samedi 12 mai 2018

Le Bois à brûler


Le Bois à brûler


Chanson française – Le Bois à brûler – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 39

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – II, XII, XIII, XIV)



Plus nous voudrons te mettre en garde,


Plus tu voudras sauter par la fenêtre.



 « Le Bois à brûler » ?, demande Lucien l’âne, de quel bois peut-il s’agir ? Et que chante donc une chanson qui porte un titre qu’on dirait inspiré d’une réclame de commerce ?

Oui, Lucien l’âne mon ami, on pourrait interpréter pareillement ce titre, mais comme tu vas le voir, il n’est en rien un slogan de scierie. Il s’agit de tout autre chose. Je m’en vais te situer tout ça.
Après avoir assisté à l’éprouvant spectacle du frère mineur Adriaensen (qui se terminait par Ainsi soit-il !, éructant contre les Réformés, les luthériens, les calvinistes, les adamites, les anabaptistes, les libertins et que sais-je encore, Till et Lamme s’en revont sur les chemins. Tout comme on les avait vus sillonnant le Hainaut quelques temps auparavant, à Mons, à Valenciennes, les voici arrivés à Gand. C’est Till qui mène le duo toujours à la recherche des Sept, diffusant toujours le message d’alarme, toujours avertissant les gens du danger qui les menace.

En Hainaut, voilà qui m’intrigue, dit Lucien l’âne. Que se passe-t-il là-bas ?

Tu fais bien de le demander, répond Marco Valdo M.I., j’allais justement te le dire. D’abord, il me faut indiquer qu’en ce temps-là, le Hainaut, dit le Comté de Hainaut ou de Hennau ou de Haynau ou encore autrement, était l’ancien pays des Nerviens, une région à part entière, comprise entre la Sambre et l’Escaut, entre le Cambrésis et le Namurois. On y relevait notamment, les villes de Mons et Valenciennes, une région où va bourgeonner assez tôt l’esprit libre, ferment de la réforme. Il a d’ailleurs fallu qu’en Hainaut, Marie de Hongrie et Marguerite de Parme s’activent fort pour qu’on réprime les dissidents. L’activité inquisitoriale n’y était pas trop bienvenue. Mais finalement, on appliqua rudement comme ailleurs dans les Pays-bas ce que Till appelle la « royale médecine », à l’efficacité redoutablement létale.
Enfin, pour la gouverne générale, on rappellera que le terme (bon) chrétien désigne un réformé ; le mot catholique désigne un catholique.

J’ai suivi avec grand intérêt tes explications, Marco Valdo M.I. mon ami, mais j’aimerais quand même aussi que tu m’éclaires à propos de ce « Bois à brûler ».

En effet, Lucien l’âne mon ami, tu as raison de me le rappeler ; je l’avais perdu de vue. N’empêche, voici de quoi il s’agit. La scène est la suivante : Till est couché à terre sur la place du marché de Gand, il y a du monde, on regarde ce curieux personnage qui, comme un éclaireur dans le western pose l’oreille sur le sol pour entendre venir l’ennemi, ou sur le rail pour écouter venir le train. Comme tu le devines, c’est une mise en scène, une fausse pitrerie, un truc de saltimbanque pour éveiller l’intérêt des gens, pour susciter leur curiosité et pouvoir répandre le message d’alerte des Gueux, dont Till est un envoyé secret.
Qu’entends-tu ?, demandent les gens à Till toujours à terre. « J’entends pousser le bois à brûler les hérétiques. », c’est évidemment une image, mais une image forte, qui frappe l’imagination. Même si les bourgeois (les habitants de la ville) le traitent de fou, le message est passé et s’est inscrit dans les têtes. Et puis, on le tient pour un pitre, ce qui permet à Till de poursuivre sa route.

Eh bien, merci, Marco Valdo M.I. mon ami, me voilà informé. Il est temps à présent de reprendre notre tâche, car de la même façon que Till nous avons à faire et il nous faut tisser le linceul de ce vieux monde malade du pouvoir, pesant, lourd, étouffant et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Las de marcher, Till et Lamme

Se reposent au bord du canal

Et regardent passer hommes et femmes,

Hanche contre hanche, un peu bancals.



Till, triste sans Nelle, a soif ;

Lamme, faux veuf, a faim.

Ils cherchent une taverne

Et finissent à la Blauwe Lanterne.



À Gand le lendemain, Till mène grand tapage ;

Il ameute la ville, il sème l’alarme.

Partout, il crie « Aux armes ! Aux armes ! »,

Il appelle les gens au courage.



Sur la place, couché à terre,

Till feint d’entendre une rumeur.

Que guettes-tu ainsi à cette heure ?

Les bourreaux de la terre des pères.



J’entends pousser le bois à brûler les hérétiques.

J’entends venir les gens d’arme ibériques.

J’entends le pas des mercenaires du roi.

Il est fou, disent les bourgeois.



L’autrefois, en Hainaut, à Mons, à Valenciennes

Les placards avaient déjà fait tant de tort.

À Enghien, à Ghlin, à Avesnes,

Pour les bons chrétiens, rode la mort.



Till s’en va de taverne en taverne ;

Il parle aux réformés,

Il dit aux catholiques épris de liberté

Leur avenir en berne.



Till dit : « Quand on est bien portant,

Être soigné contre son gré

Est assez désolant

Et ruine la santé. »



Les placards et l’Inquisition

Ont le grand dessein

De faire l’œuvre saint

De purger l’hérésie, de saigner la raison.



À coups de canons souverains, de couleuvrines,

Nous soignera cette royale médecine.

Riez à présent, mais fuyez demain

Ou soyez en armes quand sonnera le tocsin.