dimanche 14 février 2016

HORS D’UNE BOÎTE VIDE

HORS D’UNE BOÎTE VIDE



Version française – HORS D’UNE BOÎTE VIDE – Marco Valdo M.I. – 2016
d’après la version italienne de Riccardo Venturi
d’une chanson en Schwyzertüütsch (Alémanique) – Us emene lääre GygechaschteMani Matter1961




EXIL





Une très étonnante chanson de Mani Matter qui fait écho aux artistes de rues : Juifs fuyant les nazis, réfugiés d’Allemagne ou d’Europe centrale ou des Balkans ou des Tziganes… Gens de partout et de nulle part. Tellement de nulle part qu’il n’y a plus qu’un instrument, un vague costume et un chapeau sans tête, qui n’a peut-être même jamais existé. Grande misère de l’exil.


Elle a comme un lien de parenté avec Le Clown de Gianni Esposito https://www.youtube.com/watch?v=jGwQ6-Xi2W4&gl=BE, dit Lucien l’âne en se dandinant gauchement comme s’il portait des sabots trop grands.


Sans aucun doute, Lucien l’âne mon ami. On pourrait tout aussi bien évoquer Henry Miller et son clown qui meurt avec Le Sourire au pied d’une échelle (1948) (The Smile at the Foot of the Ladder). Cela me renforce dans l’idée que les artistes ont une sensibilité tout à fait particulière quand il s’agit d’évoquer le malheur d’autres artistes. En fait, je pense qu’ils incarnent (comme l’ongle incarné dans l’orteil) dans leur imaginaire le destin détruit et destructeur, réduit et réducteur de l’autre. « Je est un autre », certes, mais la proposition est réversible : « l’autre est je » ; l’étrangeté se mue en similitude. Puisqu’on vit la même étrangeté, « l’autre, c’est moi » est le fondement de l’empathie et de la solidarité. Et de l’humaine nation. Et ce depuis toujours.


Tu devrais étendre ce raisonnement à l’ensemble des espèces ; je t’en serais reconnaissant. Ce qui est d’ailleurs le sens de « la déclaration » . Ceci dit, je vois très bien ce dont tu parles. Moi-même, je ressens toujours très fort les douleurs infligées aux ânes. Et à proprement parler, c’est le résultat de cette forme d’identification à l'autre, aux autres. Ainsi, j’ai la nette conscience que – pour la même raison – s’il existait un Dieu, les ânes le verraient sous forme d’un âne, les serpents le verraient sous la forme d’un serpent, les lézards sous la forme d’un lézard, les anacondas sous la forme d’un anaconda, les fourmis sous la forme d’une fourmi, les lémures sous la forme d’un lémure, les cœlacanthes sous la forme d’un cœlacanthe, les poux sous la forme d’un pou, les choux sous la forme d'un chou, les bactéries sous la forme d’une bactérie, les entérocoques sous la forme d’un entérocoque et ainsi de suite. Tout ceci pour dire que cette identification à l'autre est le fondement de la superbe chanson de Mani Matter. Une dernière remarque : Mani Matter dit que cet artiste a tout perdu à la guerre. Reste à savoir de quelle guerre il s’agit ? En quoi elle consiste ?


Il ne peut s’agir évidemment d’une guerre particulière ou alors, de n’importe quelle guerre particulière, ce qui revient au même. En fait, il s’agit de la Guerre de Cent Mille Ans  et mieux encore, dans toutes ses extensions. L’exil des artistes est évidemment une fuite devant une oppression, une menace, une impossibilité de vivre en tant qu’artiste. Ainsi, tout à l’heure, on parlait d’Henry Miller https://fr.wikipedia.org/wiki/Henry_Miller qui, précisément, lui aussi a subi comme artiste en exil les effets de cette guerre : « En 1930, Henry Miller décide de quitter les États-Unis pour ne plus y retourner (cette décision est en partie motivée par sa rupture avec June). Il embarque vers l’Europe et s’installe en France , où il vit jusqu’à ce qu’éclate la Deuxième Guerre Mondiale. Ses premières années de bohème à Paris sont misérables ; il doit souvent lutter contre le froid et la faim. Dormant chaque soir sous un porche différent, courant après les repas offerts… » Il sera poursuivi par la justice de son pays (les USA) pendant plus de trente ans en raison de ses écrits.

Jusqu'où nous mène donc cette chanson ?, demande Lucien l'âne.

Dans l’immédiat, nous voici à Big Sur en Californie, dit Marco Valdo M.I. en riant.


Mais il est temps de reprendre notre tâche et de se remettre à tisser le linceul de ce vieux monde censeur, exileur, bannisseur, ostraciste et cacochyme.


Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Hors d’une boîte vide,
Il a tiré son instrument
Et la boîte a disparu.

Il joue sans archet
Sa chanson sans paroles.
Il porte un buse,
Mais dedans pas de tête.
Pas de cou, pas de corps ;
Pas de bras, pas de jambes,
Car il a tout perdu à la guerre.

Il ne reste que sa chanson,
Même lui n’est plus là ;
Même pas le buse
Qu’il n’a jamais eu.