RÉPRESSION-DÉPRESSION
Version française — RÉPRESSION-DÉPRESSION — Marco Valdo M.I. — 2022
d’après la traduction italienne de Riccardo Venturi — Repressione. Depressione. — 2022
d’une chanson grecque — Καταστολή — Katerina Gogou / Κατερίνα Γώγου — 1978
Chanson
sans musique
Tirée
du recueil “Ιδιώνυμο”,
1978
OPHÉLIE
Paul Steck — 1894
En italien (comme en français), la différence subtile entre “répression” et “dépression” est confiée à la consonne initiale. En grec, ce n’est pas nécessaire : καταστολή signifie les deux à la fois, et le grec outre qu’intrinsèquement sacré, est aussi une langue très lucide. En fait, il faut beaucoup de clarté pour comprendre que la répression et la dépression ne sont que les deux faces d’une même pièce, qui interagissent et sont cause et effet de l’autre ; la répression et la dépression dérivent toutes deux d’un ancien verbe signifiant « soumettre » ou « envoyer sous », κατα-στέλλω. Inculquer la dépression comme une forme extrême, efficace et décisive de contrôle, qui brise notre dernière défense sociale en faisant de nous des zombies en costume, des morts parmi les morts. Quelque chose, en effet, qui nous subjugue. Non, Katerina Gogou n’est jamais rassurante, comme ne peut jamais être rassurant celui qui décrit avec une extrême lucidité l’abîme et nos saisons en enfer. En 1978, deux de ses recueils de poèmes sont sortis : Τρία κλικ αριστερά, que nous avons déjà vu plusieurs fois, et cet Ιδιώνυμο ('Proprement dit') pour les éditions Kastanioti, un petit volume illustré par l’auteur elle-même. [RV].
Là où parmi elles, je distingue rasés, les creux
Que les gens nomment ordinairement les yeux,
Pousse une petite croix funéraire
Et une femme dépressive avec des lunettes noires
Avec en main, une laisse lascive,
M’y suit dans mes dernières heures,
Les grandes eaux lugubres des forces obscures
M’appellent à passer sur l’autre rive…
Morts brutalement dans leurs costumes, tombent
Dans les eaux des corps gonflés des tombes
Et à mon crâne s’accrochent, pétales de pierre,
Là où ma chevelure commence. Ils veulent vivre.
Ils ont faim, ils ont faim,
Ils ont tous faim…
À coups de dents, ils mettent en morceaux
Ma dernière défense sociale,
Ce que les gens appelaient mon cerveau
Et sans manger, sans pleurer, je m’affale ;
Je n’ai pas peur, je ne vois pas, je ne parle pas, je ne fuis pas, je ne résiste pas.
Je suis l’autarcique et phosphorescente, des morts, la proie
Je m’en vais au-delà.