mardi 28 mai 2019

CHANT D’ÉMIGRATION (LES CHAMPS SE VIDENT ET LES ATELIERS SE REMPLISSENT)

CHANT D’ÉMIGRATION (LES CHAMPS SE VIDENT ET LES ATELIERS SE REMPLISSENT)

Version française – CHANT D’ÉMIGRATION (LES CHAMPS SE VIDENT ET LES ATELIERS SE REMPLISSENT) – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson italienne – Canto d'emigrazione (I campi si svuotano si riempiono le officine) – Dario Fo – 1971



Dialogue Maïeutique


« Les champs se vident et les ateliers se remplissent », dit Lucien l’âne, voilà qui me fait penser aux célèbres vases communicants qui se déversent l’un dans l’autre.


Sans doute, Lucien l’âne mon ami, mais cette comparaison est trompeuse, car si tu t’en souviens, dans les mouvements de liquide entre les vases communicants, le système tend à l’équilibre ; il tend à mettre le liquide au même niveau et au niveau le plus élevé possible. Évidemment, tout va dépendre de la capacité des vases, de leurs tailles respectives, de la manière dont ils sont placés l’un par rapport à l’autre.


Oh, dit Lucien l’âne, mais s’il y a trop de liquide ou si le liquide continue à remplir les vases… Ça finit par déborder, mais pour les vases débordants, tant que le liquide continue à arriver, le débordement continue. Il faut donc intervenir à la source pour arrêter le flux, car un simple barrage ne fait que déplacer le problème en créant un vase de plus. A contrario, dans le cas d’un lac de montagne et l’océan dans lequel, au bout du cours, il se déverse, sauf bouleversement majeur, le liquide - en l’occurrence de l’eau et pour autant qu’il en reste dans le lac et qu’il pleuve ou que des glaciers situés plus haut encore fondent et alimentent le lac – continue de couler et jamais l’océan ne déborde.


Je me demande, Marco Valdo M.I. mon mai, dans quoi l’océan pourrait-il déborder ?


Un autre océan, répond Marco Valdo M.I. en riant. Cependant, peu importe ce qu’il advient de ce liquide et de ces vases, on s’égare finalement, car dans le cas des champs et des ateliers, ce sont des humains qu’on déplace, qui se déplacent, ça dépend. De plus, leurs déplacements dépendant de mille critères. Le fait est que dans la chanson, ils se déplacent en grand nombre dans un mouvement qui paraît collectif et plus ou moins, ordonné des champs vers les ateliers.


Mais, dit Lucien l’âne, aussi grands que soient les ateliers, ils ne sont jamais aussi grands que les champs.


Certes, répond Marco Valdo M.I., mais ça n’est pas la raison du vide ; la raison en est que non seulement, les champs se vident, mais également, que les zones rurales ne se repeuplent plus ; et même quand elles ont rempli les ateliers, elles continuent à se vider au profit des villes et particulièrement, des mégapoles. Pour en venir à la canzone, elle raconte cette gigantesque migration des campagnes vers les villes et au-delà vers des villes et des pays lointains. C’est une fuite de populations entières de la misère rurale locale vers la misère des faubourgs industriels qu’on ne découvre qu’à l’usage, quand le mirage s’est évanoui. C’est ce qui est arrivé à Marcovaldo, mon ancêtre littéraire, c’est son histoire que raconta Italo Calvino.


Une amusante et terrifiante histoire, dit Lucien l’âne, et en même temps aussi amusante et terrifiante que la vie elle-même. Pense donc, un émigré du Sud (à l’époque, vu des villes industrielles du Nord, le Sud se limitait encore à l’Italie), marié, six enfants, vivant tous dans un sous-sol ; un manœuvre sans aucune qualification, véritablement perdu dans cette ville (Turin ?) et qui – il faut bien le dire – un peu idiot, probablement analphabète et qui malgré tout, fait face à ce destin absurde. Et encore, il avait un sort pas trop effroyable par rapport à ce qui se passe dans les faubourgs des mégapoles, dont la plupart, malgré leurs millions d’habitants, nous sont inconnues, de l’Inde, de la Chine, du Pakistan, du Nigéria, d’Afrique du Sud, du Brésil, d’Argentine ou du Mexique ou que sais-je ou que dis-je, je m’arrête, la liste serait infinie. Combien de miséreux là, maintenant, dans ce monde : sept milliards ? Demain, dix milliards ? Et s’il est vrai que quand on est dans la misère, on tire le diable par la queue, alors, je me demande quelle longueur doit avoir la queue du diable et quelle douleur, le pauvre diable doit ressentir. Rien que d’y penser, j’en ai mal au bout de mon échine. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde effroyable, terrible, mortifère, misérable, miséreux et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






Les champs se vident,
Les ateliers se remplissent.
De Sicile, des Pouilles et de Calabre,
Mille trains de désespérés partent.


Adieu, adieu amour !
Dans les bagnes lointains
De Lombardie et de Turin,
Adieu, adieu amour,
Nous allons mourir au turbin
Pour pouvoir vivre jour après jour.


Avec les fiches de paie, ils nous étranglent ;
Avec le logement, ils nous étranglent ;
Avec tout ce que nous devons payer, ils nous étranglent.


Adieu, adieu amour !
Dans les bagnes lointains
De Lombardie et de Turin,
Adieu, adieu amour,
Nous allons mourir au turbin
Pour pouvoir vivre jour après jour.


Avec les fiches de paie, ils nous étranglent ;
Avec le logement, ils nous étranglent ;
Avec tout ce que nous devons payer, ils nous étranglent.


Adieu, adieu amour !
Dans les bagnes lointains
De Lombardie et de Turin,
Adieu, adieu amour,
Nous allons mourir au turbin
Pour pouvoir vivre jour après jour.