mardi 13 juin 2017

L’ARTISTE DE LA FAIM

L’ARTISTE DE LA FAIM


Version française – L’ARTISTE DE LA FAIM – Marco Valdo M.I. – 2017
Chanson allemande (berlinois) – Die Hungerkünstlerin – Friedrich Hollaender – Années 1920 (après 1922 et avant 29)
Paroles et musique de Friedrich Hollaender
Dans le cycle de chansons pour cabaret intitulé « Lieder eines armen Mädchens », écrit pour sa (première)
 femme Blandine Ebinger (1899-1993).

Une chanson inspirée du récit de Franz Kafka « Ein Hungerkünstler » (« Un artiste de la faim », ou « Un Jeûneur »), publié en 1922, où un soi-disant artiste réalise un jeûne à outrance en s’exposant au public dans une boîte de verre. Il meurt dans l'indifférence générale et sera remplacé par une panthère famélique .




Dialogue maïeutique

Cette fois, Lucien l’âne mon ami, je t’apporte la version française d’une chanson berlinoise, écrite à Berlin, pour Berlin, en berlinois et comment dire, dans l’esprit berlinois, du moins celui qui inspirait Kurt Tucholsky, Erich Kästner, Walter Mehring, Robert Gilbert et d’autres encore, dont bien évidemment, Friedrich Hoellander lui-même. Elle est tirée d’une histoire de Franz Kafka, lequel était cependant Pragois, Ein Hungerkünstler – Un artiste de la faim, un texte de Franz Kafka, publié pour la première fois en 1922 dans Die neue Rundschau (une très remarquable revue littéraire berlinoise, créée en 1890 et qui existe toujours sous sa forme trimestrielle).

Encore une fois, voici, Marco Valdo M.I. mon ami, un titre bien intrigant. Dois-je comprendre qu’il s’agit d’un artiste qui subit la faim ; ce ne serait pas une nouveauté ; ils sont nombreux dans le cas. Alors, pourquoi ce titre : L’Artiste de la Faim ?

D’abord, Lucien l’âne mon ami, laisse-moi te dire qu’on pourrait tout aussi bien intituler cette nouvelle et par conséquent, la canzone de Hollaender : La Faim de l’Artiste ou La Fin de l’Artiste ou L’Artiste de la Fin. Tous ces titres lui conviendraient et pour tout dire, à moi aussi.

Moi, je veux bien qu’on l’appelle ainsi , Marco Valdo M.I. mon ami, mais enfin, cela ne m’avance pas beaucoup. Dis-moi plutôt quel cet artiste et de quel art particulier, il est le créateur.

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, je vais de ce pas satisfaire ta curiosité, très légitime au demeurant.

Je t’en remercie vivement, Marco Valdo M.I. mon ami. Moi, de mon côté, dit Lucien l’âne en riant, j’ai entendu parler du succès différencié que rencontraient à Paris, il y a bien longtemps, sans doute plus d’un siècle, Sara Bernard, alias Henriette-Marie-Sarah Bernardt, dite Sarah Bernhardt, grande artiste dramatique et de l’autre, Joseph Pujol, dit Le Pétomane, artiste lyrique, si l’on peut ainsi qualifier son art. Comme on peut l’imaginer, le public était plus nombreux et certes plus populaire pour le second, mais il riait plus.

Donc, reprend Marco Valdo M.I., le personnage et je pense même qu’il faudrait dire le « héros » de cette aventure artistique est un jeûneur professionnel, c’est-à-dire un artiste qui pratique le jeûne, considéré comme un des beaux arts. Comme tu peux le comprendre, il s’agit tout simplement du portrait de l’artiste maudit, tel qu’a pu l’incarner Charles Baudelaire ou Oscar Wilde. Dans le récit de K, l’artiste est dans une cage où, en public, il jeûne – sous contrôle – et tente d’établir un record de durée. Mais le public se lasse et finalement, l’artiste se retrouve – toujours en cage – dans la ménagerie d’un cirque ambulant où il finit par mourir dans l’indifférence générale. On met à sa place dans la cage une jeune panthère, dénommée Fakira, dont le nom évoque infiniment mieux l’Inde exotique et ses étranges fakirs, qui sont ces hommes qui dorment sans s’en faire sur des lits de clous. Fakira assurément connaîtra plus de succès auprès du public. Une telle prestation artistique, soit dit en passant, nous changerait des installations et des performances qui fleurissent un peu partout, lesquelles de toute façon, vont connaître le même parcours et subir la désaffection du public.

Oh, dit Lucien l’âne, Marco Valdo M.I. mon ami, cela me rappelle deux autres histoires. Une de la même époque où l’on voit un « homme » dans une cage de verre qui écrit un roman à la machine, le but de cette prestation publique était la promotion de la machine à écrire ; la seconde, c’est cette histoire du clown qui meurt en souriant au pied de l’échelle à l’aide de laquelle il désire tant atteindre la Lune, histoire que l’on doit à l’écrivain étazunien Henry Miller ; il en est même une troisième, c’est une chanson que nous connaissons bien tous les deux et qui nous a toujours tellement émus Le Clown de Gianni Esposito. Sans compter cette nouvelle de science-fiction où une effeuilleuse arrivée au point final de son exhibition se voit encouragée par le public – ce voyeur impénitent – à ôter encore quelque chose. Alors, la dame qui, comme tu l’as certainement compris, n’a vraiment plus un seul bout de tissu dont elle pourrait se dépouiller, commence tout simplement à s’enlever la peau de l’avant-bras droit comme un long gant de soi et sous les applaudissements nourris et insistants des spectateurs, elle enlève soigneusement tout en ondulant du tronc son long gant de gauche ; puis, partant du haut de sa cuisse droite, elle fait glisser lentement la peau de son bas et levant avec une infinie lenteur la jambe gauche, elle la pose sur la chaise et elle enroule dans un geste doux et sensuel, le bas gauche de sa peau d’abord jusqu’au genou, puis en se penchant, elle roule ce tissu autour du tibia, passe la cheville, le talon (on aperçoit un bout d’os) pour finir par l’ôter d’un petit geste sec ; ses orteils frétillent à peine. Elle se redresse alors et en croisant les bras, elle prend des deux mains, à hauteur du nombril, le haut de sa tenue de peau et commence doucement, doucement, à la remonter en se tortillant un peu du buste, elle arrive aux seins qu’elle dégage dans une jolie torsion, puis, arrivée aux épaules d’un mouvement subtil se dégage ainsi du haut, passe le tout par-dessus la tête et salue le public d’un sourire écarlate.

Mais, dit Marco Valdo M.I., c’est atroce ton histoire

Je sais, mais je n’ai pas fini. Donc, toujours sous le regard extasié du public, la femme se penche vers l’avant laissant pendre sa chevelure rousse, longue et touffue et à hauteur du bassin, une main de chaque côté du corps, elle se saisit de ce qu’on doit bien appeler sa culotte de peau et du même mouvement, elle fait descendre en s’aidant de deux ou trois saccades, cette ultime pièce d’habillement et découvre ses intestins. Le public exulte et crie « encore, encore ! ». L’artiste se redresse fièrement ; il ne lui reste plus que la tête et placide, la dame s’exécute : du bas du cou, si rose, si extensible, elle fait remonter la peau jusqu’au ras de la chevelure – ses yeux brillent à vif d’une folle gloire ; d’un geste ample et brusque cependant, elle arrache tout le reste, cheveux compris.
Il ne lui reste qu’un crâne blanc sanguinolent qui sourit, sourit. Elle tient par les cheveux son propre scalp et entre les muscles du visage, on distingue les mâchoires, les dents et les trous du nez avec en arrière-plan le blanc laiteux veiné de rouge du cerveau. Tout à l’arrière, tel une Tour de Pise, se penche sa colonne vertébrale, portant de chaque côté les béants regards d’égout, que sont ses orbites où vacillent encore ses yeux d’un bleu azuréen ou presque turquoise, selon l’endroit d’où on regarde la scène.
Ainsi sans dire un seul mot, elle finit par s’écorcher entièrement et salue le public en extase. Ce dernier reconnaissant lui fit immédiatement une ovation et lui lança, comme on lance des cacahuètes aux singes dans leur cage, une pluie d’argent : des pièces d’or, des billets, des liasses entières.

Oh, Lucien l’âne mon ami, c’est vraiment épouvantable. Je ne sais trop si on pourrait en faire une chanson. Cependant, je te propose de revenir à celle de notre artiste de la faim et de conclure cette présentation comme tu en as l’ordinaire habitude.

Certes, Marco Valdo M.I. mon ami. Toutes ces histoires illustrant deux choses : le destin tragique des artistes qui ne rencontrent pas tous, ni toujours la gloire et la fortune. Bien loin de là, c’est le cas de la plupart connaissent une vie miséreuse. Dans le grand jeu du monde, dans cette Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres, les artistes sont considérés comme des personnages domestiques, des marionnettes que l’on jette après usage et souvent le public se comporte comme un patron versatile et pervers. Nous autres, artistes précaires et méconnus – ainsi est le sort de la plupart – reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde méprisant, méprisable, médiocre, méritocratique et cacochyme.

Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Comme à la maison, j’ai très faim,
Je me consacre à un art nouveau.
Avec fierté, je suis la Fille sortie du tombeau
Surnommée Fakira, l’artiste de la faim.
Dans une cage sans portes, ni fenêtres,
Comme dans un aquarium, derrière d’épaisses vitres.
Depuis 23 jours, on peut m’y voir assise
Cher public et sans rien manger, je jeûne.
On peut voir mon évolution,
À la pâleur qui marque mon visage.
Quelques bouteilles d’eau sont toute mon alimentation.
Aucun rapport sexuel, évidemment.
Pour la grandeur et les cercles les plus hauts
J’ai faim, car ça me plaît profondément.
L’Empereur est venu me voir en personne,
Il m’a serré la main à Breslau.
Qu’il fut enthousiaste, je peux le comprendre,
Il n’avait jamais rencontré un affamé.
Moi, je n’ai pas besoin de nœuds ou de ceinture.
J’aimerais pourtant bien manger à ma faim,
Car à force d’avoir faim, on attrape faim.
Et mon salaire est une vraie misère.
Je rêve d’un restaurant exotique
Avec ses suaves odeurs et de la musique.

Pitié, Messieurs,
Qui me regardez la nuit. À vos yeux,
Je dois paraître déformée à travers les vitres.
Regardez ! Soyez bienveillants !
Voulez-vous ma place dans la cage ?
Ici, c’est chouette ! Ici, tout est transparent !
On se nourrit d’une force accessoire
Et si je trépasse finalement,
Emmenez-moi en auto au laboratoire.
Alors, je figurerai dans des ouvrages de médecine :
(Un phénomène Unique, qu’on ne voit qu’une seule fois).
Fakira ne laissa rien paraître devant les autres
Jusqu’au jour où la faim la terrassa.
Elle était encore jeune et ne sera jamais vieille,
L’illustration 3 montre clairement son squelette
L’illustration 4 ses hautes décorations.
Elle mourut d’une côtelette de mouton.