mardi 29 janvier 2019

POUR EN FINIR AVEC LA MÈRE… !

POUR EN FINIR AVEC LA MÈRE… !


Version française – POUR EN FINIR AVEC LA MÈRE… ! – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson allemande – Immer raus mit der Mutter !Kurt Tucholsky – 1924
Texte de Kurt Tucholsky, publié dans Die Weltbühne en 1924 sous un de ses pseudonymes, celui de Theobald Tiger.
Musique de Hanns Eisler
Interprété par Ernst Busch, album "Ist Das Von Gestern ?" de 1965.


On l’imagine avec ses grosses bacchantes,
Avec ses médailles, son casque

Poème dédié à Paul Graetz (1890-1937), un des maîtres du cabaret berlinois des années Weimar. Paul Graetz, comme Tucholsky lui-même, fut contraint de fuir l’Allemagne en 1933 et mourut prématurément (d’une crise cardiaque, pas de sa propre main, comme Tucholsky) à Hollywood en 1937.

Dans ce poème, Tucholsky affirme quelle est pour lui la solution aux aberrations du nationalisme : connaître le monde, connaître d’autres cultures, vérifier à la première personne que les Français sont comme les Allemands, des êtres humains. Comme nous le savons, Tucholsky, grand viveur, aimait Paris et y passait beaucoup de temps. L’autre chose que Tucholsky aimait (avec les femmes) était le cabaret (la dédicace à Paul Graetz n’est pas accidentelle) et s’il y a un élément qui unissait étroitement Berlin et Paris dans ces années-là était précisément le cabaret, la vie nocturne.

L’invitation de Tucholsky aux Allemands, au lieu de continuer à pleurer sur les guerres passées, est donc d’aller faire une belle promenade sur les boulevards de Paris. Mais attention, pas comme le général Ludendorff avait tenté de le faire au début de la Grande Guerre, en envahissant la Belgique neutre et en rasant avec la Grande Berta les forteresses de Liège pour ouvrir un corridor vers la capitale française… Pour mémoire, Ludendorff, avec von Hindenburg, était le représentant de la classe militaire allemande, le même qui était non seulement coresponsable du carnage de la guerre, mais qui plus tard a aidé à concéder l’Allemagne à Hitler…


L’aspect tragique et moqueur de ces vers est que Ludendorff n’est arrivé qu’à 40 km de Paris alors qu’Hitler, vers qui Tucholsky se tourne enfin pour renouveler son invitation à visiter la France, est vraiment arrivé à Paris, et paspour une visite de courtoisie ou pour assister à un spectacle cabaret. Mais en juin 1940, le grand écrivain et poète juif d’origine polonaise – aimant trop la vie et connaissant bien l’Horreur – avait déjà depuis quelques années mis fin à des jours en exil à Göteborg…



Contractés, ratatinés, ankylosés, paralysés,
Depuis dix ans, ça va comme ça.
Comme les Allemands sont décimés,
Qui étaient les tenants de Goethe autrefois !


Il existe un truc – et il est inouï.
Ce truc, le voici :
Va une fois sur les boulevards, Mec !
Va une fois à Paris, Mec !


Ludendorff, les forts de Liège une fois pris,
Du pays n’est plus jamais sorti.
Quelle journée pour lui ! Le Brave avait été
Pour la première fois à l’étranger.


On l’imagine avec ses grosses bacchantes,
Avec ses médailles, son casque et sa lance,
Une fois sur les boulevards, Mec !
Une fois à Paris, Mec !


Entre au sud, le Hanovre et au nord, la Franconie,
L’horizon se rétrécit.
Peu s’en vont de la maison
Et presque personne dans le monde.


J’aimerais qu’au lieu des chemins du Brandebourg,
Les employés en masse fassent un tour
Sur les boulevards, une fois, seulement !
À Paris, une fois, seulement !


Là-bas dehors, nul ne se soucie
De votre chef de convoi ;
Vous pouvez crier hiphip et hourra :
Le monde continue tranquille.


Les peuples vivent. La joie rit.
Nous, on traîne derrière.
Ce qu’on fait en cachette ici,
Ça sera découvert.


Aux juges, aux bonzes, oui, jusqu’à
M. Hitler, je dis comme ça :
Va une fois sur les boulevards, Mec !
Va une fois à Paris, Mec !