mardi 5 avril 2016

LES YEUX DE GÉRONIMO

LES YEUX DE GÉRONIMO


Version française – LES YEUX DE GÉRONIMO – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson italienne – Gli occhi di GéronimoDel Sangre – 2016


Je les ai regardés avec mes yeux de Géronimo.


Dialogue maïeutique

Voici, mon cher ami Lucien l’âne, une chanson dont le titre ne manquera pas d’intriguer certains. Elle s’intitule « Les Yeux de Géronimo ». Au départ, j’avais dans l’idée que c’était une sorte de personnage qui se prenait pour Géronimo, lequel est un Apache légendaire. Le personnage de la chanson (licencié de son emploi) reparcourait en imagination l’aventure des populations amérindiennes en lutte pour leur survie en la plaquant sur sa propre vie. J’avais en mémoire une autre chanson italienne où parlait un personnage qui disait : « Et moi, j’étais Sandokan ». Mais après coup, il m’est apparu préférable de te proposer une évocation de Géronimo lui-même. Même si, quand même, le personnage de la chanson…


Comment peux-tu être aussi affirmatif ?, Marco Valdo M.I. mon ami.


Eh bien, je suis arrivé à cette conclusion en parcourant la biographie de Géronimo, un Amérindien Apache, né en 1829, soit – remarque-le bien – 100 ans après la mort du bon curé Meslier . Géronimo, quant à lui, mourra en 1909 assez misérablement de pneumonie déporté dans un fort en Oklahoma. De ce fait, il me faut te raconter un peu la vie de cet homme et la mettre en parallèle à la chanson. Il connut dès sa jeunesse la vie errante des tribus apaches – aux confins des Étazunis et du Mexique ; il est admis, tout jeune, parmi les guerriers. Sa colère va se déchaîner après le meurtre de sa famille (sa mère, sa femme, ses trois enfants) par l’armée mexicaine et il accomplira son devoir de vengeance en massacrant à son tour des Mexicains, qui pris de terreur imploraient le saint du jour : « Jeronimo ». Dès ce moment, il s’empare de ce nom qui, peut-être le croyait-il, lui avait été adressé. Les tribus apaches mènent pendant dix années une guérilla avant de se rendre et d’accepter d’être cantonnées dans une réserve, dont Géronimo avec d’autres va s’échapper avant d’être repris et ainsi de suite durant le reste de sa vie. Une longue série de redditions et de reprises de la guérilla contre les Mexicains d’abord, puis contre les Étazuniens. On enverra contre les Apaches des milliers de soldats afin de mettre fin à cette perpétuelle révolte. Au total, il mènera la lutte – avec des hauts et des bas – pendant près de 30 ans et il regrettera jusqu’à sa mort de s’être finalement rendu.


Oh, dit Lucien l’âne pensif, il a dû avoir une vie difficile et terrible, une vie hantée par la colère et la mort. Une vie de paria, un perpétuel qui-vive ou qui-meurt. Mais, dis-moi, Marco Valdo M.I., pourquoi le titre est-il « Les Yeux de Géronimo » et pas seulement, « Géronimo ».


Excellente question et je vais te répondre en deux temps, sur deux plans. Pour commencer de façon générale. C’est dans les yeux, dans le regard que l’on peut vraiment voir l’homme, c’est là que s’exprime le mieux ce que j’appellerai l’homme intérieur, celui qui est en dedans. Le corps peut subir bien des vicissitudes, bien des déboires ; il peut se flétrir, il peut se mutiler, mais le regard – comme à certains égards – la voix attestent du plus profond de l’être. Ils sont comme hors de ces atteintes de l’âge ou des usures physiques. Le regard reste lui-même tant que l’homme intérieur résiste au temps qui passe. Et maintenant, de manière particulière en ce qui concerne Géronimo, je t’ai préparé un gros plan de son regard, de ses yeux et comme tu pourras le constater toi-même, ils sont remplis de son histoire. Par parenthèse, j’ai pu le faire car Géronimo est un de ces personnages mythiques (disons comme Buffalo Bill, alias William Frederick Cody (1846-1917), son presque contemporain) dont on possède une série de photographies. Il faut d’ailleurs, pour beaucoup d’entre nous, faire un effort d’imagination pour arriver à situer Géronimo dans le temps, tant ces histoires de western, de tribus indiennes, ces histoires d’Amérique nous semblent si lointaines comme les légendes arthuriennes ou les aventures des mousquetaires. Mais Géronimo est un personnage réel qui à quelques années près aurait pu jouer son propre rôle dans un film. Ainsi, je te rappelle que cet homme est mort en 1909 et que, par exemple, « L’Origine des Espèces » de Charles Robert Darwin  date de 1859, soit un demi-siècle auparavant ; et si Géronimo était venu en Europe, il aurait fait la traversée sur un paquebot transatlantique à vapeur et aurait gagné Paris en train, il aurait monté en haut de la Tour Eiffel, comme nous pourrions le faire toi et moi.


Cela dit, les problèmes que posaient Géronimo et les siens ne sont toujours pas résolus et les Amérindiens survivent généralement mal dans les réserves où on les a parqués. Et il n’est sans doute pas à l’ordre du jour de les régler. Il doit y avoir un relent de ça dans le regard si perçant de Géronimo. Alors, pour notre part, tissons, tissons le linceul de ce vieux monde raciste, perclus, recroquevillé sur ses inégalités et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.


J’avais dans un sac à dos, mes quinze ans et un peu de rêves
Et la terre me brûlait sous les pieds,
J’avais les pupilles dilatées par le trop de soleil déjà fixé
Et ma confiance dans la vie, mise à l’épreuve.

Avec la violence du matin, qui mordait sans trêve
Comme un chien qui saute droit à la gorge,
J’avais le cœur à contre temps et ma flamme sous le vent.
Quand l’incendie éclate, on n’a pas un instant.

J’avais du sang sur mon vêtement quand ils m’ont agenouillé
Et porté au tribunal enchaîné,
Mes blessures encore ouvertes et les pieds entravés.
Jure sur Dieu, jure de dire la vérité.

Mais de ma bouche, Votre Honneur ne saura pas plus la vérité
Que de chaque gredin que j’ai tué,
Chaque banquier en costume, chaque garde de la moralité.
Je crois bien que je mentirais de m’excuser.

J’avais une famille et un travail au moins honnête
Et les cheveux trop tôt blanchis sur ma tête.
Réduction de personnel, ils m’avaient dit ;
Sans un salut, sans même un merci.

Et ma maison eut vite un ciel comme toit,
Quand la banque me l’enleva
Et il ne reste rien, sauf le reflet d’un miroir
Où j’ai peur de me voir.

J’avais les dents gâtées et le courage dans le doigt
Lorsque je pressai sur la détente
Et n’espérez pas que je me repente
De les avoir tous étendus dans ce trou avant moi.

J’avais la vie ravagée d’un homme de quarante ans
Mais, ils ne m’ont pas fait plier, pas même un instant.
Ils ont tout pris, mais pas le regard de ce temps :
Je les ai regardés avec mes yeux de Géronimo.