mardi 9 décembre 2014

BETTOGLI, 1911

BETTOGLI, 1911


Version française – BETTOGLI, 1911 – Marco Valdo M.I. – 2014

Chanson italienne – Bettogli, 1911 - Bededeum2008






Le texte du morceau est inspiré d'un fait réel : le 26 Juillet 1911, dans la marbrière, propriété des Comtes Lazzoni, dans la localité de Bettogli (près de Carrare), la montagne s'écroula tout à coup, en tuant dix mineurs, dont quelques-uns très jeunes.

C'est seulement un des multiples épisodes qui pourraient être racontés, dans l'interminable défilé de morts dans les carrières de Carrara ou dans n'importe quel autre lieu de travail…
La mélodie est un morceau traditionnel écossais « Clyde's bonnie banks », elle aussi inspirée d'un dramatique incident minier produit à Blantyre (près de Glasgow) le 22 Octobre 1877, où moururent plus de deux cents mineurs.

Ce morceau est dédié à tous les morts au travail, de tous les temps et de partout, et à la mémoire de ceux qui, comme Alberto Meschi, se sont battu généreusement pour que cette extermination cesse.

Alberto Meschi (1879-1958), anarchiste et syndicaliste italien, est un personnage remarquable à plus d'un égard et sa vie vaut la peine d'être contée.
Maçon et autodidacte, dès sa jeunesse, il entre dans les organisations ouvrières de La Spezia. En 1905, il émigre en Argentine où il poursuit durant quatre ans son travail syndical ; puis, expulsé, il rentre en Italie et à partir de 1911, il dirige la Bourse du Travail de Carrare ; il prend la tête des luttes des carriers des Alpes apuanes et des travailleurs de la Versilia. Soldat lors de la 1ère Guerre Mondiale, il finit prisonnier dans les Carpates. À la fin du conflit, il revient chez lui et reprend vite sa place à Carrare, en entrant au Conseil général de l'Union syndicale italienne.

Après l'avènement du fascisme en mai 1922 , Meschi se réfugie en France. Il est un des fondateurs de la Concentration Antifasciste et de la Ligue italienne des droits de l'homme. Lors de la Guerre civile en Espagne, il rejoint la Colonne Rosselli, qui regroupe des Italiens antifascistes combattant aux côtés des républicains espagnols contre les franquistes, les fascistes et les nazis. À la chute de la République espagnole, il revient en France. Quelques années plus tard, comme Joseph Porcu [[8748]] et des milliers d'autres, il est arrêté par le gouvernement collaborateur de Pétain. À la fin de 1943 après une fuite rocambolesque, il revient clandestinement en Italie et, au lendemain de la Libération du 25 avril 1945, il est chargé par CLN (Comité de Libération Nationale) de diriger la Bourse du Travail de Carrare, jusqu'en 1947. Puis, pendant environ 20 ans jusqu'à sa mort, il a continué à s'intéresser à la problématique de l'unité syndicale en développant aussi une activité éditoriale en se consacrant à la publication du « Cavatore » (Carrier), une feuille syndicale.

Par sa vie aventureuse et son travail de syndicaliste, il est devenu, pour les travailleurs du marbre , le personnage emblématique du syndicalisme « apuano ». Secrétaire de la Bourse du Travail de 1911 à l'immédiat après-guerre, avec la parenthèse du Ventennio fasciste, Meschi, homme au caractère certes tenace et rugueux mais aussi homme de médiation dans les longues négociations syndicales, sut cicatriser les déchirures internes entre les composantes socialistes, républicains et anarchiques et guider les travailleurs à des conquêtes syndicales et sociales qui restent exemplaires : comment ne pas se rappeler la réduction de l'horaire journalier de 12 heures à 6 heures 50 pour les travailleurs du marbre.



Carrare épiait en silence sa plainte,
Le matin d'automne où je rencontrai

Ce visage de seize ans que la douleur égratignait ;
Chaque larme était un sillon qui jamais ne disparaîtrait

« Dis moi, je te prie, qui ou quoi t'a blessée… »
Surprise, elle leva les yeux, dénoua son cœur et parla :

« Vingt ans, la chaleur d'un baiser. Et un sourire…
Ainsi l'homme que j'aimais à la montagne monta….

Il avait les yeux couleur du bois qui domine la mer,
Le courage du faucon qui défie le soleil… »
Chaque muscle tendu à briser la pierre,
La roche plus blanche que la Lune offre…

Mille hommes accrochés au flanc de la montagne
Pour un gramme de pain que le patron nous donne…

Un instant à peine, suspendu dans le temps…
Le fracas de la montagne submerge les cris

Ensuite sur chaque corps, le vent pieux pose…
Comme un blanc linceul, la poussière blanche.

La corne sonne et les cœurs s'éteignent,
Et un fleuve de plaintes de la carrière monte…

Châles noirs, moites, avec l'angoisse dans les pieds ;
Sur les lèvres, ce nom tremble et demande pitié…

Dix flambeaux allumés sur la route des maisons ;
L'un est l'homme que j'aimais qui jamais plus ne reviendra

Rouge est la sueur qui lave la pierre,
Noir le destin qui ne laisse pas de trêve…

De celui mort en arrachant une bouchée à la vie,
Le visage et le nom, il vous faut vous souvenir.


STRENTA ANDREA 20 ANS, PASQUINI ANGELO 71 ANS, GARELLA GIUSEPPE 43 ANS, MAZZI LUIGI 32 ANS, GIROMINI ROMEO 30 ANS, MUSETTI GIOVANNI 35 ANNI, FRACASSI MASSIMO 47 ANS, VERDINI DOMENICO 31 ANS, BARBIERI CLEONTE 15 ANS, CUPINI GALLIANO 13 ANS


GÉRARD DUVAL, TYPOGRAPHE


GÉRARD DUVAL, TYPOGRAPHE

Version française – GÉRARD DUVAL, TYPOGRAPHE – Marco Valdo M.I. – 2010

Chanson italienne – Gerard Duval, tipografo – Bededeum – 2008



... j'ouvre le livret et je lis lentement : Gérard Duval, typographe.







Ce morceau est inspiré d'un épisode du livre d'Erich Maria Remarque À l'Ouest rien de nouveau (Im Westen nichts Neues, 1929), dans lequel le protagoniste, le soldat allemand Paul Börner, durant la première guerre mondiale, sur la lancée d'un assaut, affronte et tue, dans un combat en corps à corps, un soldat français, sauté à l'improviste dans la tranchée où il cherchait lui aussi un abri. Il le tue comme ennemi, mais ensuite se retrouve à affronter la mort d'un de ses semblables, un gars comme lui, qui a une identité, des amours. Un prénom et un nom.

Il fouille le cadavre à la recherche d’un indice qui lui permette de découvrir son identité. Il ressent le poids de sa faute et le besoin d'expier. Il trouve un livret avec certains documents. ... »Je fais le vœu, aveuglément, que je vivrai dorénavant seulement pour lui et pour sa famille, et je continue à lui parler les lèvres humides, et dans mon cœur, il y a l'espoir que je me rachète de cette manière et que je puisse sortir sauf d'ici, et, plus profondément encore, la petite réserve mentale qu'après viendra du temps et on verra. Pour cela, j'ouvre le livret et je lis lentement : Gérard Duval, typographe. Avec le crayon du mort, j'écris l'adresse sur une enveloppe et je replace en vitesse tout le reste dans sa tunique.
J'ai donc tué le typographe Gérard Duval. Je dois devenir typographe, je pense tout désorienté, je dois devenir typographe, typographe... »
Nous avons imaginé que dans ce livret pouvait se trouver la dernière lettre que Duval a écrit à sa femme peu avant l'assaut.



La Lune suit la dernière étoile
Dissout la nuit dans le ciel
L'ombre se resserre sur moi
Comme si elle avait peur
Dans le silence de la nuit,
Le hurlement du soleil se rapproche
Derrière chaque rayon un espoir
Mais seul le froid longe mon dos

La dernière nuit, la dernière étoile...
Comme si elles avaient peur...
J'écris pour te dire des choses déjà dites,
Dans le fleuve d'encre versée,
Les mots suivent un sens.
Mais que peut te dire une voix de papier,
Dans le vide de la chair ,
Quand le moindre rêve est violé ?

Ils m'ont emmené en terre
Dans le ventre de boue d'une tranchée,
Je n'ai plus d'encre sur les mains
Mais du plomb et du sang et ce qui reste...
La dernière nuit, la dernière étoile...
Comme si elles avaient peur...
Dans dix minutes, on part à l'assaut...
Je t'écrirai bientôt... Tu me manques.