea – dès l'enfance et pendant des années – à me farcir l'indigeste apprentissage de langues (flamand, anglais) qui, du coup, me donnèrent la nausée. On se sent ici comme dans certaines colonies… Ah, si j'avais pu choisir ; au lieu de perdre plus de douze ans d'apprentissage inutile et humiliant, j'eusse choisi l'une ou l'autre langue. Pour se convaincre que je n'ai rien contre le fait de m'efforcer de connaître d'autres langues que le français, il suffit de voir que je traduis des langues que je ne connais même pas et surtout qu'on ne m'a pas imposées de force.


Je connais çà, ces langues qu'on impose… Ora e sempre : resistenza !


Et, il faut comprendre, Lucien l'âne mon ami, que la langue devient enjeu politique à partir du moment où on l'impose pour museler les aspirations des êtres, mais aussi pour leur imposer une domination et une exploitation, y compris économique, y compris politique. Pour que nos amis italiens comprennent bien : la partie flamande de ce faux pays est sous la houlette de ce qui ressemble à la Ligue du Nord (en Italie) ou au national-radicalisme de Madame Le Pen (en France) et ces gens-là imposent en bons nationalistes leur conception de la société. Et leur moteur est la langue ; un peu comme pour le pangermanisme, celui des Allemands de souche, fut pareillement porté par d’autres nationalistes d'un autre temps.


Rien d'étonnant dès lors que les gens d'où qu'ils soient, n'aiment pas qu'on leur impose d'autres langues que la leur. J'imagine que c'est ton cas…


En effet, Lucien l'âne mon ami, cela se passe ici même, mais c'est aussi le cas par exemple au Québec, en Suisse romande, en Catalogne, en Euzkadi… Je n'en dirai pas plus. Je préfère laisser courir la réflexion au fil du temps.


Je pense que tu fais bien, car la chose est complexe et à mon sens, elle se dénouera d'elle-même. Cela dit, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde nationaliste, oppresseur, tyrannique et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Parfois, on le trouve au café
Accroché à un verre,
Les yeux à demi-fermés
Et la bouche sèche.
Parfois, sur un banc vert
Dans un parc éloigné,
Admirant son petit-fils dont il est toqué.

Il est né quand est passé
Le siècle dernier.
Fils d'un petit commerçant,
Il alla à l'école jusqu’à quatorze ans ;
Puis, on le mit à travailler.
Apprenti ou je ne sais.

Il conserve au creux de sa main
Le parfum parisien
Des vingt ans d'une fille
Nuage déjà dissipé
Et son canotier de paille beige
Illumine les cafés
Ou les concerts du parc Güell, le dimanche.

Il garde dans le fonds d'un tiroir discret
Certain très vieux « Diluvio »
Où dorment des mots
Que le temps a défaits.
S'ils savaient le bien qu'ils t'ont fait,
Vaincu peu t'appelleraient .
Ce dix-huit juillet de trahison
Cent mille fois maudit
Te vola ton sourire
Et une volée de compagnons,
Peur, sang, bombes et canons,
Témoins d'un triomphe
Qui t'a rejeté très loin d'ici.

Puis, l'exil, les Pyrénées, la France,
Des gens de coutumes différentes
Et l'ardeur vrillée dans la poitrine
Qui garde l'espoir que ton temps revienne.
Nous combattons tous dans cette espérance.