mardi 18 février 2014

À L'ATELIER DE COUTURE

À L'ATELIER DE COUTURE

Version française – À L'ATELIER DE COUTURE – Marco Valdo M.I. – 2014
d'après la version italienne de Riccardo venturi
d'une chanson yiddish – In shap, oder Di svet-shap - Moris Roznfeld [Morris Rosenfeld]1893 ?

Poème de Morris Rosenfeld, originairement publié dans la revue « Di Tsukunft » (« Le Futur »),
ensuite, peut-être, dans le recueil intitulé « Lider-bukh », traduite en anglais en 1898 et en allemand en 1902.



qui me rappelait soudain mon grand-père
 qui fut lui aussi ouvrier tailleur... 







J'ai eu une étrange sensation en traduisant cette chanson qui me rappelait soudain mon grand-père qui fut lui aussi ouvrier tailleur... Évidemment, quand je l'ai connu l'ouvrier de ses débuts était devenu artisan, puis maître tailleur... Et puis, plus rien... son métier était mort... Il l'a suivi quelques temps plus tard... Ceci dit, il y a plusieurs chansons autour de l'atelier de couture ou de tissage... C'est une chanson qui pourrait se retrouver dans un parcours des chansons autour du « textile »... Mais attends un peu... J'essaye de me souvenir... Il y a évidemment Les Canuts [[7841]], Les Fileuses [[38416]], la Complainte des tisserandes [[38011]], Les pauvres Fileuses [[46273]], Grève de femmes au Bangladesh [[34765]] et sans doute encore d'autres...


Et elles nous plaisent bien à nous qui nous revendiquons comme des canuts, dont la tâche consiste à tisser jour après jour le linceul de ce vieux monde de détresse, d'exploitation, dominateur, oppressant et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane





Ici à l'atelier, règne le chahut infernal des machines
Souvent, dans ce vacarme, j'oublie qui je suis ;
Dans ce bruit terrifiant, je me perds et je suis
Comme vide : je deviens une machine.
Travail, travail, travail, sans s'arrêter.
On produit, on fabrique, on fabrique, on produit à l'infini :
Je ne sais pas, je ne demande pas pourquoi ? Et pour qui ?
Une machine, peut-elle jamais penser ? …

Ici, il n'y a aucun sentiment, ni raison, ni pensée,
Le travail dur et brutal anéantit
Tout : le fin, le bien, le bon, le sensé,
Tout ce qui donne ses dimensions à la vie.
Les secondes, les minutes, les heures, les journées
Volent comme voiles au vent, les jours et les nuits ;
Et moi, je pédale à ma machine pour les dépasser,
Je les poursuis comme un fou, comme un forcené.

L'horloge à l'atelier jamais ne s'arrête,
Elle scande tout, tic-tac – tic-tac, et tout toujours réveille;
Ce qu'elle veut dire, quelqu'un autrefois me l'a dit,
Scander et tenir éveillés : c'est un motif précis.
Je me rappelle quelque chose, comme un rêve :
L'horloge réveillait sens et vie en moi
Et encore autre chose – mais j'ai oublié quoi, ne me le demandez pas !
Je ne sais pas, je ne sais pas, je suis une machine ! …

Et parfois, quand j'écoute l'horloge
Elle me parle, et moi, je comprends ce qu'elle dit ;
Son tic-tac à devenir fou, ce tic-tac maudit
Pousse à travailler, trimer, peiner davantage.
Dans ce tic-tac, j'entends la voix âpre du patron,
Comme lui, droit dans les yeux, elle me regarde ;
L'horloge me pousse, j'en ai des frissons
Elle crie « Couds ! » et m'appelle « Machine ! ».

Seulement quand cesse cet effroyable vacarme
Et que le boss part pour la pause déjeuner,
Alors dans ma tête l'aube se lève ,
Et en moi, je me sens encore plus blessé.
Et je pleure d'amères et brûlantes larmes
Elles mouillent mon dîner – ma croûte de pain,
Elles me suffoquent… je n'arrive pas à manger, impossible !
Quelle terrible peine, quel horrible destin !

À midi, l'atelier ressemble
À un champ après la bataille
Autour de moi, je vois les morts à terre
Et sur sol, le sang versé se lamente
Une trêve, et soudain sonne la sirène,
Les morts ressuscitent et la bataille recommence :
Les cadavres se battent pour des étrangers,
Ils luttent, meurent et se noient dans l'obscurité.

Je contemple ce massacre avec une rage amère,
Avec horreur, avec douleur, j'aspire à la vengeance ;
Mais voilà que j'entends l'horloge dire
« Assez cet esclavage, ça doit finir ! »
Elle réveille mes sens et ma raison,
Et me montre comme le temps maintenant fuit ;
Je resterai malheureux tant que je me tairai,
Je serai perdu au monde, si je reste ce que je suis


L'homme qui dort en moi commence à se réveiller
Et l'esclave en moi commence à s'endormir ;
Maintenant, le bon moment est arrivé !
Suffit avec la misère, ça doit finir !
Mais, tout à coup, le sifflet : alerte, le patron !
J'oublie ma résolution ; à nouveau, je turbine.
Vacarme, combat ; et puis, je touche le fond.
Je ne sais pas, peu importe. Je suis une machine.