jeudi 2 juin 2016

CHANSON D’UNE MÈRE ALLEMANDE


CHANSON D’UNE MÈRE ALLEMANDE

Version française – CHANSON D’UNE MÈRE ALLEMANDE – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson allemande – Lied einer deutschen Mutter – Bertolt Brecht – 1941


monté sur un âne,
sur un ânon, petit d’une ânesse. » (Zacharie 9, 9-10) 


Tu sais, Lucien l’âne mon ami, combien dans l’esprit des gens, la douleur d’une mère qui voit souffrir son enfant, spécialement d’ailleurs quand c’est un garçon, fait une profonde impression. C’est en quelque sorte une de ces séquences archétypales venues du plus lointain des âges et considérablement récupérée par la figure chrétienne de la « Mater dolorosa » et on peut aussi y ajouter mille poésies, spectacles et tableaux. Tout cela donne une puissance terrible à l’évocation d’une situation similaire au mythe. C’est sur cette base symbolique que Bertolt Brecht a construit cette « Chanson d’une mère allemande ».


Je n’ignore rien grand-chose de tout cela, ayant moi-même été présent à la naissance légendaire d’un personnage mythique qui sert d’idole à nos idolâtres christicoles. Je suis aussi représenté portant le même sur mon dos lors de son entrée à Bruxelles, dans le tableau célèbre du peintre ostendais James Ensor, parodiant l’entrée du même roi à Jérusalem, comme en témoigne Zacharie :
« Exulte de toutes tes forces, fille de Sion !
Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem !
Voici que ton roi vient à toi :
Il est juste et victorieux,
humble et monté sur un âne,
sur un ânon, petit d’une ânesse. » (Zacharie 9, 9-10)

Formidable ta citation, Lucien l’âne mon ami, te voilà confirmé dans un rôle de premier plan au théâtre des marionnettes qui amuse tant notre société. Mais revenons à la mère allemande dont le fils, loin de se promener sur un âne et de proclamer la fin des chevaux et des arcs de guerre, c’est-à-dire la paix et la concorde entre les humains, s’est engagé à suivre le plus infâme et le plus délirant des dictateurs sanguinaires et se promène sur un panzer.
Et la mère qui avait placé tant d’espoir dans ce fils, qui l’avait imaginé en bon fils d’une bonne mère, se rend compte de ce qu’il est devenu et elle énumère ses griefs :
Ah, si j’avais su où te conduiraient tes bottes et les horreurs qu’elles t’induiraient à faire… mais j’ai apprécié ta chemise brune quand elle t’a servi de suaire.


Que voilà en quelques strophes une immense tragédie familiale et je pense qu’elle n’est pas seulement familiale et qu’encore une fois, il nous faut lire au-delà des lignes et voir dans cette mère allemande, l’Allemagne elle-même et dans ce fils dévoyé, ce peuple allemand qui s’est laissé entraîner et conduire jusqu’à sa propre destruction par le joueur de tambour de Braunau. Ratata, ratapla. Reprenons maintenant notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde plein de chemises de couleur, de bottes, de brun et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane





Mon fils, je t’ai offert ces bottes
Et cette chemise brune.
Ce qu’aujourd’hui je sais, l’aurais-je su
Alors, je me serais plutôt pendue.

Mon fils, lorsque j’ai vu ta main
Faire le salut hitlérien
Je ne savais pas qu’à ainsi saluer
Ton bras se serait desséché.

Mon fils, je t’entendais
Parler d’une famille de héros.
Je n’imaginais, je ne voyais, je ne savais
Pas que tu étais leur bourreau.

Mon fils, quand je te voyais
Marcher derrière Hitler,
J’ignorais que jamais,
Tu ne reviendrais en arrière.

Mon fils, quand tu me disais que l’Allemagne
Ne pourrait plus être reconnue,
Je ne savais pas qu’elle serait devenue
Cendres, sang et ruines.

Je vis la chemise brune que tu portais
Je ne m’y suis pas opposée alors
Je ne savais pas ce qu’aujourd’hui, je sais :
Que c’était ta chemise de mort.


LA MARCHE VERS LE TROISIÈME REICH


LA MARCHE VERS LE TROISIÈME REICH

Version française – LA MARCHE VERS LE TROISIÈME REICH – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson allemande – Der Marsch ins Dritte Reich – Bertolt Brecht – 1933





Voici, Lucien l’âne mon ami, une chanson de Bertolt Brecht, ce poète et dramaturge allemand dont nous avions déjà mis en langue française et commenté ensemble la « Légende du Soldat mort », datée de 1918.

Certainement, Marco Valdo M.I. mon ami, que je me souviens de ce soldat mort et qui ne s’en souviendrait pas qui l’aurait vu une seule fois dans sa vie. Comment ne pas se souvenir d’une pareille histoire où l’on voit un cadavre se relever de parmi les morts.

À ce sujet, Lucien l’âne mon ami, une histoire venue de l’autre côté du front, il y a une anecdote que me racontait ma grand-mère, une Champenoise qui fut infirmière du côté de Verdun dans ces années-là, au temps des gueules cassées. Elle disait que les Français, attaqués par surprise dans leurs tranchées et presque bousculés par l’offensive ennemie lancèrent ce cri de ralliement : Debout les morts et concluait ma grand-mère : et les morts se levèrent et nous eûmes la victoire. Vieux souvenir et sans doute une légende elle aussi. Avec le recul, maintenant que je te la raconte à mon tour, je me dis qu’elle vaut bien le Clairon de Déroulède ou le Drapeau de Reboux et Müller. Mais je l’aime beaucoup, car elle me rappelle ma grand-mère, qui noyait ce souvenir de sa jeunesse d’une larme d’ironie. Cela dit, ces soldats morts qui se relèvent et repartent au combat, quand tu es enfant, ça impressionne.

Mais celle-ci, de chanson, elle raconte quoi ?

Eh bien, avant de répondre à cette question, je te suggère, mon ami Lucien l’âne, de considérer que cette chanson a été écrite en 1933, année où dès le mois de janvier, le Führer devient chancelier d’Allemagne, autrement dit accède au pouvoir. C’est de cela que parle la chanson et Brecht brocarde le Führer et ses vanteries et Brecht se moque de ce Troisième Reich qu’il ne pourra empêcher d’exister et de détruire l’Allemagne entière, une grande partie de l’Europe et des millions de gens. Regarde bien et tu verras que Brecht parodie les thuriféraires du héraut du national-socialisme.
Elle vient bien cette chanson de Brecht après que les SA ont ouvert la marche :
« Au pas de l’oie, vers d’autres victoires,
En levant haut la jambe, en levant haut le genou,
Marquer le pas, surtout pas d’arrêt ;
Marcher sur place, surtout pas d’arrêt,
En levant haut la jambe, en levant haut le genou. »
Et dans quelque temps, volens nolens, le peuple du troisième Reich suivra.

Examinons-la de près et reprenons notre tâche et tissons – encore et toujours – le linceul de ce vieux monde fanfaron, marcheur, épique et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Le Führer dit : maintenant, c’est le dernier hiver, le dernier !
Seulement ce n’est pas le moment de mollir, il faut marcher !
En avant, le Führer dans sa douze cylindres, nous entraîne !
Marche, il ne faut pas perdre le contact ! Marche, marche, marche ! 

Qu’il est long le chemin vers le Troisième Reich, mes enfants!
Comme il s’étire, c’est à n’y pas croire, croire,
C’est un grand arbre que le chêne allemand,
Du haut, on voit luire l’espoir.

Le Führer dit : Maintenant, on n’ira plus informes !
Il l’a déjà dit aux industriels allemands :
Nous voulons acheter de nouveaux uniformes.
Le capitaine Röhm ne nous aime pas sans. 

Qu’il est long le chemin vers le Troisième Reich, maman !
Un peu d’amour le raccourcit de moitié.
C’est un grand arbre que le chêne allemand,
Et les rapports entre camarades sont renforcés.

Le Führer a dit qu’il vivra longtemps encore,
Et qu’il sera plus âgé qu’Hindenburg, sans souci.
Et qu’il n’a pas du tout peur de la mort.
Pour cela, il n’est pas pressé et c’est ainsi.

Qu’il est long le chemin vers le Troisième Reich, mes enfants !
Comme il s’étire, c’est à n’y pas croire, croire,
C’est un grand arbre que le chêne allemand,
Du haut, on voit luire l’espoir.