samedi 3 juin 2017

BOUCHE DE ROSE (2017)

BOUCHE DE ROSE
Version française – BOUCHE DE ROSE – Marco Valdo M.I. – 2008 – révision : 2017
Chanson italienne – Bocca di Rosa – Fabrizio De André – 1967






Une remarque d’abord avant d’aller plus loin. Donc, une remarque préliminaire. Je n’ai jamais compris pourquoi les CCG n’ont pas mis Bocca di Rosa parmi les Chansons contre la Guerre, alors qu’il existe par exemple, un « parcours » de la « guerre contre les femmes ». Je dis cela, car j’avais envoyé une traduction de Bocca di Rosa – Bouche de Rose, il y a bien longtemps. Je pense même que c’était la première ou une des premières que j’avais faites. Était-elle si mauvaise ? Je ne sais. D’ailleurs, je la représente aujourd’hui « telle quelle ». J’ai tout juste un peu plus nourri notre conversation.
Je le fais, car notre bon Ventu vient d’insérer tout un texte de sa main à propos de Bocca di Rosa dans les commentaires à une chanson de Georges Brassens : Le Père Noël et la petite fille .
Cela dit… Je tiens personnellement Bocca di Rosa pour une des plus belles chansons de Fabrizio De André et aussi, comme l’illustration de sa complicité avec Georges Brassens, tout comme sa Chanson de Marinelle – Canzone di Marinella.
Et je ne comprends pas pourquoi elles sont ainsi ostracisées, renvoyées dans les commentaires à une chanson de tonton Georges, chanson qui est tout aussi indirectement qu’elles, une chanson contre la guerre. Il me paraît de toute justice et de toute équité de les replacer comme chansons – canzoni à part entière dans cette formidable chantothèque…


Et puis, ce portrait d’une femme libre et légère, libertine (Ah ! Voltaire, Ah ! Diderot !) est un fameux pied de nez à toutes les bien-pensantes, à toutes les mégères, Mysogynie à part, à toutes les emmerdeuses et aux emmerderesses itou. Cela dit, je ne leur fais pas la guerre à celles-là, je me contente de les écarter, de les ignorer et tout comme toi, de poursuivre mon chemin. Sauf bien évidemment, si comme pour Margoton, elles s’en prennent à mon chat – là, je leur enverrai mon fantôme pour les persécuter dans toute l’éternité.
J’insère donc ici la traduction du texte de Riccardo Venturi : BOCCA DI ROSA
di
Riccardo Venturi(2001)


BOUCHE DE ROSE


Riccardo Venturi (2001)
(traduit de l’italien : Bocca di Rosa – Riccardo Venturi 2001 )


Peut-être, peut-être serait-ce la « bonne page» pour mettre cette vieille histoire, écrite en son temps pour une mailing list. Une « Bocca di Rosa » légèrement adaptée aux « temps nouveaux », mais il y a quand même un peu de « Marinella », surtout à la fin. Je me rappelle qu’à l’époque, quelqu’un l’avait prise pour une vraie nouvelle ; on voit qu’elle était entièrement plausible. Mala tempora currunt. La « Gazette du Levant » et plus exactement, La Gazette du Levant n’existe pas ; ou mieux, elle existe partout. (rv)

Ils l’appelaient Bouche de Rose, qui était – ainsi dit la « La Gazette du Levant » – la traduction exacte de son nom en langue yoruba : Okôbwa Gblé. Débarquée clandestinement sur une improbable côte italienne, sortie d’un quelconque camion roumain ou ukrainien, arrivée en avion du Nigeria avec quatre autres filles de même pas vingt ans, avec les billets payés par l’habituel « on ne sait qui ».
Que leurs avaient-ils dit ? Il suffit de dire peu à une fille qui vit dans une baraque de la périphérie de Lagos ; il suffit une promesse vague, un travail, quelque chose à gagner pour une mère et six frères et sœurs, dont quatre malades du SIDA. Une très belle fille, de celles qui font tourner la tête ; violée à onze ans et demi par un oncle petit « ras » (chef) du bidonville. Il n’y a pas de quoi s’étonner ; ça se passe aussi chez nous.
Et le travail, elle l’a trouvé, Bouche de Rose ; accueillie un métis de ses compatriotes et par des « Italiens », elle a été affectée à sa zone. Elle lui plaisait même relativement bien : un quartier de l’extrême périphérie du levant génois, de Sant’Ilario, qui un temps était un village et maintenant se confond avec les autres quartiers peuplés d’autoroutes au cinquième étage des maisons, de viaducs et d’anciens clochers coloriés qui paraissent vraiment des diamants dans le fumier.
Sur la nouvelle allée d’accès au quartier, obtenu après tant d’années grâce à la bataille de l’habituel comité civique (présidé par le notaire, chevalier. Tiberio Deogratias, et du principal du collège local – on ne se rappelle pas de son nom, mais qui était connu, assez curieusement, comme « Moustache de Suif »), la fille nigériane Okôbwa Gblé – les accents ne sont pas mis là par hasard ; ils indiquent des « tons » précis de sa langue compliquée – semble avoir obtenu immédiatement un grand « succès ». Avec d’autres compagnes de routes – albanaises, roumaines, sénégalaises – elle arrivait lorsque, d’été, quand il faisait encore jour. Un travail comme un autre, se disait-elle. Mieux que mourir de faim à la maison. Mieux que mourir du SIDA. Ici, tout au moins, tous sont bien propres et mettent le préservatif. Le « Mal d’Afrique », les blancs l’ont inventé, non ?
La « Gazette du Levant », comme tous les journaux locaux de ce monde, accorde beaucoup d’importance aux « faits divers » ; on ne sait peut-être pas ceux qui sont authentiques et ceux inventés de toutes pièces, mais il faut faire bouillir la soupe, et il faut aussi survivre à la concurrence impitoyable du GQC (Grand Quotidien Citadin, de tendances philogouvernementales indépendamment du Gouvernement). Il semble donc que, pour passer une demi-heure avec Bouche de Rose, ils arrivaient même du centre et même de l’extrême ponant. De Voltri et d’Arenzano, en somme ; et, si vous connaissez Gênes, ça fait une belle trotte. Inutile de dire, ensuite, que la population masculine de Sant’Ilario formait souvent, entre onze heures et minuit, un petit engorgement sur le boulevard. Parfois, il y avait la régulière descente de la Police ou des Carabiniers, et puisque la fille était en attente d’un permis de séjour, un commissaire maigre, qui était connu pour séquestrer des valises de pendentifs, émettait un permis provisoire. Mais Bouche de Rose, ensuite, devait retourner à son boulevard ; ceux de la bande n’étaient pas tendres avec celle qui traînait.
Cette histoire a une allure singulière ; quelqu’un, qui sait, pourrait un jour nous écrire une chanson dessus (même si, franchement, on ne voit pas actuellement qui pourrait). Sant’Ilario, comme nous avons dit (et comme, d’autre part, particulièrement la « Gazette du Levant ») est un village pas fort urbanisé ; le résultat est qu’il vit les problèmes de la grande ville et des périphéries dégradées sans avoir perdu les caractères et les défauts du village. Vu que maris, fiancés et amants de vingt à soixante ans démontraient un fameux penchant à aimer s’entretenir un peu trop avec cette « sale nègre » (ils le faisaient même depuis longtemps avec d’autres, mais on sent bien que Bouche de Rose devait être légèrement plus belle que la moyenne), les commères étaient compréhensiblement et visiblement préoccupées. « Et s’il me revient à la maison avec le SIDA, ce porc ? », « On devrait les rejeter toutes à la mer ! », « Maudites, qu’elles restent chez elles ! », « Mon mari, je ne le touche même plus avec un doigt ! Il est infecté ! », « Mais comment c’est possible que l’État et la Police ne fassent rien ? »
Que rapporta la « Gazette du Levant » ; voici un échantillon des phrases plus fréquentes qui s’entendirent à une assemblée publique enflammée convoquée au cinéma « Odéon » (ou « Métropolitan » ? « Gambrinus » ? Bof.). Il fallait faire quelque chose ; en dehors du cinéma, stationnait une petite foule, convoquée par la section de la Ligue d’Action Populaire (un mouvement qui commençait à avoir quelque succès, même au niveau national). Il y avait des écriteaux jaunes avec lettres noires (le jaune et noir sont les « couleurs officielles » du mouvement) ; quelqu’un disait « Dehors Bouche de Rose », ou bien « Bocca de Rosa go home » ; quelqu’un plus audacieux que les autres, mais certain d’interpréter correctement les sentiments de la masse, s’était hasardé à écrire « Dehors la sale nègre de Sant’Ilario ».
(Bien entendu, diverses personnes qui manifestaient étaient habituellement vues – entre onze heures et minuit sur le boulevard ; mais sur ce détail, la « Gazette du Levant » glisse légèrement).
Comme dans toutes les assemblées du genre, on n’arrivait cependant pas à une conclusion claire. Elle semblait être l’habituelle manifestation de muscles qui se termine en queue de poisson, lorsque, tout à coup, une vieille du quartier prit la parole. Jamais mariée, sans enfant et – de l’avis unanime, laide comme la faim [laide comme un pou, dit-on usuellement en français], elle parla peu. Il y en avait qui continuaient à invoquer la Police et l’État ; elle, par contre, dit simplement que « nous devons y penser tout seuls, et d’une manière définitive ». On la laissa partir avec des ovations, comme disait Brassens dans le Mécréant.
La nuit d’après – et ici la « Gazette du Levant » se fait vague, parce qu’il y a une enquête en cours et le procureur n’admet pas de fuites – il semble qu’une auto avec à bord trois hommes se soit rendue à l’endroit où Bouche de Rose avait coutume stationner en attente des clients. Enlevée avec la promesse d’une substantielle compensation, la fille nigériane Okôbwa Gblé de 19 ans, une clandestine en attente de régulariser son permis de séjour, est emmenée sur un viaduc de l’autre côté de la ville. Peut-être pressentit-elle quelque chose, peut-être non ; à un certain moment, elle sortit un couteau de cuisine. Il y eut, comme on lit toujours dans la gazette, un « bref corps-à-corps » ; et il était forcé qu’il soit bref. Une fille seule contre trois énergumènes. Elle en a même reconnu un ; c’était celui qui demandait toujours un « pissing ».
Ils la prennent de force. Elle est déjà assommée. Il est quatre heures du matin, il n’y a pas une âme alentour. Quatre-vingts mètres de vol; et personne ne l’a vu voler.
L’a trouvée, à sept heures et demi du matin, un garçon qui allait à école ; il a tout raconté la police ; mais à la « Gazette du Levant », il ne voulut rien dire. Vous le comprendrez. Avez-vous jamais vu quelqu’un qui est balancé de la moitié ou du tiers de ces (80) mètres ? Moi oui, au moins une dizaine ; et je vous assure que c’est un spectacle auquel on ne s’habitue jamais. Plus on voit la mort, et moins on s’y habitue.
Donc, adieu Bouche de Rose. Quelqu’un t’a fait un enterrement de troisième catégorie, sans vierges aux premiers rangs. Tu as fini dans un cimetière quelconque, avec ton nom et ton âge. Pas de photo. La célèbre « pitié anonyme » de temps en temps dépose une fleur sur ta tombe, qui d’ailleurs se fane rapidement. Tu penses quelle affaire : un chanteur d’ici, tant d’années avant, sur un fait du genre, nous avait vraiment écrit une chanson. À propos d’une qui « s’était envolée au ciel sur une étoile ». Malheureusement, ce chanteur est mort, il y a quelques années ; pour toi aucune chanson, aucune étoile. Tu ne t’es pas envolée au ciel, mais seulement d’un viaduc dans une nuit sans lune.


Dialogue Maïeutique


Ah, Lucien l’âne mon ami toujours très porté sur les choses de l’amour, tu vas aimer cette chanson. C’est une chanson d’amour, c’est évident, mais une chanson qui relate un épisode de guerre, tout aussi clair. Elle s’intitule Bouche de Rose.


Oh, oh !, dit Lucien l’âne en rougissant du bout des lèvres, voilà qui me paraît passionnant et tout à fait dans mes préoccupations, moi qui, comme tu le sais, suis ensorcelé et ne pourrai retrouver mon apparence originelle que si j’arrive à manger certaine rose. Peut-être, vais-je enfin la rencontrer. Mais que raconte au juste cette chanson et de qui est-elle ?

Dans l’ordre : c’est une chanson de Fabrizio De André, grand auteur-compositeur-interprète italien. On lui connaît plus d’une centaine de chansons. Il est aussi connu comme celui qui a fait connaître Georges Brassens au public italien. Cette chanson-ci, Bouche de Rose est d’ailleurs à mon sens une chanson qui irait très bien dans l’univers de Tonton Georges. Une sorte de variante de Margoton, mais en plus explicite cependant. Je suis même à peu près sûr de la filiation : on y retrouve les gendarmes, tous les hommes de la commune, les femmes coalisées, jalouses et rancunières contre la jeune et jolie bergère, qui plaît tant aux hommes. C’est quasiment un archétype. D’ailleurs, va lire À l’Est d’Éden du bon Steinbeck. Dans un certain sens, c’est une critique féroce du groupisme, du panurgisme et du « Il faut être comme tout le monde », qui est le fondement de tout fascisme. Car à quoi crois-tu que sert la mode ? Bien sûr, à développer le chiffre d’affaires de commerçants, mais aussi et je pense même surtout, à tenir le troupeau.
Nous les ânes, on n’est pas trop portés sur le troupeau et moi qui te parle, Marco Valdo M.I. mon ami, moi qui te parle, je serais plutôt partisan de la mauvaise herbe ; bien entendu, de celle qui se broute et se mâche au bord des chemins de traverse.


Je sais, je sais, je te connais assez, Lucien l’âne mon ami, pour savoir que tu as – comme moi d’ailleurs et tonton Georges et Fabrizio et Riccardo et Bouche de Rose et des millions d’autres (heureusement !) – « mauvaise réputation » ou cette autre réputation mauvaise elle aussi – celle des chômeurs.
Comme aurait dit Michel Simon à propos de sa gueule et il en avait une fameuse et laide avec ça : « Mieux vaut avoir mauvaise réputation que pas de réputation du tout ».
Donc, je te disais une histoire de guerre, une dénonciation d’une forme de guerre sournoise que les femmes de bien mènent contre les femmes qui répandent le bien. Une guerre féroce, parfois même carrément atroce dans laquelle on retrouve les pires coups tordus, jusque et y compris le meurtre. La femme libre – tout comme l’homme libre, d’ailleurs – est souvent mise au ban, reléguée en quarantaine, écartée, puis, poursuivie, chassée – c’est le cas de Bouche de Rose ou franchement poussée à la mort, c’est le cas de Clara la pazza, celle qui ne pouvait dire que Hou hou !


Alors, dit Lucien l’âne, il n’y a pas que les hommes à être d’aussi exécrables tueurs.


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




On l’appelait Bouche de Rose,
Elle mettait l’amour au-dessus de tout.
On l’appelait Bouche de Rose,
Elle mettait l’amour par-dessus tout.

Dès son arrivée à la gare
Du village de Saint Hilaire,
Tous s’aperçurent d’un regard
Qu’elle n’avait rien d’un missionnaire.

Y en a qui font l’amour par ennui,
Y en a qui en font une profession,
Bouche de Rose ni l’un ni l’autre,
Elle le faisait par passion.

Mais la passion souvent conduit
À satisfaire ses propres envies
Sans chercher si le bien-aimé
A le cœur libre ou est marié.

Il fallut que cela un jour advienne,
Bouche de Rose s’attira
La colère funeste des chiennes
Auxquelles elle avait piqué leur plat.

Mais les commères du village
Ne brillaient pas par l’initiative ;
Leurs répliques à cet outrage
Se limitèrent à l’invective.

On sait que les gens donnent de bons conseils,
Discourant comme Jésus au Temple,
On sait que les gens donnent de bons conseils
Quand ils ne peuvent donner le mauvais exemple.

Ainsi une vieille jamais mariée,
Sans enfant et sans désir,
S’efforça avec plaisir
De donner à toutes le conseil approprié.

S’adressant à ces cornues, elle dit
Sur un ton sans réplique :
« Le vol d’amour doit être puni
par les autorités publiques ».

Elles s’en allèrent trouver le commandant
Et lui dirent sans barguigner :
« Cette salope a déjà plus de clients
Que tout un supermarché ! »

On envoya quatre gendarmes
Avec leur plumet, avec leur plumet,
On envoya quatre gendarmes
Avec leurs armes et leur plumet.

Le cœur tendre n’est pas du métier
Que pratiquent les carabiniers,
Mais cette fois au train,
Ils l’emmenèrent sans trop d’entrain.

Cette nouvelle originale
N’eut besoin d’aucun journal.
Comme une flèche décochée,
Partout, elle s’est envolée.

À la gare, tous étaient là :
Du commandant au sacristain.
À la gare, tous étaient là :
Les yeux rouges, le chapeau à la main.

Pour saluer celle qui,
Sans aucune prétention,
Pour saluer celle qui
Importa l’amour dans le canton.

Sur le quai, une pancarte jaune,
Avec un écrit au mitan,
Disait : « Adieu Bouche de Rose,
Avec toi, s’en va le printemps ».

Et à l’arrêt suivant, à la gare,
L’attendaient plus de gens qu’à son départ.
Celui-ci lançait un baiser, celui-là une fleur,
Ce dernier la réservait pour deux heures.

Jusqu’au curé, qui ne déteste pas,
Entre un Miserere et un Ave-Maria,
La beauté sans concession,
Qui la voulut dans sa procession.

On promena l’un menant l’autre, dans tout le pays,
Les deux amours : le sacré et le mécréant.
Bouche de Rose en surplis

Et la Vierge au premier rang.