vendredi 13 mars 2015

DES JEUNES COMME TOI

DES JEUNES COMME TOI


Version française – DES JEUNES COMME TOI – Marco Valdo M.I. – 2015
Chanson italienne – Giovani come te – Rocco Scotellaro – 1954




Ils sont là avec les moissonneurs,
Endormis aux monuments,
Qui attendent la main du patron
Sur leur épaule.






Ah, Lucien l'âne mon ami, voici encore une canzone (comme disait Pétrarque, tu sais bien l'auteur d'un célèbre Canzoniere et qui se prénommait lui aussi, Francesco, lequel est un jeune homme qui nous amuse bien) de notre poète lucanien Rocco Scotellaro, dont je ne crois pas devoir faire la présentation et encore moins, justifier d'icelle. Pour cela, je te renvoie à Mio Padre, dont j'avais récemment présenté une version française. J'espère que tu t'en souviens.


Évidemment, c'était une canzone bouleversante. Mais, je t'en prie, continue… Parle-moi de celle-ci.


Comme tu peux le voir d'après le titre, .celle-ci décrit, raconte , dirais-je plus exactement, les jeunes de son temps et de son lieu. Et tous coptes faits, ces jeunes de ce lieu et de ce temps-là, en ce compris Rocco lui-même qui les interpelle, ne sont pas tellement différents des jeunes de cet autre temps, qu'est le temps d'aujourd'hui. Même désœuvrement, même déambulation, même errance, même désespérance. Même sentiment de révolte, même exigence de reconnaissance sociale, même orgueil au bord du vide de la vie. Mêmes rêves, peut-être, on ne sait rien des rêves qui ne sont pas dits : la vie dans un sourire, la lune dans le puits. Et puis, un jour, même résignation. Même disponibilité au pire comme au meilleur, à ce qui viendra et sur lequel, dans les faits, on n'a pas de prise.


Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, je me souviens très bien de cette lune dans le puits où le Lapin fit miroiter au renard mille poissons d'argent, lune que le loup prit pour un fromage, ainsi qu'il est conté dans le Roman de Renart (il y a presque mille ans), ou que l'amoureux breton prit pour le visage d'une jeune femme, ou tout simplement aussi, n'est-ce pas Narcisse…


Et Goupil le Renart de conclure en latin (de cuisine, cela va de soi) :
« Ecce, amice, caseum quam magnum et bonum ; descende ergo et ipsum affer ». Je sais que tu te souviens très bien de ton latin, même s'il n'est plus tant pratiqué, mais il se pourrait que certains de nos auditeurs lecteurs ne le maîtrisent pas avec la même maestria ; ainsi ne te vexe pas si je traduis cette petite phrase :
« Voici, ami, du fromage si grand et bon ; descend donc et prends-le ». Depuis ce temps, l'affaire (qui, à mon sens, venait de bien avant encore) fut reprise et adaptée mille fois ou plus encore. Je pense que voici la canzone suffisamment introduite et je trouve le texte suffisamment explicite et puis, j'aurais quelque embarras à déflorer la poésie de Rocco Scotellaro.


Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, tu as raison. Il ne faut pas mâcher trop les belles histoires, car elles finissent par en perdre tout leur sel.


Lucien l'âne mon ami, tu as parfaitement compris. Raconter ce que dit la canzone ne sert à rien, puisque la chanson est là pour le dire. Quant à l'expliquer, la manœuvre est délicate : sans compter que cela peut laisser supposer qu'on détient la vérité de la chanson, cela reviendrait en quelque sorte à exposer à l'amoureux putatif (ici , l'auditeur lecteur) dans un langage plat et détaillé les charmes intimes de la belle (ici, la chanson), dans une description que je qualifierais pudiquement de gynécologique. Comme disait Léo Ferré : « La poésie fout le camp Villon ! »


Lors donc, laissons la poésie dévoiler elle-même ses charmes et de notre côté, reprenons note tâche, avançons à notre pas et tissons le linceul de ce vieux monde empli de lunes dans des puits, d'étoiles dans des lacs, de galaxies dans les océans et cacochyme.



Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



Combien tu en fixes dans les yeux
De ces arrogants de la rue, errants,
Jeunes comme toi.
Ils n'ont en poche
Que des mégots noirs
De cigarettes ramassées.
Ils ne savent que se pavaner
Devant les vitrines lumineuses,
Aux comptoirs des bars,
Dans les trams à la rapide course,
Sous la publicité,
Patronne des places.
Souvent, car le temps se tue,
Ils chantent une chanson quelconque,
Où ils se nomment égarés, où ils se disent
Amoureux des bas-fonds
Et se repayent de compréhension.
Une chanson pour couver un fol amour
Des filles bonbons
Qui sont un peu les étoiles toujours vivantes,
Qui sont l'espérance
D'une vie surprise dans un sourire.
Et comment, mais combien,
Ils voudraient la lune dans le puits,
Une route sûre
Qui ne se brise pas à tous les carrefours.
Quand ils accomplissent un geste, leur seul geste,
Ils sont là avec les moissonneurs,
Endormis aux monuments,
Qui attendent la main du patron
Sur leur épaule.
Ils sont avec les porteurs du port,
Contents de leur visage sale
Et leurs bras pendent
Dès que la charge est posée.
Ils se terrent parfois dans des salons
À faire des orgies de fumée et d'existentialisme
Ces jeunes, malades comme toi du rien :
Esprits prêts pour tous les appels,
Anges maudits,
Conscrits et vagabonds,
Compagnons des chiens errants.
Notre jeunesse
C'est le plus sale des drapeaux,
Le plus cru des tourments.
Alors, quand la terre échauffée
Met sur notre dos le tourment du feu
Dans les longs après-midis d'été,
Il est temps de nous inquiéter
De dire oui à l'Homme que nous serons
Et qui nous attend
Au coin de la rue
Avec la faux et le livre à la main !