Katheline, la bonne sorcière
Chanson
française – Katheline, la bonne sorcière – Marco Valdo M.I. –
2015
Ulenspiegel
le Gueux – 1
Opéra-récit
en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La
Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses
d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs
(1867).
Proclamation
solennelle tirée de la harangue du hibou Bubulus Bubb :
« De
quoi vit votre politique depuis que vous régnez sur le monde ?
D'égorgements et de tueries.
Moi,
hibou, le laid hibou, je tue pour me nourrir et nourrir mes petits.
Je ne tue point pour tuer. Si vous me reprochez de croquer un nid de
petits oiseaux, ne pourrais-je pas vous reprocher le carnage que vous
faites de tout ce qui respire ?
…
Poète
criard, tu tapes à tort et à travers sur ceux que tu appelles
bourreaux…. Tu n'es pas prudent… Il est de gens qui ne te
pardonneront point… tes personnages principaux sont des imbéciles
ou des fous, sans en excepter un : ton polisson d'Ulenspiegel
prend les armes pour la liberté de conscience ; son père Claes
meurt brûlé vif pour affirmer ses convictions religieuses ; sa
mère Soetkin se ronge et meurt de suite de la torture… »
Lucien
l'âne mon ami, il m'est venu l'autre jour, je ne sais plus trop à
quelle occasion, ou plutôt,
je ne le sais que trop bien, car c'est là une idée qui depuis si
longtemps me trotte dans la tête… il m'est venu l'idée de
raconter en chansons, comme je l'ai fait pour
d'autres histoires,
les aventures picaresques de Till
le Gueux, mieux connu sous le nom de Till
Ulenspiegel, telle qu'elle fut narrée de
façon si extraordinaire par
le
bon Charles
De Coster
(http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_De_Coster),
dont
ainsi nous prendrons l'erre.
Oh,
je me souviens très bien mon ami Marco Valdo M.I. à quelle occasion
récente on doit cette décision et c'était celle de la mise en
parallèle de l'Asino romain, cette revue qui me tient tant à cœur
et l'Uylenspiegel, une revue du même tabac anticlérical, publiée à
Bruxelles au milieu du XIXième siècle, où Charles De Coster fit
ses armes.
Donc
voilà établie l'origine de cette nouvelle épopée, que n’aurait
pas désavouée Jacques Brel, lui qui incarna un superbe
Don
Quichotte , par exemple. J'ai voulu ce Till sans doute pour les mêmes
raisons que son romancier-auteur auquel, comme De Coster le fit lui
aussi de légendes et de récits antérieurs, j'ai emprunté tant et
plus ; on le constatera. Comme il se doit, je ferai Till à mon
image, plus ouvertement lui-même que dans les légendes allemandes,
flamandes et même, chez De Coster. Je lui laisserai montrer que sa
gueuserie est une des figures de l'anarchie et son combat pour la
liberté de conscience, la pratique d'un athéisme irréductible.
Si
certains, oppresseurs en diable, criminels insignes se vantaient
d'avoir Dieu avec eux et il y en a encore de ces jours… Nous –
toi, moi et Till, sommes tout simplement sans dieu, sans religion
d'aucune sorte. Car : il n'y a que comme ça que nous
respirons, que hop là, nous vivons.
Il
me paraît que tu te lances là dans un projet grandiose.
Souviens-toi que Charles De Coster mit dix longues années à écrire
– sur la petite table de sa chambre, à côté de son lit de fer,
le cul sur une simple chaise – son Till…
Je
ne l'ignore pas. Mais d'autre part, je n'ai pas la prétention de
faire une œuvre de l'amplitude et de la hauteur de celle de De
Coster, qui fit là un des chefs d’œuvre de la littérature
mondiale et de plus, en le sachant. Je me contenterai de suivre sa
trace et de-ci de-là, la marquer d'une chanson, « car ça
m'amuse, car ça m'amuse... ».
Soit.
Mais dis-moi un peu pourquoi tu as donné comme titre à la première
chanson de la série : « Katheline, la bonne sorcière »…
Alors
là, je le sais, au moins en partie. D'abord, parce que chez De
Coster, Katheline est celle qui met au monde Till et tu connais mon
goût pour les naissances, à commencer par celle de Tristram Shandy.
Ensuite, et c'est le titre qui l'indique : c'est un titre
quasiment sorti de Brassens : mettons en parallèle :
Margoton,
la jeune bergère
…
et cette Katheline, la bonne sorcière… Et
ce n'est pas tout, puisque, comme on le sait, la sorcière est un
personnage central du « Christ s'est arrêté à Eboli »
et de la peinture de Carlo Levi… La sorcière, je le rappelle, est
pour Carlo Levi est, et pour moi aussi, l'image de la Mère
Universelle, de la femme qui prend soin de tous, dont l'Église
catholique a voulu brouiller l'image en inventant la Madone… et en
brûlant les sorcières. Et enfin, Katheline, la bonne sorcière,
renouant avec l'Antiquité grecque renvoie à Cassandre
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Cassandre),
annonçant les dangers à venir. C'est un personnage très complexe.
Je
commence à m'en rendre compte. Je suis, j'ai grand plaisir à le
dire, diantrement heureux que tu donnes une place à Till, car –
comme je l'ai croisé à plusieurs reprises dans toutes ses
aventures, je l'ai porté sur mon dos… c'est vraiment un gars
sympathique, empli d'une honnête impertinence. Je me réjouis déjà
de la suite. Cela dit, revenons à notre tâche et tissons le linceul
de ce vieux monde où l'on vénère les Madones et où l'on
déconsidère les sorcières, gloria, gloria pour Katheline et toutes
ses sœurs de par le monde…, ce vieux monde plein de religions
excédentaires, de divinités superfétatoires, de dieux impotents et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Dans
le même empire
Où
le soleil jamais
Ne
se couchait,
Deux
enfançons naquirent.
À
Damme en Flandre, aux aubépines
Ulenspiegel,
fils de Claes, vit le jour
Dans
les bras de Katheline,
La
bonne sorcière aux doigts de velours,
Avec
la marque du diable à l'épaule,
Petit
point noir sur le destin.
Chanteclair
hélait ses poules,
Le
jour s'étirait au matin.
Katheline
la bonne sorcière
Apportait
l'angélique, le fenouil et le thym;
Toutes
les herbes de la terre,
Toutes
les herbes, mais pas de florins.
Lamme,
Lamme, chasse, chasse,
Par
ici, par ici, le poisson.
Lamme,
Lamme, chasse, chasse,
Brochets,
anguilles, carpes et gardons.
Et
le poisson de la rivière
Miracle
se changea en florins
Et
Katheline la bonne sorcière
En
fit du miel, du lait et du pain.
Quoi,
quoi, qu'as-tu vu,
Katheline,
bonne sorcière ?
Fauchant
les hommes, j'ai vu, j'ai vu
Les
spectres aux yeux de pierre.
À
Charles l'empereur, exactions, crimes, horreurs,
À
Claes le charbonnier, bon vivant et travailleur,
Succéderont
Philippe le bourreau
Till
grand docteur en joyeux propos.
L'infant
Philippe, roi devenu.
J'ai
vu, j'ai vu de mes yeux de sorcière
Les
filles mises vives en terre
Violées
en leurs corps nus.
Ulenspiegel
ne mourra pas, rira de la sottise,
Courra
le monde, toujours défiant la bêtise.
En
haut, les mangeurs de peuple, frelons de l'enfer ;
En
bas, les victimes, ainsi disait Katheline la bonne sorcière.
Dans
le même empire
Où
le soleil jamais
Ne
se couchait,
Deux
enfançons naquirent.