LA LUMIÈRE DÉLAISSE VITE NOS VIES
Version française — LA LUMIÈRE DÉLAISSE VITE NOS VIES — Marco Valdo M.I. — 2022
d’après la traduction italienne — COME FA PRESTO A ANDARSENE LA LUCE — Gian-Piero Testa — 2013
d’une chanson grecque — Πόσο νωρίς φεύγει το φως απ’ τη ζωή μας — Katerina Gogou / Κατερίνα Γώγου — 1981
Texte :
Katerina
Gogou
Musique :
Kyriakos Sfetsas
Disque :
Sto dromo/Sur la Route,
1981
L'ŒIL D’ATHÈNES
Pour éclairer ce poème de Katerina Gogou, pour la récitation duquel, confiée à l’autrice elle-même, Kyriakos Sfetsas a composé la musique en 1981, il faut essayer de se souvenir de la technique photographique avant l’irruption de la photographie numérique : quand on achetait et chargeait des rouleaux de pellicule, on calculait le temps et l’ouverture, développait les négatifs, puis faisait tirer des copies. La lumière de la vie est vécue comme ce qui permet de photographier ; et la vie qui entoure Katerina s’imprime dans les négatifs lugubres d’une réalité déformée, dégoûtante, névrotique, où les hommes sont réduits à l’état d’ombres, et dont on s’échappe soit en s’impatientant, soit, quand cela ne suffit pas, par de vains retours à un passé qui n’est lui-même déformé que parce qu’un avenir ne se dessine pas, soit par un pur défoulement et une provocation gratuite envers ceux qui acceptent cette vie inacceptable et s’y adaptent. Cependant, il y a encore un souffle d’espoir dans ce poème qui émerge dans les derniers vers, où un drapeau noir de l’anarchie semble capable de redonner de la lumière, du cœur et des chemins à l’humanité aliénée et déshumanisée.
Ce texte appartient à la collection Ιδιώνυμο (idem : c’est-à-dire le type de délit que la loi prévoit expressément et poursuit avec des peines plus graves ou plus légères que les peines génériques, selon que le comportement illégal est considéré comme un danger public particulier ou qu’il est plus justifiable au regard de l’éthique commune). (gpt)
Comme la lumière délaisse vite nos vies, mon frère…
À travers nos paupières allergiques,
La vie marche lentement sur nos ongles
Autant qu’on y adhère.
Elle s’efface… Ombre au coin de la rue.
Disparue.
Les ténèbres !
Une photo négative, les gens
Yeux rouges de loups piégés,
Aux prothèses étrangères — des crocs empruntés,
Pour s’en tirer un peu plus longtemps,
Les sangsues s’enfoncent dans nos gorges et sucent nos acnés.
Ce sont ceux du train, je m’en souviens bien,
Qui, à notre premier rêve de partir au loin,
Nous ont jetés sur les rails électrifiés.
Sacs vides sur un passage non surveillé
Comme un poids en trop chargé.
Ceux qui ont : “vécu” — entre guillemets,
Avec mille fusils nous tiennent en respect
De la terrasse de la compagnie du téléphone.
Dans nos chemises de coton, froides et moites,
Nous faisons comme si nous avions une capote
Et voyez, à nous tous une barre violette
Bat encore sous nos paupières.
Comme la vie est chère, mon frère
La qualité baisse, et le courage se dérobe,
Plusieurs fois — mais jamais n’abandonne.
Il y a les antidépresseurs, et par chance,
Penche la balance.
Il n’y a plus rien d’autre devant.
Je m’incline et je serre mes dents.
Je retourne en arrière, l’esprit sanglant
Je retourne en arrière pour me sauver
Et je ne sais où aller.
C’est la merde là aussi — comme on sait -
Partout des fers tordus et des trous d’obus
J’ai peur, je m’embrouille, je suis perdu.
Voici la porte ouverte du supermarché
Et j’entre sans hésiter
J’ai l’air d’un prédateur cherchant où est l’argent.
Et à trouver ce que je peux utiliser.
« Delirium Tremens », « Je veux voler »…
Je rassemble les chaînes stéréo et j’entends
Des airs différents pour chaque appareil
Et la sono à fond à trouer les oreilles.
Avec une paire de ciseaux Singer, ensuite,
Je découpe et j’agrandis leurs bouches.
J’y colle le baiser de la mort glaireux
Et en elles, je vide les psychotropes,
Les pharmacies et les pharmaciens avec eux.
Mort à Byzance aux putains de dynasties,
Aux interventions pacifiques, au diaphragme de mon amie,
Les tirages Kodak vendus et C. Stavrou
S’en est allé mourir où ?
Mort aux Immortels
Drapeaux noirs et ouvrir les feux rouges
— OUVRIR — la route, la bouche,
Les yeux, le cœur et la cervelle.
Ça ferait tomber la porte
Et le vieux film, pareil.
Non. Non, ne le faites pas, ne faites pas des hommes
Des négatifs noirs et de nous, des soleils.