Le
Matin du Grand Soir
Chanson
française –
Le Matin du Grand Soir – Marc Ogeret – 1968
Chanson
de Bertal-Maubon (ou
Bertal Maubon) est le pseudonyme collectif
de Marcel
Bertal (1882-1953)
et Louis
Maubon (18..-1957),
paroliers de chansons, et auteurs de monologues, vaudevilles, livrets
d'opérettes, pièces de théâtre – début
du siècle dernier
À dix contre un Pour arrêter Ravachol (À l'arrière-plan, le dénonciateur) |
Évidemment,
Lucien l'âne mon ami, tu as déjà entendu parler du Grand Soir,
moment révolutionnaire par excellence, moment terrible où le monde
va basculer…
Comme
tu le dis si bien, j'en ai entendu parler et entendu chanter, bien
évidemment, de ce fameux Grand Soir. D'une certaine manière et pour
certains, c'est une chose terrible et sérieuse. Pour ce que j'en
sais, le Grand Soir fait très peur aux riches…
Évidemment…
Donc, ce Grand Soir a beaucoup troublé l'ordre bourgeois à la fin
du dix-neuvième siècle, au début du vingtième, quand les
anarchistes menaient la guerre aux riches à coups de bombes et
d'armes diverses. Il y a là comme une utopie de révolution :
le Grand Soir aurait vu les pauvres enfin se lever en masse et
liquider l'ordre établi. Et la chose s'est produite, mais comme on
le sait, elle n'a pas donné les résultats escomptés. En fait, les
tenants libertaires du Grand Soir se sont fait avoir par les tenants
des Matins radieux et des lendemains qui chantent. Comme le racontait
Alexandre Zinoviev, persiflant sur le régime en place dans
l'ex-URSS, « Le Communisme est l'avenir radieux du
Socialisme ». En finale, il y a Poutine et son régime de
services. Pendant ce temps, les tenants du Grand Soir, gens
sympathiques au demeurant et généreux, en sont toujours à préparer
sa venue. Ce sont des gens patients qui tissent avec une tranquille
obstination…
Bref,
pour résumer ton propos, ce fameux Grand Soir est un moment
symbolique de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les
puissants font aux pauvres pour maintenir leur domination, accroître
leurs richesses et leurs pouvoirs, étendre leurs privilèges et
conserver leur emprise sur le monde. Le moment où l'humaine nation atteint enfin à l'humanité, débarrassée de la richesse et de l'avidité.
C'est
bien cela. Mais la chanson-elle parle du Matin du Grand Soir,
c'est-à-dire
le jour qui aboutira à cette soirée mémorable entre toutes :
le Grand Soir.
C'est évidemment plein d'ironie et de dérision. Elle est remplie
d'humour et tout en faisant circuler l'idée du Grand
Soir,
elle en montre aussi les limites. D'ailleurs, il suffit de voir quels
en sont les auteurs : ce sont des chansonniers, des auteurs
d'opérettes… Ce ne sont pas des militants qui font dans le
sérieux. Cela dit, tout en sachant que ce qu'elle raconte est pure imagiantion, c'est une chanson qui fait plaisir à entendre ;
un peu comme le coup de pied au cul que Charlot donne à ses
détracteurs suscite une certaine jubilation. Ou comme le discours
d'Hynkel,
apparemment aussi utopique que le Grand Soir. Pour tout dire, c'est un
bienheureux pastiche d'une supposée chanson libertaire, une fameuse
caricature, mais qui donne bien la mesure de ce que les bourgeois
ruminaient dans leurs fantasmes d'anarchie. Cela dit, elle est
carrément désopilante.
Alors,
écoutons-là et de notre côté, reprenons notre tâche – quelque
peu utopique elle aussi – et tissons le linceul de ce vieux monde
consensuel, correct, noyeur de poissons d'eau douce, conservateur et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Vive
Robespierre et vive Cambronne !
Je
suis anarchiste parfaitement,
Vive
l’Anarchie, je révolutionne
Et
puis à bas le gouvernement !
J’ai
des bombes remplies d’Eau de Cologne
Qui
sont toutes prêtes à faire sauter
La
Chambre, le Sénat, le Bois de Boulogne
Et
les chalets de nécessités.
Ha
! Ha !
Bande
de fripouilles et de scélérats !
Patience…
Faudra voir à voir
Quand
viendra le matin du Grand Soir !
Tous
les gens qui nous empoisonnent
Les
épiciers, les boulangers,
Tous
les marchands d’eau en bonbonne,
Les
herboristes, les charcutiers,
On
les parquera à la Villette,
On
les hachera en petits morceaux
Et
en faire de jolies côtelettes
Des
pieds de cochon, des fraises de veaux.
Ha
! Ha !
Nous
allons mettre les pieds dans le plat
Leurs
rognons seront vilains à voir
Quand
viendra le matin du Grand Soir !
Les
patrons qui nous horripilent
Qui
nous cherchent chicane et tracas
Ce
jour-là il faudra qu’ils se tiennent tranquilles
Sinon
il y aura des aléas.
On
les enfermera en masses
Dans
une grande caisse en bois sculpté
Pour
en faire de la ragougnasse
À
grands coups de machine à bosseler
Ha
! Ha ! Pendant ce temps là,
L’orchestre
jouera
La
valse des yeux au beurre noir
Quand
viendra le matin du Grand Soir !
Et
les chameaux de propriétaires,
Fabricants
de quittance de loyers,
Qui
nous fichent comme des locataires
Quand
on n’a pas de quoi les payer,
Eux
autres, on en fera des eunuques,
On
leur coupera leurs prétentions
Et
si jamais leurs femmes nous reluquent,
Ça
sera nous qui les embrasserons !
Ha
! Ha ! Ha !
Elles
auront toutes un ventre comme ça
Et
leur maris tiendront le bougeoir
Quand
viendra le matin du Grand Soir !
Et
les huissiers,
Toutes
ces limaces
Qui
nous flanquent du papier timbré,
Ha,
ils pourront faire la grimace
Mais
pour eux nous serons sans pitié.
Nous
les installerons sur des chaises
Et
pour bien qu’ils s’avouent vaincus,
On
les poussera dans la fournaise
En
leur fichant le feu au cul.
On
leur grillera les poils sous les bras !
Ha
!
Ça
sera vraiment joli à voir
Quand
viendra le matin du Grand Soir !