vendredi 30 novembre 2018

Le Mérinos


Le Mérinos

Chanson française – Le Mérinos – Georges Brassens – s.d.
Film sans paroles : Le Mérinos
Eric Zimmerman Le Mérinos -1986
Trio Florimont – Le Mérinos - Christian Guigard (chanteur et guitariste du Trio Florimont) a lui-même mis en musique ces 14 textes dans l’esprit de Brassens




Dialogue Maïeutique

Avant toute chose, Lucien l’âne mon ami, il faut préciser qu’il s’agit d’une chanson inédite de Georges Brassens ; inédite et sans musique, elle aurait pu rester dans les cartons, mais Jean Bertola avait commencé le travail d’en sauver un certain nombre ; et certaines (14, dit-on) étaient celles d’un futur album que Tonton Georges, au parcours interrompu, ne put jamais mener au bout. Certains artistes ont voulu et su sauver certaines d’entre elles, sinon toutes, et ils en proposent des versions assez différentes, mais toutes intéressantes. Je t’en propose deux, à titre d’exemples : celle d’Eric Zimmermann et celle du Trio Florimont. Mais au fait, cette chanson s’intitule : « Le Mérinos ».

Oh, dit Lucien l’âne, tout émoustillé, une chanson de Tonton Georges et puis, en plus, une chanson à propos d’un mérinos ! J’en ai rencontré moi des mérinos au long de mes pérégrinations ; déjà au temps de Sancho Pança. Laisse-moi te dire que le mérinos est un animal charmant et pacifique, quoique assez cornu. Mais que peut bien raconter cette chanson ?

Je m’en vais te le révéler à l’instant, Lucien l’âne mon ami. Pour comprendre ce qui a conduit Georges Brassens à chanter le mérinos, il est nécessaire de se remémorer l’expression populaire : « laisser pisser le mérinos » et ses variantes : « laisse pisser le mérinos, laissons pisser le mérinos, laissez pisser le mérinos », etc. Tout ça peut se traduire par « Laisser le mérinos tranquille », le mérinos étant en l’occurrence, l’image même du quidam, de celui ou celle qu’on propose de « laisser en paix » ; autrement dit, c’est une manière de dire métaphoriquement, qu’il convient de « laisser tomber, laisser passer… »

Certes, dit Lucien l’âne en se poilant, il est judicieux de laisser pisser le mérinos, car quand ce cornu se fâche, il est très redoutable. Je n’aimerais pas trop être la cible de la tête de ce bélier. Entre nous soit dit, pas plus toi, que moi, ni personne, ni le mérinos n’aime être dérangé à ce moment d’intime délivrance.

En clair, il faut lui foutre la paix. Ainsi, Lucien l’âne mon ami, cette chanson est en soi une chanson pacifiste et ce serait une bonne raison de l’insérer dans ce recueil digital des Chansons contre la Guerre ; mais elle ne se limite pas à ce message évangélique ou apostolique, c’est tout comme. En prenant fait et cause pour le mérinos qu’on accuse de polluer le Rhône et toutes les eaux de la Terre, dont on fait un bouc émissaire, un sorcier à mettre au bûcher, elle veut lui épargner cette mise au pilori.

Ah, c’est très bien ça, dit Lucien l’âne très sérieusement, car prendre le parti du mérinos face à ses détracteurs, c’est pendre le parti de l’humilié, de celui qu’on accuse d’être « le pelé, le galeux d’où vient tout le mal » (Les Animaux malades de la Peste ) et venir au secours de ce bon animal et par voie de conséquence, de tous les animaux qui, j’ai le regret de devoir insister, rigoureusement tous, pissent, pètent et polluent naturellement plus encore. Figure-toi, mon ami Marco Valdo M.I., qu’on accuse autant les vaches de trouer la couche d’ozone en délestant dans l’atmosphère et au-delà, leur panse douloureuse.

Parfaitement, Lucien l’âne mon ami, mais la chanson se termine sur une note rassurante que voici :

« Mais calme, fier, serein, magnifique,
Tu traites tout ça par-dessous
La jambe. Et puis, baste ! Et puis, zou ! »

qui démontre que de toutes ces incriminations, et comme l’« asino bigio » de Carducci :

« Ma un asin bigio, rosicchiando un cardo
Rosso e turchino, non si scomodò:
Tutto quel chiasso ei non degnò d'un guardo
E a brucar serio e lento seguitò. »

« Mais un âne bis, mâchant un carde
Rouge et bleu, à tout ce tapage,
Ne se retourne, il ne consent même à regarder
Et continue sérieux et lent à brouter. »

le mérinos, tout comme son frère le chameau, le mérinos s’en fout.

Ce qui je le proclame hautement, dit Lucien l’âne, est une position d’une paisible sagesse philosophique, digne du grand Épicure. En foi de quoi, tissons le linceul de ce vieux monde pincé, pressé, stressé, passé, dépassé et cacochyme.
Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Oh non ! tu n’es pas à la noce,
Ces temps-ci, pauvre vieux mérinos.
Si le Rhône est empoisonné,
C’est toi qu’on veut incriminer.
Les poissons morts, on te les doit,
Bête damnée, à cause de toi,
Tous les abreuvoirs sont croupis
Et les poules ont la pépie.
C’est moi qui suis l’enfant de salaud,
Celui qui fait des ronds dans l’eau,
Mais comme j’ai pas mal de culot,
Je garde la tête bien haute.
Car si l’eau qui coule sous les ponts
D’Avignon, Beaucaire et Tarascon,
N’a pas toujours que du bon
Mon Dieu ! c’est pas ma faute.
Plus de naïades chevelues,
Et plus de lavandières poilues,
Tu fais sombrer sans t’émouvoir
L’armada des bateaux lavoirs.


Et le curé de Cucugnan
Baptise le monde en se plaignant
Que les eaux de son bénitier
Ne protègent plus qu’à moitié.
À la fontaine de Vaucluse,
Plus moyen de taquiner les muses
Vers d’autres bords, elles ont fui
Et les Pétrarques ont suivi.
Si la fontaine de Jouvence
Ne fait plus de miracle en Provence,
Ne lave plus l’injure du temps,
C’est ton œuvre, gros dégoûtant 

 
Oh non ! Tu n’es pas à la noce,
Ces temps-ci, pauvre vieux mérinos,
On veut te mettre le fardeau
Des plaies de l’Égypte sur le dos.
On te dénie le sens civique
Mais calme, fier, serein, magnifique,
Tu traites tout ça par-dessous
La jambe. Et puis, baste ! Et puis, zou !

mercredi 28 novembre 2018

OHÉ CAPITAINE !


OHÉ CAPITAINE !


Version française – OHÉ CAPITAINE ! – Marco Valdo M.I. – 2018
Chanson italienne – Ehi CapitanoBandabardò2018
Te
xte de Jacopo Fo
Musi
que d’Erriquez



Un cœur d’or sous la peau
Et la force du taureau !



Pourquoi veulent-ils tous sauver ces réfugiés ? Voici l’histoire d’un groupe d’immigrées fortunées arrivées sur les côtes italiennes.

AVEC LA NOUVELLE CHANSON DE BANDABARDO’! ! !

Comment pouvons-nous parler aux personnes qui sont convaincues que le premier problème de l’Italie soit les réfugiés extracommunautaires noirs ?

On a envie de dire que notre urgence, ce sont les mafias, la bureaucratie, la lenteur de la justice, la corruption et la stupidité. Ils ont l’esprit fermé comme le cœur. Il suffit de lire certains messages qui inondent l’espace des commentaires aux articles et qui font appel à la solidarité humaine et au bon sens.

Pour chercher à dénouer les blocages émotionnels qui sont derrière cette culture de la peur, il ne nous reste plus qu’à user de l’ancienne arme des réparties comiques et à démasquer ainsi le racisme, parfois inconscient, qui alimente cette culture.

Et alors essayons de changer l’image des canots pneumatiques et mettons dessus de pauvres extracommunautaires d’une autre race : les Norvégiennes. La Norvège en effet est hors de l’Union Européenne, donc elles sont extracommunautaires…

Notre espoir est de réussir à faire réfléchir pendant un instant sur les préjugés : si elles étaient belles, blondes et en bikini, en voudrions-nous ?

Aidez-nous à faire circuler cette vidéo ! Un rire les amènera peut-être à se poser l’une ou l’autre question.

Dialogue Maïeutique

Dis-moi, Marco Valdo M.I., elle m’a l’air amusante cette chanson. J’aimerais savoir si je me trompe lorsque je pense que quand elle dit : « Elles ont des nichons ronds », elle fait allusion à certaine chanson à propos des Bretons, dont le refrain est :

« Ils ont des chapeaux ronds,
Vive la Bretagne
 !
Ils ont des chapeaux ronds,
Vive les Bretons
 ! »

Est-ce une chanson du même genre, toute baignée d’ironie et de gaie acidité ? Elle me rappelle aussi certaine chanson de marin assez gaillarde, dont le refrain est plus ou moins celui-ci :

« Et le navire revint en France
Avec une vérole, mes agneaux,
Qui fut donnée à tout Bordeaux !
Tirons un coup, tirons en deux,
À la santé des amoureux ! »

Bien sûr, Lucien l’âne mon ami, qu’il y a de ça dans la chanson de la Bandabardò. En somme, il s’agit de ridiculiser le nationalisme et son pendant culturel, le racisme ; le mélange des deux, leur symbiose, leur synthèse est le fascisme. Ajoute-z-y des racines chrétiennes et tu as le portrait d’une détestable Italie d’aujourd’hui (et d’hier). Mais il y a plus alarmant : on ne peut pas se contenter de fustiger cette Italie et ces Italiens exclusivistes, car cette maladie sociale, cette virose de l’intolérable stupidité nationale s’étend à nouveau rapidement et imprègne de plus en plus ce vieux monde, un vieux monde immonde, peureux et avare, inhospitalier et barbare, qui semble atteint d’une sorte de cancer le conscience et d’une déficience chronique de l’intelligence. Est-ce que la maladie d’Alzheimer peut s’étendre à tout un corps social ? Parfois, je me le demande.

Arrête-toi là, Marco Valdo M.I., ce n’est pas l’heure d’une longue diatribe, ni d’une sérieuse oraison. Dis-moi plutôt l’argument de la chanson.

Et bien, reprend Marco Valdo M.I., l’idée est fort drôle et le projet fort simple. Il s’agit de montrer noir sur blanc le racisme dans toute sa splendide vacuité. Pour faire court, on remplace fictivement les réfugiés « maritimes » dits extracommunautaires venant d’Afrique ou d’Asie par de jeunes demoiselles extracommunautaires elles aussi, des Norvégiennes blondes et plantureuses arrivant par la mer, avec un équipement vestimentaire des plus réduits, et on y confronte les mâles italiens en rut. Curieusement, il n’y a pas le phénomène de rejet violent que ces mêmes mâles expriment habituellement. L’effet de la chanson est désopilant, mais la réflexion qu’elle entraîne laisse apparaître une série de questions, dont on devine la réponse : quel est le fondement du rejet des réfugiés maritimes et par extension, de tous les réfugiés ? Sur quel fond boueux repose le rejet de l’autre, quand il n’est pas une proie appétissante ? On découvre les dimensions cachées de la xénophobie, l’infantilisme et la peur, qui sous-tendent ce conservatisme.

Alors, dit Lucien l’âne, en chantant d’heureuses chansons, tissons le linceul de ce vieux monde avide, avare, infantile, possessif, peureux et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Oh Capitaine ! Il y a un canot au milieu de la mer.
Oh Capitaine ! Vite, allons les sauver !
Sur le canot, sur le canot,
À la merci du typhon, à la merci du typhon,

Elles sont si petites, si petites ;
Elles sont si fragiles, si fragiles ;
On dirait des anges.
Soyons des Italiens,
Avec le soleil dans les mains !
Soyons bons comme les macarons,
Soyons bons comme les melons !
Sauvons les réfugiées blondes !
Sauvons les réfugiées blondes !
Sauvons les réfugiées blondes !
Elles ont des nichons ronds,
À la mer, nous ne pouvons les jeter,
Nous voulons les aimer.

Sauvons-les, soyons tous des héros !
Ayons un cœur d’or sous la peau
Et la force du taureau !
Soyons aimables,
Sauvons les Norvégiennes
Pauvres extracommunautaires,
Ne soyons pas des barbares !

Soyons des Italiens
Avec le soleil dans les mains !
Soyons bons comme les macarons,
Soyons bons comme les melons !
Sauvons les réfugiées blondes !
Sauvons les réfugiées blondes !
Sauvons les réfugiées blondes !
Elles ont des nichons ronds,
À la mer, nous ne pouvons les jeter,
Nous voulons les aimer.

Anguilles pleines d’entrain,
Elles fuient leur cruel destin
Car
Manger du hareng saur le matin
C’est un sort sordide.
Même si elles sont d’une autre race,
Elles les veulent aussi la pizza ,
La piadina au squacquerone
Les crevettes frites au citron
Et
Au dessert,
La crème au mascarporne,
La glace au sabayon.
Nos ports leur sont ouverts,
Nos cœurs ne sont pas des déserts.

Sauvons les réfugiées blondes !
Sauvons les réfugiées blondes !
Sauvons les réfugiées blondes !

Soyons des Italiens,
Comme les volcans siciliens,
Un cœur d’or sous la peau
Et la force du taureau !

Nous sommes des Italiens
Fougueux comme des volcans.
Nous avons un cœur d’or
Et la force d’un taureau.

Sauvons les réfugiées blondes !
Sauvons les réfugiées blondes !
Sauvons les réfugiées blondes !

Sauvons les réfugiées blondes !
Sauvons les réfugiées blondes !
Sauvons les réfugiées blondes !

mardi 27 novembre 2018

AMI AIMÉ



AMI AIMÉ


Version française – AMI AIMÉ – Marco Valdo M.I. – 2018
Chanson chilienneAmado amigoSergio Vesely – 1975

Album Documento, édité en 1986.
Texte tiré de Cantos Cautivos



Une chanson écrite par Sergio Vesely, classe 1958, musicien, militant de gauche au Chili de la dictature. Il fut arrêté et détenu dans le camp de concentration appelé Melinka qui se trouve à Puchuncaví, dans la région de Valparaíso, et ensuite en 1976, il fut expulsé du pays et forcé à l’exil en Allemagne occidentale, où il vit encore.
Cette chanson est un témoignage sur la vie carcérale des prisonniers politiques au Chili après l’avènement de la dictature de Pinochet



Ami aimé,
Je pense à toi ce matin.
Ami aimé,
Mon petit héros de mie de pain, (1)
Je t’ai vu homme soudain.

Nous avons eu avant-hier des conversations,
À propos
des colombes en petites monnaies, (2)
À propos
des dessins de fil de fer sur le papier, (3)
À propos
de l’histoire d’un bateau de papier, (4)
À propos
de tant de promenades sans fin.(5)

Et compris la signification
De ta langue emmurée (6)
Et trouvé à la fin
Les mots dans une nouvelle langue
Pour communiquer avec toi.

Ami aimé,
Je pense à toi ce matin.



(1) Petites statues de mie de pain : il ne s'agissait pas seulement d'un passe-temps, pour occuper la tête et la détourner de sa condition de prisonnier. Les petites statues faites avec le pain servaient à communiquer, à faire savoir aux compagnons de captivité qu’on était encore vivant
(2) Colombes en petites monnaies : avec des petits objets de métal (des monnaies, des objets et des récipients de tout type), travaillés à froid à force de les battre pour les rendre plus malléables, étaient réalisées des anneaux et des médaillons. Le sujet plus reproduit était la colombe de Picasso…
(3) Figures de barbelé sur papier : il y avait même celui qui passait le temps à dessiner et peindre, et dans les dessins ne manquaient jamais les grillages du champ…
(4) Quand on devait saluer un compagnon, qui était libéré ou transféré, celui qui restait entonnait toujours El barco de papel de Julio Numhauser.
(5) Promenades sans fin : ce sont celles des prisonniers dans les rares heures d’aération, des promenades forcées sur peu de mètres, mais qui étaient très importantes pour maintenir les relations avec les compagnons et s'échanger des informations.


(6) Langue emmurée : pour ne pas être écouté et compris des gardes et des espions, il était nécessaire et fondamental de connaître la langue non codifiée des prisonniers, très différente même de celle des militants en liberté, laquelle, par contre, était souvent bien connue des services de la répression.