Version française – L’EAU DOUCE – Marco Valdo M.I. – 2017
Chanson allemande – Das weiche Wasser – Dieter Dehm -1988
Mon
ami Lucien l’âne, voici une chanson qui me semble se référer à
une sagesse des plus anciennes et pour nous, des plus lointaines. À
ce propos connais-tu Lao Tseu ? Est-ce que ce nom te dit quelque
chose ?
Et
comment !, Marco Valdo M.I. mon ami. Je l’ai rencontré là-bas
dans la montagne cheminant sur un buffle énorme et placide, dont le
nom était Chemin Pesant. J’ai salué le gros ongulé et j’ai
salué l’humain. Alors, l’homme m’a dit : « Qui
es-tu âne savant et causant, personnage bien surprenant ?
Car,
dit le philosophe, car Lao Tseu était lui aussi philosophe, comme
tous les buffles que j’ai rencontrés, notre ami le buffle Chemin
Pesant, ici présent, ne dit pas un mot, ce qui est bien reposant
pour les longs voyages. Je ne savais trop que lui répondre.
Alors,
je lui révélai que j’étais âne et homme tout à la fois –
ceci expliquant cela et comme lui, déambulant dans le monde. Il
allait à sa retraite, dont il m’a fait jurer de ne jamais révéler
l’endroit et moi, j’allais vers mon destin.
Cependant,
Marco Valdo M.I. mon ami, ce n’est pas le moment ni le lieu ici et
maintenant de raconter tout ce qu’il me confia au long de notre
bout de chemin d’exil en commun.
D’autres
l’ont déjà fait et particulièrement, Bertolt Brecht dans une
de ses Kalendergeschichten,
une
de ses histoires de calendrier, celles qui accompagnent l’année
tout au long de son chemin et qu’on nommerait en français plus
volontiers : Histoires
d’almanach.
Bertolt
Brecht, dis-tu Lucien l’âne mon ami. Voilà qui est intéressant,
car on l’a déjà rencontré plusieurs fois ici ; c’est un
habitué, en quelque sorte. Peux-tu préciser à quoi tu fais
allusion ?
Marco
Valdo M.I. mon ami, je m’en vais illico satisfaire à ta dévorante
curiosité. Il se fait, vois-tu, que Bertolt Brecht, un homme curieux
de tout, s’est fortement intéressé à l’Asie et
particulièrement, à la Chine ancienne.
Ainsi,
un jour alors qu’il vivait en exil, il en vint à écrire un poème,
assez long d’ailleurs où il raconte l’histoire de Lao Tseu
partant en exil.
Il
l’avait intitulé : « Legende von der Entstehung des
Buches Tao Te King auf dem Weg des Laotse in die Emigration »,
ce qui se traduit, écoute bien, par : « Légende de la
naissance du livre Tao Te King de Lao Tseu sur la route de
l’émigration ».
On
voit déjà que rien que ce titre confirme ce que je t’ai dit à
propos de Lao Tseu, du buffle Chemin Pesant et de leur voyage vers
l’endroit de la retraite cachée du vieux maître chinois, il y a
plus de deux mille cinq cents ans d’ici. C’était aux alentours
d’environ 550 ans avant Zéro et pour la bonne forme, je te cite le
passage où il est question de l’eau douce et qui à mon idée
devrait bien être celui auquel renvoie la chanson :
« Daß
das weiche Wasser in Bewegung
Mit der Zeit den harten Stein besiegt. »
Mit der Zeit den harten Stein besiegt. »
« L’eau
douce en mouvement
Défait
la pierre dure, avec le temps. »
Tout
à fait exact, Lucien l’âne mon ami, c’était bien là aussi mon
sentiment. Il faut tout aussi évidemment comprendre que ce texte
n’est pas sans rapport avec l’exil de Bertolt Brecht lui-même
au temps du frénétique moustachu.
Cette
parabole du sage chinois monté sur le buffle parle de bien autre
chose qu’elle n’en laisse entrevoir au départ. Il s’agit d’une
double réflexion adressée aux Allemands (notamment) : d’une
part, aux hitléristes pour leur signifier leur futur et inéluctable
effondrement et d’autre part, aux exilés et aux résistants de
l’intérieur (Widerstand) pour leur donner confiance et courage.
Et
le texte de Brecht, dans son préambule, met clairement en évidence
le contexte – pour qui veut bien lire entre les lignes ou entre les
mots :
« Comme
dans le pays, le bien s’émoussait
Et
le mal se répandait
Il
mit ses souliers
Et
s’en alla sur le sentier… »
Oh,
Marco Valdo M.I., voilà qui est bien intéressant. Cependant, ne
pourrais-tu dire deux trois choses, une sentence ou l’autre de ce
Tao Te King, dont on attribue la paternité à Lao Tseu.
Bien
évidemment, Lucien l’âne mon ami, mais ma version n’a
certainement qu’une très lointaine parenté avec le texte
d’origine et je ne puis te garantir que Lao Tseu lui-même y
reconnaîtrait ses propos ; cela d’autant plus que je ne puis
moi-même vérifier la pertinence des sources ne connaissant
absolument pas le chinois Mais enfin, voici mon adaptation et tu en
feras ce que tu voudras.
C’est
une série de préceptes paradoxaux comme le sage ancien aimait à en
faire. C’est un peu comme en musique, une variation sur le thème
du TTK 63.
« Use
de la paresse,
Abuse du farniente
Savoure le fade
Regarde le minuscule comme immense
Le peu comme multiple
Construis ton œuvre
Abuse du farniente
Savoure le fade
Regarde le minuscule comme immense
Le peu comme multiple
Construis ton œuvre
Avec
une lente patience
Partout,
le
difficile
débute par le
facile
Toujours, le géant par la petitesse »
Toujours, le géant par la petitesse »
Merci
beaucoup, dit Lucien l’âne en riant, mais avec tout ça, je ne
sais encore rien de la chanson elle-même, je ne sais même pas de
quoi elle parle.
En
effet, Lucien l’âne mon ami. Réparons immédiatement cet oubli.
La canzone examine la possibilité, la forte probabilité d’une
troisième guerre mondiale et tente de la conjurer en appelant à une
résistance festive et douce ; douce comme l’eau qui dissout
la pierre et finit par la traverser de part en part et par la briser.
La
canzone date d’il y a maintenant environ trente ans, pense à haute
voix Lucien l’âne, et la troisième guerre mondiale n’a pas
encore eu lieu.
Oh,
ce n’est pas que le feu ne couve pas sous la cendre, ce n’est pas
que les braises ne flambent pas ici ou là, mais enfin, la grande
explosion n’a pas encore éclaté. À mon sens, on ne peut
l’exclure et cette chanson est comme
en écho, me semble-t-il, avec la toute dernière histoire
d’Allemagne, intitulée d’ailleurs : « La
Troisième Guerre » et qui a sans doute raison
quand elle dit :
« La
guerre se fait autrement
En civil, maintenant
On conquiert par l'argent
Avec lui, on asservit les gens.
Les temps ne sont plus les mêmes
Déjà a commencé la troisième. »
En civil, maintenant
On conquiert par l'argent
Avec lui, on asservit les gens.
Les temps ne sont plus les mêmes
Déjà a commencé la troisième. »
Dès lors, reprenons notre tâche et tissons, tissons encore et toujours le linceul de ce vieux monde plein de rumeurs, de furieux, absurde, abominable et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Sauf
les machines et les pierres,
Par
une chanson tous nous relie.
Doux
et tendres,
Les
fusées devant notre porte
Sont
là pour nous défendre.
On
se passerait bien de cette défense
Doux
et tendres,
Doux
et tendres,
Doux
et tendres,