jeudi 10 août 2017

NORDEST

NORDEST

Version française – NORDEST – Marco Valdo M.I. – 2017
Chanson italienne (Veneto Goriziano) – NordestFrancesco Pelosi – 2016


GORICA - GORIZIA- GÖRZ
1900




Francesco Pelosi : originaire de Parme, né le jour de la Toussaint de l’orwellienne 1984, haut d’environ deux mètres, nanti d’une paire de rouflaquettes dignes du Risorgimento, une voix qui décape, excellent guitariste et capable de chanter et d’écrire dans tout dialecte italien d’Aoste au Cap Passero. En synthèse. De quelque temps déjà, il fait partie de ce qu’informellement j’appelle la « Banda degli Incliti & Sommersi Cantautori Italiani del XXI Secolo – Bande des Auteurs-compositeurs italiens du XXI Siècle glorieux & méconnus », une bande décidément mobile et variable ; ainsi, on croise Pelosi de Parme en trio avec Lega et Giromini, avec Giromini et Rocco Rosignoli, tout seul, parfois, il y a l’autre Rocco (Marchi) qui joue de tout comme Otto et Barnelli (à propos, un « salut » éternel à ce dernier) y compris de cet instrument dont j’ai découvert qu’on l’appelle « diamonica », mais que je persiste à nommer « pippòfono - pipophone», et ainsi de suite.

Pelosi Francesco de Parme est l’auteur de cette chanson qui, du premier coup, a enlevé le premier prix au 23e Concours National « Giovanna Daffini », avec cette motivation précise : « 1er Prix (« Trophée Giovanna Daffini », semble un peu une course cycliste d’amateurs mais bon) pour le texte « Nordest », magistrale interprétation accompagnée d’une palette sonore de forte suggestion ». Je reprends ceci de l’opuscule + CD délivré à Motteggiana (MN) le 4 juin passé 2017 à l’occasion de la remise des prix, un dimanche déjà torride de ce très torride été et un peu plus qu’une heure avant me parvenait la nouvelle de la mort de Lorenzo Bargellini. Mise à part la « palette sonore », le Concours dédié à Giovanna Daffini dans son pays natal est très important, et cela fait comprendre à la perfection face à quoi nous sommes. Sans compter le fait pas du tout secondaire que lors de certains des dimanches estivaux asphyxiants, il est bon d’avoir Pelosi devant parce qu’il réussit à donner de l’ombre à tous, même à moi qui ne suis certes pas un petit nain.

Le texte de la chanson est en dialecte vénéto-goricien (je le spécifie, vu que je présume qu’il existe aussi un dialecte slovène parlé de ce côté), pour lequel Francesco Pelosi s’est fait aider par le goricien Michel Torrisi. Malheureusement, aucun vidéo de la chanson n’est pour l’instant disponible et de ce fait, nous demandons une aide, s’il nous lit, à Pelosi lui-même. Et ici il me plaît dévoiler la surprise : en réalité, Pelosi, eh bien oui, nous l’avions déjà présent dans ce site et depuis le 2010, caché dans les replis de La vie s’écoule, la vie s’enfuit, la célèbre chanson situationniste de Raoul Vaneigem dont Francesco Pelosi est l’auteur d’une version italienne qu’il chante toujours et pour laquelle avons eu une intéressante et amusante dissertation à propos de la célèbre « datation situationniste » et des encore plus célèbres « ouvriers belges en grève » [parmi lesquels « ouvriers belges en grève figuraient également des employés, des étudiants, des enseignants, dont Raoul Vaneigem, par exemple ; ladite grève étant insurrectionnelle, générale et dura un mois, ce qui laisse plus que le temps nécessaire pour écrire une chanson et la possibilité de la ressortir en publication des années plus tard». Je dis ça afin de nourrir un peu plus la « fameuse dissertation ».MVMI]

La chanson est accompagnée une traduction en italien courant qui est reprise de l’opuscule/CD. Cependant, naturellement, il y a davantage encore. Étant donné le désir, exprimé dans le texte même, de vouloir la chanter « en dialecte, en ladin, en furlan, en allemand, en slovène », nous nous déclarons prêts à donner un coup de main à Francesco pour faire advenir son souhait. En dialecte, ce l’est déjà en allemand nous y avons pourvu nous-mêmes, pendant que pour le ladin, le furlan et le slovène, on verra e qu’on pourra faire… [RV]


Dialogue maïeutique

Voici, Lucien l’âne mon ami, une chanson sur le Nordest…

Lequel ?, dis-moi Marco Valdo M.I. mon ami, car des Nord Est, il y en a beaucoup. Serait-ce le Nordeste brésilien qui a la taille d’une demi-Europe ? Celui de Chine, celui d’Inde, ou que sais-je encore ? Ou plus modeste, le Nord-Est de la France à deux pas de chez nous ?

Arrête-toi, Lucien l’âne mon ami, ne t’emballe pas ainsi. Si tu m’avais laissé finir ma phrase, tu le saurais déjà. Comme c’est une chanson italienne, comme c’est un chanteur italien, il s’agit tout simplement du Nordest italien, un territoire d’une superficie qui n’est pas aussi gigantesque que le Nordeste brésilien, mais un lieu qui recèle une histoire lourde et douloureuse, celle que raconte la chanson ou plus exactement,celle qu’elle évoque n’étant qu’une chanson et pas un savant traité d’histoire politique. En deux mots, c’est cette région au nord-est de Venise, qui partage sa frontière avec la Slovénie actuelle, elle-même partie de l’ancienne Yougoslavie. La région où se trouve Gorice, qui en italien se dit Gorizia, cette ville maudite qu’est la Gorizia de la chanson, intitulée « Ô Gorizia, sois maudite ! ». Souviens-toi de ce qu’elle disait et de ce que disaient les commentaires à son sujet. Je n’en dirai pas plus cette fois. Il me faut juste ajouter une petite parenthèse supplémentaire en ce qui concerne le Vajont et Longarone, où outre tous les massacres militaires, outre l’« urbicide » qui frappa Gorizia après la guerre (la population d’origine chuta de 35000 à environ 3000 habitants) et la politique d’italianisation forcée menée par les fascistes et poursuivie depuis, il faut aussi noter le malheur supplémentaire qui frappa le Nordest le jour où la montagne s’effondra et où le contenu du barrage du Vajont descendit dans la vallée et balaya, notamment, Longarone.

Comme si la bêtise humaine ne suffisait pas, dit Lucien l’âne.

En effet, répond Marco Valdo M.I. ; cependant, cette chanson est aussi une « chanson douce » qui parle, murmure, susurre par-delà les frontières et les déchirures et pour mieux dire, en appelle au poète frioulan qu’était Pier Paolo Pasolini :

Je voudrais te laver dans l’eau la plus fraîche de mon pays :
« Fontaine d’amour rustique,
Il n’y a pas d’eau plus fraîche
Que celle de mon pays ».

Il est temps de conclure ; alors, Marco Valdo M.I. mon ami, une fois encore faisons notre tâche infiniment longue, aussi longue que le malheur, car elle durera tant qu’il y aura la guerre, et tissons le linceul de ce vieux monde malade des frontières, nationaliste, myope, détestable et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Je chante une douce chanson pour toi
Qui dans le Nordest, es née,
Je voudrais la chanter, en ladin, en dialecte
Du Frioul-Vénétie-Julienne, en allemand, en slovène.
Mais
mon cœur me dit : « Montagne, bois,
Plateau, lagune et plaine »,
Mon cœur me raconte la terre volée,
Me raconte ton visage
Qui l’a consolée.

La Grande Guerre m’a pris mes fils,
Elle m’a pris mes montagnes et tes yeux.
La Grande Guerre m’a pris
mon nom,
Ma terre, ma langue et tes yeux.

Et toi qui te vêts du nom du vent
Du nom du vent
Qui de la Carnie court à Venise,
Monte au Tyrol et descend vers Gorice,
Qui t’appelles comme le crépuscule,
Qui voit Trieste de la mer,
De l’ombre de vin qui baise la rage
Et l’allume,
Et l’allume.

La Grande Guerre m’a pris mes fils,
Elle m’a pris mes montagnes et tes yeux.
La Grande Guerre m’a pris
mon nom,
Ma terre, ma langue et tes yeux.

Et de quelle autre façon, pourrais-je te chanter,
Toi qui au Nordest es née ?
Avec tout ce sang qui tonne
De la Yougoslavie, du Vajont à Longarone,
De cent ans et plus de séparation et de tranchées,
D’une vie pour toujours à la frontière,
Toujours étrangère, toujours étrangère,
Je voudrais te laver dans l’eau la plus fraîche de mon pays :
« Fontaine d’amour rustique,
Il n’y a pas d’eau plus fraîche
Que celle de mon pays ».

La Grande Guerre m’a pris mes fils,
Elle m’a pris mes montagnes et tes yeux.
La Grande Guerre m’a pris
mon nom,
Ma terre, ma langue et tes yeux.
Et tes yeux,
Et tes yeux.