mercredi 27 février 2019

QU’EST-CE QU’ON FOUT NOUS AUTRES ALLEMANDS EN AFRIQUE ?

QU’EST-CE QU’ON FOUT NOUS AUTRES 

ALLEMANDS EN AFRIQUE ?

Version françaiseQU’EST-CE QU’ON FOUT NOUS AUTRES ALLEMANDS EN AFRIQUE ?Marco Valdo M.I.2019
d’après la version en italo-tedesqueMA KE CI SI FA A FARE NOIALTRI TETESKI IN AFRIKA? de Rikkardo Fenturi (2016)
d’une chanson allemande – Was treiben wir Deutschen in Afrika? – anonyme – 1898

Texte d'auteur anonyme à chanter sur la mélodie de la chanson romantique pour enfants "Es klappert die Mühle am rauschen Bach, klipp-klapp, klipp-klapp, klipp-klapp, klipp-klapp". Texte repris dans un "Demokratisches Liederbuch", publié à Stuttgart en 1898. À chanter sur la mélodie de la chanson romantique pour enfants "Es klappert die Mühle am rauschen Bach, klipp-klapp, klipp-klapp, klipp-klapp, klipp-klapp".



Église allemande en pays Herero




Deutsch-Südwestafrika, l'Afrique du Sud-Ouest allemande, ainsi fut appelée une partie du continent africain, qui correspond maintenant plus ou moins à la Namibie, que l'Empire allemand a considérée comme sa colonie entre 1884 et la fin de la Grande Guerre (1914-18). Ce que les colons et les soldats allemands firent n'est rien de moins qu'un génocide, quelques années avant le génocide arménien, communément considéré comme le premier génocide du XXe siècle. La survie des populations indigènes des Nama, des Ovambo et surtout des Herero a été gravement menacée par les soldats du Kaiser sous le commandement du sanglant général Lothar von Trotha, et elles auraient certainement disparu si la guerre en Europe n'avait pas été terminée au détriment des Allemands.
Voir aussi la chanson Vernichtungsbefehl d'Andries Bezuidenhout, magistralement traduite en italien et commentée par notre ami Riccardo Venturi.


Dialogue Maïeutique

Ce qui est étonnant avec cette chanson, Lucien l’âne mon ami, c’est le temps lointain où elle a été imaginée, composée ou écrite – comme on voudra, et le fait qu’elle soit quand même parvenue jusqu’à nous. D’abord, à cause du temps passé, de cette ancienneté, mais aussi à cause de l’éloignement, car comme tu le sais, la Namibie n’est pas à côté de la porte. Et enfin, même en Allemagne, le souvenir des colonies (depuis longtemps perdues – elles furent retirées aux Allemands après la guerre 1914-18) s’est estompé, a été balayé par d’autres aventures nationales et d’autres grands massacres.

Oh, dit Lucien l’âne, l’histoire des vivants est parsemée de grands massacres volontaires en tous genres, tous plus absurdes les uns que les autres, même si en finale – jusqu’à présent, la vie finit par submerger le malheur. Et pour s’en tenir aux humains, ils ont au cours de leur courte présence au monde, du bref délai où a sévi leur espèce commis bien des génocides et des ethnocides. On ne les compte plus, on n’a même plus la mémoire des espèces éradiquées.

Certes, Lucien l’âne mon ami, tu as raison de le dire, mais c’est là un autre débat, car la chanson est déjà assez terrifiante : elle montre des hommes (blancs) opérant le massacre systématique de populations noires. Cependant, il y eut aussi dans l’histoire de la plupart des « colonies » d’Afrique, que la traite négrière fit aussi de terribles chasses à l’homme (femmes et enfants compris), qu’il y a eu récemment encore de grands massacres dans certains pays d’Afrique – mettons : Congo, Rwanda, Burundi ( deux anciennes colonies allemandes), Soudan, Nigeria, Sahara, etc. ; la liste est sans doute plus longue. Sans compter ce qui s’est fait en Amérique par les conquérants et par les empires amérindiens eux-mêmes.

Oui, dit Lucien l’âne, arrête-toi là, on n’en finirait pas. Parle-moi un peu de la chanson ;

De fait, dit Marco Valdo M.I., un peu de précision, car la chanson dénonce sur le mode parodique la colonisation. Elle fait surgir le mensonge de la propagande et raconte avec une sorte de réalisme directe l’aventure africaine, les soubresauts de la « colonisation-décolonisation ». Dans l’histoire récente, presque toutes les nations européennes ont eu leur heure de (dé)gloire ; du moins, celles qui ont eu ou voulu avoir des colonies. Mais, il fut un temps où un État-nation sérieux se devait d’avoir des colonies. Pour terminer, je compléterai la remarque de Riccardo Venturi à propos du mot « Krupp » qu’il traduit par « angina » (en italien), qui pourrait être l'« angine » en français, mais aussi : le « croup » ; j’ajoute que le mot « Kruppe » en allemand se traduit en français par la « croupe » – et en italien…

Oh, dit Lucien l’âne en agitant son arrière-train, en italien, c’est la « groppa », et maintenant, il faut conclure et tisser le linceul de ce vieux monde assassin, génocidaire, ethnocide, missionnaire et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Mais qu’est-ce qu’on a à foutre nous autres Allemands en Afrique ?
O
yez ! Oyez !
Nous allons éradiquer complètement l’esclavage
Et dès lors, si un nègre ne veut plus de nous,
Nous le ferons taire pour toujours.
Pif, paf, boum, hourra !
Heureuse Afrique !

Nous prêchons le christianisme aux païens.
Oh, comme nous sommes braves !
Et ceux qui ne veulent pas croire, nous les zigouillerons !
Paf, boum !
Heureux soient les sauvages, car nous leur enseignons
L’amour chrétien par le feu et l’épée.
Pif, paf, boum, hourra !
Heureuse Afrique !
 
Nous autres, on est de courageux missionnaires
Eviva ! Eviva !
La Croix, le Krupp et le Mauser
La Sainte Trinité !
Et nous portons ainsi en Afrique le Saint Nom de Dieu.
Charité ! Feu ! Alléluia !
Pif, paf, boum, hourra !
Heureuse Afrique !

lundi 25 février 2019

Dangereux pour l’Ordre de l’État



Dangereux pour l’Ordre de l’État


Chanson léviane – Dangereux pour l’Ordre de l’État – Marco Valdo M.I. – 2019

Lettre de prison 11

20 avril 1934


Carlo Levi Autoportrait 1930




Dialogue maïeutique

Il est toujours inquiétant, Lucien l’âne mon ami, d’entendre parler de « danger pour l’Ordre de l’État » ou de choses du genre.

J’imagine, Marco Valdo M.I., mais pourquoi, selon toi ?

Eh bien, répond Marco Valdo M.I., il y a au moins deux raisons à ça. La première, c’est le mot « danger » lui-même et l’absence de précision qu’il recèle ; ce danger est insaisissable et peut dès lors prendre de multiples formes. À quoi peut ressembler le danger à ce stade, nul ne le sait et on ne pense pas nécessairement au pire. Cependant, le pire existe aussi. L’autre raison se trouve dans l’usage qu’évoque l’expression « Ordre de l’État », deux mots qui, mis ensemble, forment un terrible épouvantail et leur réalisation tient de la catastrophe.

Mis ensemble ?, interroge Lucien l’âne, Qu’est-ce à dire ? Faut-il comprendre que séparément, ils n’ont pas la même tonalité, la même dangerosité ?

Exactement, Lucien l’âne mon ami. L’ordre, par exemple, sur ma table de travail, dans ma cuisine ou dans mes chaussettes n’est pas chose inutile et il n’y a là rien que de rassurant. En fait, à dose modérée, ni l’ordre, ni le désordre ne posent le moindre problème et ne peuvent susciter de grands embarras. Mais par contre, à forte dose, ils sont sources d’inquiétude ; à forte dose ou à grande taille. De plus, élevés en principes, ce sont carrément des épouvantails. Et en gros, c’est pareil pour l’État qui n’a trop rien d’effrayant en soi, qui au contraire, peut – doit- être fort utile et au service de tous. Le malheur vient quand on en fait des entités distinctes et dominatrices, qu’on en fait des principes cardinaux et qu’on y met une majuscule Majuscule. De l’État, humble serviteur de la maison commune, on passe à l’État-Maître de Maison, d’une maison accaparée par d’aucuns, lequel État, confondu avec la Nation, a besoin de l’Ordre pour satisfaire son égo.

Sans doute, Marco Valdo M.I. mon ami, mais j’ai l’impression que tu t’es éloigné de la chanson et que tu as inversé le sens du danger.

En effet, Lucien l’âne mon ami, j’ai inversé le sens du danger, mais j’ai suivi en cela la sagesse enfantine qui dit : « C’est celui qui le dit, qui l’est ». En fait, sous un régime fasciste, l’État et l’Ordre constituent le vrai danger pour les gens et pour se disculper, ils jettent l’accusation sur leurs opposants, sur quiconque ose dévoiler leur turpitude. Quant au reste, la chanson fait état des souhaits du prisonnier néophyte – voir sa famille, avoir du linge et développe à nouveau l’argumentaire face aux accusations et aux menaces que l’autorité porte contre lui. Il s’efforce d’écarter les imputations les plus graves et avec une ironie à peine voilée, tout en sachant qu’il n’y a que très peu de chances que son discours soit compris et surtout, entendu :

« Moi, un homme dangereux
Pour l’ordre de l’État,
Curieuse opinion que celle-là.
Un peintre est précieux,
Une richesse pour l’État. »

Je le pense aussi, dit Lucien l’âne. Au jeu du chat et de la souris, le prisonnier tient le rôle de la souris ; il est entièrement soumis au caprice du chat. Cela dit, tissons le linceul de ce monde trouble, autoritaire, impératif, emprisonneur et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



J’aimerais vous voir.
J’y pense tous les soirs.
Est-ce permis ?
Si le règlement l’interdit,
C’est sans espoir.

Il ne fait plus si froid
Dans ces cellules grises.
Il faut d’autres chaussettes, d’autres chemises.
Si la chose est permise,
Si on ne l’interdit pas.

Heureux d’avoir enfin pu
Vous voir. J’aurais voulu
Vous dire tant de choses
Et me voilà morose
De ne l’avoir pu.

Mandat de comparution,
Commission de Relégation,
Ordre, contrordre, hésitation ?
Vont-ils me renvoyer à la maison ?
Espérons.

Comment me disculper
De délits imaginaires,
De fautes inexistantes,
D’accusations fantaisistes,
De racontars infondés.

Moi, un homme dangereux
Pour l’ordre de l’État,
Curieuse opinion que celle-là.
Un peintre est précieux,
Une richesse pour l’État.


dimanche 24 février 2019

TERRE DE PERSONNE


TERRE DE PERSONNE

Version française – TERRE DE PERSONNE – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson italienne – Terra di nessunoNomadi – 2018



« Terre de personne » est un titre de 2018, extrait de l’album "Nomadi Dentro". La chanson se prête à de nombreuses interprétations, étant donné la généralité des paroles, mais elle peut certainement être associée à de nombreuses situations de conflit dans le monde, où les peuples opprimés occupent des terres de personne.

Dialogue maïeutique.

Je ne sais ce que tu penseras toi de cette « Terre de Personne », Lucien l’âne mon ami, toi qui a si longuement parcouru les paysages désolés et désolants que son les terres de personne où selon les endroits et les moments, cuisent ou gèlent les paysans sans terre, les terroni, les somari, tes frères en somme. La chanson dit que ce sont des héros.

Oh, Marco Valdo M.I., pour ce que je sais de leurs existences, ici ailleurs ou autre part ou de n’importe quel parage, ces humains-là sont en effet les vrais héros de la civilisation des hommes que nous, les autres animaux, nous avons vu paraître et grandir depuis quelques millénaires. En si peu de temps, ils ont changé le visage de bien des lieux de la planète – changer le monde serait trop dire pour si peu de choses, car la vie des hommes et leur présence au monde sont choses minuscules, plus proches du zéro que de l’infini. Et cependant, à l’échelle du modeste empire des hommes, ils ont changé le « monde » et laisse-moi te rappeler que sans eux, sans ces culs-terreux, ni les villes pullulantes, ni les infrastructures gigantesques et envahissantes, ni les merveilles technologiques qui sont apparues récemment, n’existeraient et peut-être même, n’y aurait-il plus eu d’humanité depuis longtemps, sans les paysans sans terre – qu’en certain pays de l’autre bout du monde, on désigne sous le nom de péons, sans leur exténuant travail de fourmis, sans ces mains, ces pauvres mains qui ont bâti votre destin. Et tout ça, avec une abnégation incommensurable et la plupart du temps pour presque rien.

Tu as raison, Lucien l’âne, et il me vient soudain à l’esprit l’idée que les plus riches et tous les riches – vrais ou faux, réels ou apparents et tous ceux qui les envient ou veulent le devenir, sont parfaitement ridicules dans leur prétention. Qui seraient-ils, que seraient-ils sans les paysans sans terre ? L’homme, et toi l’âne, tu en seras sans doute d’accord, est un animal fouisseur et si certains l’oublient, c’est car ils ne veulent pas voir qu’ils ne le sont plus que parce que d’autres le font à leur place, que parce qu’ils tirent bénéfice de la misère des autres.

Bien vu, Marco Valdo M.I., la richesse d’une petite partie de l’humaine nation est édifiée sur la misère de l’immense majorité de celle-ci et sur le refoulement systématique de cette vérité, sur l’occultation de cette réalité.

Certes, Lucien l’âne mon ami, d’ailleurs, sans ce refoulement du réel et sans le cynisme qui le fonde et le perpétue, la Guerre de Cent Mille Ans n’aurait pas lieu, car ce serait une position moralement impossible à tenir. Comprends bien ceci que sans justification, aucune guerre ne peut durer ; elle ne peut même pas commencer. C’est le rôle des clercs religieux ou laïcs, de la religion ou de la propagande que de fournir ces justifications. En disant ça, je ne préjuge en rien de savoir si ces justifications et ces autojustifications sont vraies, fausses ou ont une quelconque valeur, mais je dis qu’elles doivent exister. D’où, l’importance de récits, de textes, de poèmes, d’épopées, de chansons qui dénoncent les raisons et les effets de la guerre, de toute guerre, de n’importe quelle guerre ; en l’occurrence, ces chansons, qui sont choses minuscules, agissent sur les justifications, les raisons des guerres comme le vinaigre sur le calcaire ou l’eau sur la pierre – elles en viennent à bout infinitésimalement. D’où l’importante des Chansons contre la Guerre, d’où l’importance de cette chanson « Terre sans Personne » qui expose crûment le destin des paysans sans-terre par la voix de l’un d’entre eux. Elle me rappelle certaines chansons de Rocco Scotellaro, comme : Noi che facciamo ? ou Noi ci bagneremo.

Je viens de parcourir la version française et l’italienne et il me semble, Marco Valdo M.I. mon ami, que tu as apporté ton grain de sable tout à la fin de la canzone. Est-ce que je me trompe ?

Oh, Lucien l’âne mon ami, pas dut tout, tu as l’oreille de l’âne, l’œil de l’aigle et la subtilité du plus savant des lettrés. J’ai en effet légèrement, très légèrement – comme fit le correcteur du Siège de Lisbonne dans le roman de Saramago – pour tout dire, à peine, à peine modifié quelques mots. Cependant, j’avoue que cette modification donne une autre amplitude à la finale qui, du coup, rejoint presque en un chœur le Chant des Canuts. C’est la même fin qui s’ouvre sur le futur et pour les vivants, le futur, c’est tout ce qu’ils ont comme véritable richesse, car le présent est déjà passé quand tu cherches à le voir, quand tu le regardes.

Je trouve ton grain de sable heureux, Marco Valdo M.I. mon ami. Maintenant, tissons, tels les Canuts, le linceul de ce vieux monde imbu, injuste, incorrect, refoulé, avide, perclus de richesses et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

Terre de personne
Entre les Olympiades et les cathédrales,
Parmi étoiles et galaxies
À des distances sidérales,
Nous ressentons le froid glacial
Dans nos os et nos mains
Et en notre cœur contraint.


Terre de personne,
Nos maisons bleues et blanches,
Au milieu de gens sans rien,
Nos bras trop fatigués
Et l’été arrive encore
Avec la lumière de l’aurore
Sur la terre de personne
Où Dieu n’a pas de demeure.
Nous sommes encore là,
Nous sommes encore nous,
D’un film, les héros,
Mais nous sommes encore là,
C’est encore nous
Comme des héros.


Terre de personne
À des distances sidérales,
Nous, nous sentons le froid glacial
Dans nos os et nos mains.
Terre de personne
Entre sourire et chagrins
Où le soleil au milieu du fleuve
Ne montre pas son visage
Dans les rues poussiéreuses
Où les enfants jouent
Dans le silence d’un crépuscule
Entre les mains des assassins.


Nous sommes encore là
C’est encore nous,
D’un film, les héros,
Mais nous sommes encore là,
C’est encore nous
Comme des héros.
Soudain, la tempête viendra.
Réveiller de vieux mythes et
Les saisons vont changer.
Soudain, elle viendra.
Nous sommes encore là
C’est encore nous,
D’un film, les héros,
Mais nous sommes encore là,
C’est encore nous
Comme des héros.


Soudain, la tempête viendra.
Réveiller de vieux mythes et
Les saisons vont changer.
Soudain, elle viendra.
Et nous serons encore là,
Et ce sera encore nous,
Du film, les héros,
Mais nous serons encore là,
Et ce sera encore nous
Comme des héros.


jeudi 21 février 2019

SUICIDES IDÉAUX


SUICIDES IDÉAUX


Version française – SUICIDES IDÉAUX – Marco Valdo M.I. – 2019
d’après la version italienne – SUICIDI IDEALI – de Riccardo Venturi – 2011
Texte poétique de Κώστας ΚαρυωτάκηςKostas Karyotakis




KOSTAS KARYOTAKIS



Comme « second acte » de mon retour sur le site, voilà le grec. Et, évidemment, il ne pouvait pas être autre que « mon » Xylouris ; mais avec une chanson inusuelle, ironique, imprégnée d’humour noir et de sa vie. Karyotakis, en somme. Elle est tirée de l’album Σάλπισμα, que le dramaturge et le décorateur théâtral Loukas Thanou réalisa à partir de poésies, en plus de Kostas Karyotakis, de Kostas Varnalis, Aris Alexandrou et D. Thanos (c’est, entre autre, le même album dont est tiré Η μπαλάντα του Kυρ-Μέντιου). Un album à la genèse très compliquée, commencé en 1972, déjà terminé en 1976, mais publié seulement en 1980 ; un album entièrement confié à la voix de Xylouris. Et quand on confiait quelque chose à la voix de Psaronikos, même le bottin du téléphone d’Iraklion, tout devenait quelque chose d’inoubliable.
Des mois d’absence, cependant sans renoncer à mes « fixations » ; et cette chanson l’est devenue vite, car elle me touche profondément. Je continuais à me répéter : « Dès que je retourne sur le site, je l’insère immédiatement » ; la voici. Une chanson dont je soutiens la terreur, car on pénètre dans un territoire ardu : celui du suicide. Des chansons qui parlent de suicides ne sont pas peu, et qu’on pense seulement à la Preghiera in Gennaio de De André ; et il y a même des chansons qui invitent à ne pas arrêter (la Brève invitation à renvoyer le suicideBreve invito a rinviare il suicidiode Battiato et de Sgalambro, Everybody Hurts de REM…); mais celle-ci est une chanson qui se moque de ces d’aspirants au suicide qui préparent toute la scène (on dirait : le rituel) en sachant déjà parfaitement qu’ils se garderont bien de donner suite à leur insane intention.
Oui, elle m’émeut cette chanson ; elle touche tous ceux qui, au moins une fois dans leur vie, ont accompli le même rituel. Il y a déjà de nombreuses années, je ne sais maintenant plus pour quel motif, sur la rive d’un fleuve, la lettre déjà écrite, dans la soirée propice d’un hiver sombre et froide. J’enlève les chaussures et les socquettes et je mets un pied dans l’eau dégoûtante de l’Arno : dégoûtante et glaciale à décourager. Je retire le pied et j’y enfile l’autre : même scène. À ce moment, je m’assieds sur une pierre avec la tête entre les mains, et je commence à rire. À ricaner. Aux éclats ! Cet épisode m’a suffi pour m’empêcher non seulement de retenter le coup, mais même de y repenser encore. Encore maintenant, quand j’ai l’intention de me critiquer férocement tout seul, j’y retourne par l’esprit ; et je me remets à rire.
Mais il y a, probablement, aussi autre chose dans cette chanson des « Suicides idéaux ». Par exemple, les faux suicides de tant de manipulateurs, magouilleurs, politiciens en prison ; pendant que ceux qui, en prison, se suicident vraiment (et par dizaines) sont les abandonnés, les immigrés, qui n’ont et ne ressentent plus aucun espoir. Se suicide celui qui perd son travail, qui est licencié sans préavis pour un vol de dix euros, qui ne sait pas plus comme continuer à vivre. Sans rien écrire et sans rituels. Peut-être, dans ce cas, il faudrait parler d’homicides d’état, d’assassinats socio-politiques.
Enfin, à la fin, il y a la fin. Kostas Karyotakis fut pratiquement celui qui introduisit le surréalisme en Grèce ; surréellement, ou peut-être pas, l’auteur de ces vers contre les faux suicides, se suicida vraiment. Le 21 juillet 1928, le poète sortit de sa maison à Preveza et alla à la plage de Monolithi où il tenta inutilement, pendant dix heures d’affilée, de se noyer en mer. N’ayant pas réussi, avec une scène que j’imagine surréelle et comique (quelqu’un qui essaye pendant dix heures de se noyer, vous l’imaginez ? Ça ferait rire même Jorge de Burgos, le bibliothécaire aveugle du Nom de la Rose !), réécrivit sa « dernière lettre » où il expliquait qu’il était un nageur chevronné et qu’au lieu de mourir, il venait de faire brasses sur brasses. Le lendemain matin, il sortit à nouveau de sa maison, alla s’acheter un revolver et se rendit ensuite dans un petit café, où pendant trois heures, il fuma des cigarettes l’une derrière l’autre. Ensuite, il alla à sur autre plage, Agios Spyridon (Saint Spiridon), et il se tira une balle dans le cœur sous un eucalyptus. [RV]



Ils tournent la clé dans la porte, prennent
Les vieilles lettres qu’ils avaient laissées ;
Ils lisent calmes, pour traîner ensuite
Leurs pas pour une dernière fois.


Leur vie, disent-ils, fut une tragédie,
Mon Dieu, les rires horripilants des gens,
Les larmes, la sueur, la nostalgie
Des ciels, les lieux abandonnés.


Ils se mettent à la fenêtre, ils regardent
Les arbres, les enfants et, au-delà de, la nature ;
Ils regardent les marbriers qui martèlent
Et le soleil qui va se coucher pour toujours.

Ils regardent les marbriers qui martèlent
Et le soleil qui va se coucher pour toujours.


Tout est fini. Voici la dernière lettre,
Brève, mince, profonde, ainsi c’est bien.
Plein d’indifférence et de pardon
Pour celui qui, la lisant, certainement pleurera.


Ils se regardent dans le miroir et ils voient l’heure,
Ils se demandent si c’est folie ou erreur ;
Ils murmurent en eux : « Tout est fini »,
Très convaincus qu’ils y repenseront.

Ils murmurent en eux : « Tout est fini »,
Très convaincus qu’ils y repenseront.