Version
française – MOI, JE NE M’ÉTONNE PLUS DE RIEN
– Marco Valdo
M.I. – 2019
Chanson
allemande – Ich
wund’re mir über gar nichts mehr – Otto
Reutter – 1917
Célèbre
poème d’Otto
Reutter (1870-1931), chanteur et acteur allemand, précurseur du
Kabarett berlinois qui connut
son âge d’or
entre les deux guerres. Texte trouvé sur
www.otto-reutter.de
.
Otto
Reutter n’était certainement pas un auteur politique, mais il a
toujours décrit la société allemande entre les deux siècles avec
sarcasme et irrévérence. Sa poésie – en couplets, distiques aux
rimes croisées – devient plus amère pendant la Grande Guerre,
surtout après que son fils ait perdu la vie dans la terrible
bataille de Verdun (février – décembre 1916).
Dans
ce « Ich wund’re mir über gar nichts mehr », Otto
Reutter décrit la vie à Berlin en 1917, une vie loin du front, mais
pas de la guerre…
« …
Dans ces années-là, se produisait au théâtre Apollo (Berlin) Otto
Reutter… Le grand artiste de cabaret s’est fait connaître avec
une seule et longue chanson, Onkel Fritz (« Oncle Fritz »),
qui est immédiatement devenue très populaire. Reutter était un
petit homme avec un long nom, Otto Pfützenreuter (il fut bientôt
abrégé en Reutter), il avait les yeux ronds un peu saillants et une
grande touffe sur son front, il venait du Mecklembourg. Il a commencé
à travailler dans les Tíngeltangelos de Berlin en présentant des
strophes qu’il écrivait lui-même, directement inspirées des
faits du moment. Sa satire était dirigée contre la double morale
bourgeoise, contre les lois dépassées de l’Empire Guillaume,
contre l’opacité de l’armée et l’ignorance totale du Kaiser
en matière d’art. Inévitablement, ce comédien polyvalent d’une
verve exceptionnelle se heurta à la censure ambiante, aux fanatiques
de la célèbre Lex Heinze, mais sa carrière fut néanmoins longue
et riche en succès. La censure était également devenue une source
de satire dans ses strophes :
Quelle
chose odieuse
et quelle grande horreur !
Qui
parmi les notes
affole
le grand censeur.
Mes
compositions bien
rimées
Il
m’arrive de les voir
effacées.
Les
meilleures répliques
sont marquées
D’un
crayon rouge très sévère,
Quelle
belle vie, on
aurait pu faire
Sans
cette injustice planifiée !
(« Kabarett!:
Satira, politica e cultura tedesca in scena dal 1901 al 1967 »
(« Kabarett ! :
Satire, politique
et culture allemande sur scène de 1901 à 1967 »),
de Paola Sorge,
Elliot, 2014.)
À
l’arrêt du bus, je suis souvent là,
J’attends
souvent des heures pour le A.
Au
moment prévu, il n’arrive pas.
Et
quand il en vient un, alors il est plein.
Et
vide celui dont je n’ai pas besoin.
Moi,
je ne m’étonne plus de rien.
Même
s’il ne vaut rien, je mange le fromage.
Je
mange la saucisse de cheval et même, le saucisson.
Pour
la patrie, je me mets volontiers à table,
Je
mange le gâteau de sable avec le sable
Et
je goûte la marmelade au goût de goudron,
Moi,
je ne m’étonne plus de rien.
J’ai
vu un homme avant la guerre,
Qui
portait des bottes déchirées,
La
première année, il les a ressemelées,
La
seconde, il en avait une nouvelle paire.
À
la troisième, il était déjà millionnaire.
Moi,
je ne m’étonne plus de rien.
À
huit heures, j’achète du savon, huit marks pièce,
À
neuf heures, neuf marks, le prix monte.
À
dix heures, dix marks, ça va encore,
À
onze, onze marks, la même pièce.
À
douze, douze marks, le prix monte encore.
Moi,
je ne m’étonne plus de rien.
D’abord,
vingt-cinq pfennigs le café.
Puis
trente, et le lait s’est éclipsé,
Puis
trente-cinq, et le sucre est perdu,
À
quarante, la chicorée est pour moitié,
À
cinquante, le café a disparu.
Moi,
je ne m’étonne plus de rien.
Aujourd’hui,
j’ai pris un bain
Et
je n’ai pas l’habitude du bain.
Je
tourne le robinet complètement,
Il
n’en sort rien, malheureusement.
C’est
dur d’avoir de l’eau chaude, maintenant.
Moi,
je ne m’étonne plus de rien.
J’ai
vu partout un avis :
« Collecte
de noyaux de fruits ».
Je
l’ai lu, puis, je me suis dit :
Comme
il n’y a pas de fruits et pas de noyau, sans fruit,
Cette
collecte est impossible dans ce pays.
Moi,
je ne m’étonne plus de rien.
On
fait maintenant les costumes en papier.
Moi,
je n’aime pas ça pour m’habiller.
En
carton, ça pourrait encore aller,
Mais
le papier buvard, quel malheur !
Quand
il pleut, c’est une horreur.
Moi,
je ne m’étonne plus de rien.
Le
journal écrit : « La paix est pour demain ».
Puis
il écrit : « C’est pas encore maintenant. » :
Puis
il écrit à nouveau : « Elle est encore loin ! »
Puis
il écrit à nouveau : « Il faut encore du temps. »
Il
écrit ceci après – ils écrivaient cela avant.
Moi,
je ne m’étonne plus de rien.
On
n’a plus que trois faux-cols,
Et
même, on ne met plus de cols,
Et
les manchettes aussi se réduisent.
Bientôt,
on va défaire nos cravates.
Bientôt,
se promènera en chemise,
Moi,
je ne m’étonne plus de rien.