À L’OMBRE
Version
française – À L’OMBRE – Marco Valdo M.I. – 2018
Texte
de
Trilussa, de son recueil
“Giove e le bestie”, 1932.
Musique : Guido Rocca et Piero Umiliani
Musique : Guido Rocca et Piero Umiliani
Dialogue
maïeutique
Ah,
dit Lucien l’âne, quelle bonne idée de faire une version
française de cette chanson All’ombra, car c’est toujours un bon
moment quand on peut tel le
ramasseur d’olives à l’heure de la méridienne
s’allonger sous le couvert. Même nous les ânes, on aime ça.
Et
comment donc, Lucien l’âne mon ami, c’est un plaisir
universellement partagé. Cependant, la chanson va au-delà de cette
joie simple. Pour une double raison que je m’en vas t’expliquer
tout à l’heure, ce qui veut dire bientôt, ou bien ici et
maintenant, sur le champ, sans dételer, mais pourrait tout aussi
bien vouloir dire tantôt ou plus tard.
S’il
te plaît, Marco Valdo M.I. mon ami, ne te lance pas dans de telles
considérations langagières, même si – je le reconnais, tout à
l’heure veut dire tout de suite ou dans un instant, tout en
sous-entendant quand j’aurai fini de dire ce qui me passera par la
tête d’ici-là. Je n’ignore pas ton penchant à la digression et
parfois, il m’importe de le réfréner. Lors donc, dis-moi ce que
tu avais l’intention de m’expliquer – sans plus faire de détour
– à propos du sens de cette chanson qui, soit dit en passant, est
assez simple et direct.
Eh
bien, Lucien l’âne mon ami, précisément, non. C’est, comme je
te l’ai annoncé, une chanson à double ou triple sens. C’est ce
qui fait toute sa richesse et qui est sans doute à l’origine de sa
conception en ce qui concerne la version de Trilussa, lequel était
fabuliste et s’approvisionnait au magasin de l’Antiquité et aux
échos de la rue. Pour ma part ici, afin de ne pas compliquer les
choses, je m’en tiendrai à chanson de Trilussa et à ma version
française. Donc, Trilussa lit son journal et dit-il, parle à des
animaux et en tire la satisfaction qu’ayant ainsi parlé, il n’ira
pas pour autant en prison. Forcément, sauf peut-être chez Orwell,
on n’imagine pas l’âne ou le cochon s’en allant déposer
plainte et d’ailleurs à quel sujet ? Alors ? Que peut-il
craindre s’il s’adresse à des humains ? Ici et aujourd’hui
dans notre réserve indienne de Wallonie, sans doute rien. Mais
ailleurs ?
Allez
savoir, dit Lucien l’âne. Une dénonciation, ça s’est déjà vu
que dans certains pays, elle soit suivie des pires traitements.
Voilà
le deuxième sens de la chanson, reprend Marco Valdo M.I. ; pour
le troisième niveau, il suffit de voir le lieu et la date de cette
chanson : Rome, 1932. Là à Rome et dans tout le pays et à ce
moment (et à nouveau aujourd’hui ou demain), l’ambiance était
pourrie par le fascisme. La surveillance était constante et la
dénonciation était devenue un art fort pratiqué. Tel est le sens
de la chanson : dénoncer la dénonciation, en tout cas, la
prévenir, dire son fait au régime et à son goût pour la délation
organisée.
Comme
tu le soulignes, Marco Valdo M.I., il y a des endroits où cette
chanson est d’une brûlante actualité. Enfin, nous, nous tissons
le linceul de ce vieux monde délateur, dénonciateur, espion,
sycophante et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Installé à l’ombre d’un parasol,
Je vois un porc et je dis : – Salut, cochon !
Je vois un ânon et je dis : – Salut, bourricot !
Sans doute, ces bêtes ne me comprennent pas,
Mais j’ai au moins la satisfaction
De pouvoir dire les choses comme elles sont
Sans peur de finir en prison.