dimanche 2 octobre 2022

RÉPRESSION-DÉPRESSION


RÉPRESSION-DÉPRESSION


Version française — RÉPRESSION-DÉPRESSION — Marco Valdo M.I. — 2022

d’après la traduction italienne de Riccardo Venturi — Repressione. Depressione. — 2022

d’une chanson grecque — ΚαταστολήKaterina Gogou / Κατερίνα Γώγου1978


Chanson sans musique
Tirée du recueil “Ιδιώνυμο”, 1978

 

 

 


OPHÉLIE

Paul Steck — 1894


 

 

En italien (comme en français), la différence subtile entre “répression” et “dépression” est confiée à la consonne initiale. En grec, ce n’est pas nécessaire : καταστολή signifie les deux à la fois, et le grec outre qu’intrinsèquement sacré, est aussi une langue très lucide. En fait, il faut beaucoup de clarté pour comprendre que la répression et la dépression ne sont que les deux faces d’une même pièce, qui interagissent et sont cause et effet de l’autre ; la répression et la dépression dérivent toutes deux d’un ancien verbe signifiant « soumettre » ou « envoyer sous », κατα-στέλλω. Inculquer la dépression comme une forme extrême, efficace et décisive de contrôle, qui brise notre dernière défense sociale en faisant de nous des zombies en costume, des morts parmi les morts. Quelque chose, en effet, qui nous subjugue. Non, Katerina Gogou n’est jamais rassurante, comme ne peut jamais être rassurant celui qui décrit avec une extrême lucidité l’abîme et nos saisons en enfer. En 1978, deux de ses recueils de poèmes sont sortis : Τρία κλικ αριστερά, que nous avons déjà vu plusieurs fois, et cet Ιδιώνυμο ('Proprement dit') pour les éditions Kastanioti, un petit volume illustré par l’auteur elle-même. [RV].






Là où parmi elles, je distingue rasés, les creux

Que les gens nomment ordinairement les yeux,

Pousse une petite croix funéraire

Et une femme dépressive avec des lunettes noires

Avec en main, une laisse lascive,

M’y suit dans mes dernières heures,

Les grandes eaux lugubres des forces obscures

M’appellent à passer sur l’autre rive…

Morts brutalement dans leurs costumes, tombent

Dans les eaux des corps gonflés des tombes

Et à mon crâne s’accrochent, pétales de pierre,

Là où ma chevelure commence. Ils veulent vivre.

Ils ont faim, ils ont faim,

Ils ont tous faim…

À coups de dents, ils mettent en morceaux

Ma dernière défense sociale,

Ce que les gens appelaient mon cerveau

Et sans manger, sans pleurer, je m’affale ;

Je n’ai pas peur, je ne vois pas, je ne parle pas, je ne fuis pas, je ne résiste pas.

Je suis l’autarcique et phosphorescente, des morts, la proie

Je m’en vais au-delà.