vendredi 17 janvier 2020

SMYRNE



SMYRNE


Version française – SMYRNE – Marco Valdo M.I. - 2020
d’après la version italienne de Gian Piero Testa SMIRNE (insertion 2020)

ParolesPythagoras / Πυθαγόρας
Musique
Apostolos Kaldaras / Απόστολος Καλδάρας
Interprète – Giorgos Dalaras / Γιώργος Νταλάρας





SMYRNE II
Jean Lurçat – 1924



Dès l’indépendance grecque, fleurit le projet d’étendre la souveraineté grecque sur une partie de l’ancien empire byzantin, l’Anatolie occidentale et Chypre, et d’élire Constantinople comme capitale de l’État élargi, la Megali Hellas / Μεγάλη Ἑλλάς, une Grande-Grèce du 20e siècle qui s’étend vers l’est.
De 1830 à 1914, la Grèce progresse vers le nord avec la conquête de la Thessalie, de la Macédoine, de la Thrace, de la Crète, des îles égéennes, grâce entre autres aux guerres balkaniques de 1912-13. La Grèce entra tardivement dans la Guerre Mondiale ; ensuite, les conflits se poursuivent jusqu’à la « Grande Catastrophe » (1923) : la disparition de l’hellénisme en Asie Mineure après plusieurs millénaires.
1922 marque la défaite de la Grèce après trois ans de guerre contre la République turque nouvellement formée. Cet épisode est entré dans l’histoire sous le nom de Mikrasiatikí katastrofí / Μικρασιατική καταστροφή : « la catastrophe d’Asie mineure ». C’est la conséquence d’un nationalisme fou qui a produit les fumées de la Grande Idée/ Μεγάλη Ιδέα .
Des atrocités ont été perpétrées des deux côtés. Les Grecs en retraite ont massacré des civils turcs, ont commis des dévastations et des incendies dans la région de Smyrne. Plus terribles encore furent les massacres perpétrés par les Turcs contre les populations grecques du Pont et les Arméniens (en plus des massacres des années précédentes). Pour les Grecs des districts de la mer Noire, il existe des documents faisant état d’environ 16 000 meurtres.
Le déplacement des réfugiés a été une catastrophe dans la catastrophe : 800 000 musulmans ont quitté la Grèce, principalement le nord de la Grèce, pour la Turquie, tandis que 1 500 000 Grecs ont été évacués d’Anatolie vers la Grèce. La Grèce comptait 4,5 millions d’habitants en 1922 : on peut imaginer ce que la poussée démographique de 33 % et l’intégration dans un pays pauvre ont signifié pendant de nombreuses années, d’autant que la plupart des réfugiés ne parlaient même pas le grec.
Les événements de la Grèce, les événements politiques, sociaux et culturels des vingt années suivantes, ne peuvent être compris sans faire strictement référence à ces faits.
En 1972, à l’occasion du cinquantième anniversaire de ces événements de la « Grande Catastrophe », le compositeur Apostolos Kaldaras et le parolier Pythagore Papastamatiou ont gravé l’album Μικρά Ασία – Asie Mineure .
[Riccardo Gullotta]




Dialogue Maïeutique


Smyrne, dit Lucien l’âne, voilà le nom d’une ville qui fleure bon la Grèce orientale, cette Μικρασια, cette petite Asie, cette Asie mineure et qui me rappelle ma participation – légèrement forcée et pas trop enthousiaste à la grande retraite, cette Anabase que conta, il fut un temps, l’excellent Xénophon. Elle me met en mémoire aussi les délices des poésies de Sappho, poétesse d’une île voisine. Capitale de cette Ionie qui vit naître et prospérer la philosophie. Je garde ainsi Smyrne au fond de ma mémoire.


Oui, dit Marco Valdo M.I, c’est ainsi que Smyrne se tient à l’aube de la civilisation gréco-romaine, dont nous sommes les descendants. Ce serait à soi toute seule une raison de chanter sa gloire. Mais tel n’est pas l’argument de la chanson, même si on doit absolument garder en tête cette dimension historique, car tout se construit sur cet arrière-plan.


Certes, reprend Lucien l’âne, on a trop souvent tendance à ne pas percevoir les profondes traces qui marbrent l’histoire humaine. C’est sans doute un effet de la brièveté de la vie individuelle de l’humain quand elle est confrontée au temps historique ; plus encore évidemment, quand il s’agit d’affronter l’écart avec un temps préhistorique, transhistorique et on peut même y ajouter le temps géologique, astronomique, galactique, qui sont des temps de durées considérables, quasiment hors d’atteinte de la compréhension commune. Tous ces temps ont des tempos différents, des rythmes décalés et cependant, interagissent les uns dans les autres. En fait, toutes ces mécaniques s’entrecroisent et superposent leurs actions. Ce sont des moments, des moteurs, des mouvements, des formes de vie qui font ce qu’on résume sous le nom d’évolution. Ainsi en va-t-il aussi de la manière dont on ressent Smyrne.


Donc, Smyrne, en effet, l’Ionie, la philosophie, répond Marco Valdo M.I., mais le vrai sujet de la chanson, c’est la « Grande Catastrophe » (Μεγάλη καταστροφή), telle qu’elle est rappelée dans les livres d’histoire. Cependant, si j’ai pris la peine de donner une version française de ce texte, c’est aussi en mémoire de Gian Piero Testa, tant apprécié, qui nous a souvent conduit sur les traces de la « Grécité », de la « Romiosine » – « Ρωμιοσύνη » que chantait Yannis Ritzos. C’est d’ailleurs en référence à ce poème de Ritzos que j’ai introduit ce mot dans ma version en langue française. Au fait, pour éviter toute équivoque, je précise que « Romiosine » – « Ρωμιοσύνη » désigne l’ensemble grec, celui qui s’étend au-delà des limites nationales.


Au passage, conclut Lucien l’âne, il serait sans doute utile designaler aux touristes distraits et oublieux que Smyrne est une ville située dans un temps que les enfants d’à présent ne peuvent pas connaître et qu’ils en trouveront mention sur les tableaux d’aérogares sous le nom turc d’Izmir, une ville, un port de plusieurs millions d’habitants. Enfin, car il faut bien en finir – sans trop de mélancolie, tissons le linceul de ce vieux monde nationaliste, communautariste, bardé de frontières et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Smyrne brûle, mère, brûle et nos biens aussi.
Notre chagrin ne se dit, notre peine ne s’écrit.


Romiosine, Romiosine, jamais rassérénée,
Tu vécus un an dans la paix et trente dans les flammes…
Romiosine, Romiosine, jamais rassérénée,
Tu vécus un an dans la paix et trente dans les flammes…


Smyrne est perdue, Mère, nos rêves ont disparu…
Qui s’accrochait aux navires, même ses amis l’ont battu.


Romiosine, Romiosine, jamais rassérénée,
Tu vécus un an dans la paix et trente dans les flammes…
Romiosine, Romiosine, jamais rassérénée,
Tu vécus un an dans la paix et trente dans les flammes…