vendredi 10 juin 2016

LILI MARLÈNE


LILI MARLÈNE

(Chanson d’un jeune planton)

Version française – LILI MARLÈNE (Chanson d’un jeune planton) – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson allemande – Lili Marleen [Lied eines jungen Wachtpostens] – Hans Leip – 1915




LILI MARLEEN : HISTOIRE D’UNE CHANSON UNIVERSELLE

« Lili Marleen » a été la chanson préférée des soldats du monde entier pendant la Deuxième guerre mondiale ; pratiquement, c’en fut l’hymne officieux. C’est une chanson allemande écrite en 1915 par un jeune soldat hambourgeois et mise en musique par un artiste qui se compromit avec le nazisme, chanson qui cependant franchit vite les frontières de l’Allemagne et fut adoptée par tous les hommes qui allaient mourir par dizaines de milliers, en pensant peut-être à leur « Lili » laissée on ne sait où. Les chansons ont parfois d’étranges histoires. Étranges et imprévisibles.

Le texte original est un poème, intitulé Das Lied eines jungen Soldaten auf der Wacht « La Chanson d’un jeune Soldat de Garde », qu’un soldat allemand, Hans Leip écrivit avant de se rendre au front dans les Carpates en 1915 ; le poème faisait partie d’un volume intitulé Die Harfenorgel (« La Harpe »). Le nom « Lili Marleen » provient de celui de son amie (la fille d’un verdurier) combiné avec celui d’une jeune infirmière, Marleen, qui semble par contre avoir été l’amie d’un compagnon d’armes.

L’édition allemande de Wikipedia propose une deuxième, et assez curieuse, version à propos de l’origine de la chanson de Hans Leip. Selon elle, Hans Leip serait tombé amoureux Lilly Freud (1888-1970), la nièce de Sigmund Freud (c’était la fille de sa sœur Marie). Hans Leip confirma ensuite l’avoir connue. La jeune fille, qui était actrice, le laissa pour épouser, en 1917, l’acteur et réalisateur Arnold Marlé. Leip écrivit donc la chanson en l’intitulant « Lilly Marlé », devenue ensuite « Lili Marleen ». Lilly Freud-Marlé déclara que dans sa famille, on avait toujours raconté que la Lili Marleen de la chanson, c’était elle. Si cette histoire est vraie, elle serait hautement ironique : les soldats de la Wehrmacht chantaient une chanson dédiée à une jeune fille juive. Mais même Hans Leip a plusieurs fois démenti cette hypothèse.

Le poème de Hans Leip, quoique de caractère décidément antiguerre, fut publié dans un recueil de poésies patriotiques en 1937 ; bien vite Lili Marleen (elle aussi notoirement antiguerre) allait attirer l’attention de la chanteuse Lale Andersen (pseudonyme d’Eulalia Lieselotte Bunnenberg, née en 1905 à Bremerhaven et morte en 1972 à Vienne), qui demanda au compositeur Rudolf Zink, de la mettre en musique. Naît ainsi une première version romantique, qu’Andersen interprète dans des petits cabarets de Berlin et de Munich. En 1938, elle demande au compositeur Norbert Schultze (né en 1911 à Braunschweig et mort le 17 octobre 2002), de mettre aussi en musique la poésie, chose que Schultze fit tout de suite en chantonnant une mélodie qu’il avait créée deux ans auparavant pour une publicité radiophonique du dentifrice Chlorodont. Il s’agit d’une mélodie plus « martiale », et Lale Andersen chanta parfois une, parfois l’autre version dans les cabarets. De ses dires, elle préférait la première version plus « douce », mais il les présentait toutes les deux pour sonder les faveurs du public. C’est de toute façon la seconde version que Lale Andersen finit par enregistrer, qui s’imposera pendant la Seconde guerre mondiale. Une chanson immédiatement décriée par la critique, qui la jugea « sombre et privée de rythme ».

Norbert Schultze, de toute façon, déjà riche et célèbre avant le succès énorme de la chanson de la « fille sous le réverbère » qui attendait son fiancé près de la guérite. Ses œuvres, marches et mélodies de facture soldatesque et propagandiste, ont des titres catégoriques qu’il vaudrait peut-être mieux omettre dans un recueil de chansons contre la guerre, du type « Bomben auf England » (Bombes sur l’Angleterre). En 1945, les Alliés lui ordonnèrent de cesser de composer, mais en 1948, Schultze était déjà à nouveau en activité.

Cette chanson a connu une histoire fort tourmentée. Le très puissant ministre de la propagande et de l’information du III Reich, tristement célèbre Dr Goebbels, ne l’aimait pas du tout. Il voulait une marche militaire. Andersen elle-même était rétive à l’enregistrer ; elle le fit pour la première fois en 1938 pour Apollo Verlag, sous le titre de Das Mädchen unter der Laterne (« La fille sous le réverbère ») ; au début, on en vendit très peu, seulement 700 exemplaires, et ce fut pareil avec la nouvelle gravure du 2 août 1939 pour l’Electrola Studio de Berlin, la première version où la chanson paraît sous le titre de « Lili Marleen » (et avec le sous-titre Lied eines jungen Wachtpostens « Chanson d’une jeune sentinelle »), qui passa pratiquement inaperçue. Tout ceci jusqu’à ce qu’une radio militaire allemande commence à la transmettre, en 1941, pour les forces engagées en Afrique (l’« Afrika Korps » du maréchal Rommel).

Les commandements allemands s’aperçurent bien vite de quoi il éclatait ils parmi les mains, avec cette chanson qui rappelait aux soldats un amour laissé à l’arrière au lieu de l’ardeur de guerrier. Une chanson « défaitiste », en somme ; les soldats la chantaient avec les larmes aux yeux pendant qu’ils allaient crever pour la grandeur du Reich. « Lili Marleen » donc fut évidemment interdite, circonstance qui contribua à accroître sa popularité, qui était déjà devenue énorme.

Lors de l’occupation allemande de la Yougoslavie, en 1941, fut installée à Belgrade une station radiophonique pour transmettre des nouvelles à la Luftwaffe et à l’Afrika Korps. La station s’appelait « Soldatensender Belgrad », le lieutenant Karl-Heinz Reintgen, directeur de cette radio, avait un ami dans l’Afrika Korps à qui la chanson, malgré son interdiction officielle, plaisait beaucoup, et qui demanda à l’émetteur de la transmettre ; et Reintgen, en éludant à ses risques et péril l’interdiction (ce qui n’était pas peu !), accepta et la fit transmettre pour la première fois le 18 août 1941. Ici se manifesta le second miracle : la chanson plut au maréchal Erwin Rommel en personne, qui demanda à Reintgen de l’insérer dans le programme musical fixe de la station, contre l’avis de Goebbels et même de Hitler. La chanson devînt bien vite le signal de fermeture des transmissions de l’émetteur, à 9 heures et 55 du soir.
À partir de là, rien ne put plus arrêter le progrès de la chanson. Elle fut captée et écoutée par les Forces Alliées, et Lili Marleen devînt la chanson la plus connue et préférée des soldats des deux camps, qui la chantaient en allemand ou dans leur langue. Somme toute, une chanson qui réussit à unir des milliers de gens qui se combattaient avec acharnement. Une chanson universelle de fraternité de soldats qui partageaient le même terrible destin.

La popularité immense de la version allemande entraîna une traduction en anglais, probablement quand un éditeur britannique de chansons, John Jordan Phillips, reprocha à un groupe de soldats anglais de la chanter dans la langue de l’« ennemi ». Un soldat, très fâché, répliqua brutalement : « Et pourquoi on ne nous écrit pas les paroles en anglais ? » Ainsi fut faite une version par un parolier anglais, Tommie Connor, en 1944 et interprétée par la chanteuse Anne Sheldon, qui atomisa tous les records de ventes. La chanson, transmise quotidiennement par la BBC (dans la version de Vera Lynn), fut adoptée par la Huitième Armée britannique, et ensuite même par les forces américaines en Europe.

On la passait dans les hôpitaux militaires et transmise par d’énormes haut-parleurs, avec les nouvelles de propagande ; elle était chantée dans les rues. Elle était chantée au front, des deux côtés des lignes.

Elle fut interprétée dans la langue originale et en anglais par l’exilée allemande Marlene Dietrich, qui la porta dans le monde entier à la suite des troupes alliées (en Afrique du Nord, en Sicile, en Alaska, au Groenland, en Islande et en Angleterre). La version américaine de Marlene Dietrich, interprétée avec un chœur anonyme, en 1944, atteint les records de vente durant quelques mois, répétant ce tour de force dizaines d’années plus tard (en 1968, lorsque devînt même une « protest song »). En 1981, elle réussit à rester longuement dans le hit-parade allemand, et en 1986, même au Japon. Autrement dit, dans tous les pays frappés par la tragédie de la Seconde guerre mondiale.


La chanson a été traduite en 48 langues. Parmi celles-ci : le français, le russe, l’italien et l’hébreu. La version croate semble avoir été une des chansons préférées du maréchal Tito.

« Lili Marleen » est probablement la plus célèbre chanson de guerre, et intrinsèquement une chanson contre la guerre, de tous les temps. Le thème du soldat qui pense à son amour est universel. Lale Andersen expliqua son succès planétaire avec ces mots : « Le vent peut-il expliquer pourquoi il devient une tempête ? »

(Le texte de l’introduction en italien est une réélaboration et une intégration de Riccardo Venturi de textes anglais et allemands repris de la « Page officielle de Lili Marleen »)

25 mars 2005


Dialogue maïeutique


Lili Marlène, mais Marco Valdo M.I., je la connais cette chanson. C’est une chanson du temps de la guerre. Je l’ai entendue fort souvent depuis ce temps-là. Mais justement, ce temps-là, pour moi, c’était la Deuxième Guerre mondiale ; alors, explique-moi, ce qu’elle fait ici en plein milieu de la Première Guerre mondiale.


Ah, Lucien l’âne mon ami, c’est encore une histoire assez étrange et d’une certaine manière paradoxale. Une chanson d’amour, somme toute assez banale, qui raconte une histoire ordinaire, arrivée à des milliers de jeunes soldats et qui devient une sorte de tube parmi les belligérants de tous les camps. Un autre aspect paradoxal est celui que tu soulignes : voici une chanson qu’on situe généralement dans les chansons de la Seconde Guerre mondiale – ce qu’elle fut assurément, mais qui est en réalité et très objectivement une chanson de la Première Guerre mondiale. J’affirme tranquillement ça, malgré ton regard interrogatif encore, car elle a été écrite en 1915 par Hans Leip, jeune soldat affecté à la Garde impériale à Berlin. Cependant, son argument est quasiment intemporel : un jeune soldat rencontre son « amie » près de la caserne, etc, il part au front (comme Hans Leip et des millions d’autres) et il meurt à la guerre (comme des millions d’autres) ; du moins, on le suppose à la lecture de la dernière strophe.


C’est bien vrai qu’elle est intemporelle et que tant qu’il y aura des guerres, elle sera d’actualité. Et, je t’assure, dit Lucien l’âne en riant, qu’elle aurait aussi bien pu concerner un « miles » romain affecté à la garde du Palais de Néron ou un planton de Nabuchodonosor.


Évidemment, pour le mélo, on joue le grand air de la nostalgie, le pauvre soldat songe à son amie qu’il a laissée et qui l’oublie dans les bras du suivant et il pense aussi à l’autre qui a pris sa place, disons sous la lanterne. Pour corser l’affaire et émouvoir plus encore, on fait en plus surgir la chanson de la tombe du jeune mort nostalgique.


En effet, dit Lucien l’âne, c’est un vrai mélodrame, cette chanson. Un mélodrame des plus mélos et des plus dramatiques, un mélimélo propre à séduire les cœurs d’artichaut et les âmes infantiles.


Tu as parfaitement résumé la chose, Lucien l’âne mon ami. C’est une chanson qui joue sur les émotions et sur les réflexes psychologiques profonds, acquis dans la petite enfance ; sur les ressorts qui actionnent les sentiments des militaires et des ménagères, encore que chez ces dernières, il y ait de solides exceptions. Berta, par exemple, raisonnait plus sainement. Cette résonance sentimentale dans les âmes militaires montre combien ces hommes et ces jeunes gens, et les populations à leur suite, sont infantilisés et en quelque sorte, hypnotisés et chloroformés. Mais ce n’est pas un hasard, car c’est une nécessité intrinsèque à la conduite de la guerre. On ne peut faire une armée militaire, obéissante et sans conscience propre, prête à massacrer et à se laisser massacrer, avec des adultes sensés.
Tout le conditionnement disciplinaire vise précisément à infantiliser (certains diraient lobotomiser, d’autres robotiser) les recrues ; heureusement, ça ne marche pas toujours, il y a des réticences chez certains. D’ailleurs, au temps du service militaire obligatoire, ceux qui retardaient leur incorporation de quelques années pour des raisons d’études (par exemple) étaient plus difficiles à mettre sous le joug que les jeunes recrues. Au point que ces « incorporés tardifs » étaient mis dans des groupes spécifiques, afin d’éviter la contagion.


Oh, dit Lucien l’âne, quand même pour la plupart des gens et tout spécialement, les jeunes (encore qu’il ne manque pas de vieux cons, comme aurait Tonton Georges), la guerre, c’est toujours la guerre des pissotières ; elle ressemble à une grande compétition sportive ou inversement. Concluons ainsi et reprenons notre tâche et tissons à nouveau sans désemparer le linceul de ce vieux monde infantile, militarisé, inconscient et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Devant la caserne
Devant la grand porte
Il y avait une lanterne
Et elle y est encore.
Là, on pourra se retrouver ;
Sous la lanterne, on pourra rester
Comme avant, Lili Marlène,
Comme avant, Lili Marlène.

Nos deux ombres
Semblent montrer aux autres
Comme nous nous sommes tant aimés.
Notre amour est si évident
Que le voient tous les gens
Quand nous sommes sous la lanterne
Comme avant, Lili Marlène,
Comme avant, Lili Marlène.

Déjà, le veilleur crie,
Le couvre-feu a sonné,
Trois jours d’arrêt, ça peut coûter.
« Camarade, j’arrive ! »
On s’est dit au revoir, on s’est quitté.
Même si avec toi, je voulais m’en aller.
Comme avant, Lili Marlène,
Comme avant, Lili Marlène.

Il connaît ton pas,
Ta démarche souple.
Chaque soir, ça me brûle
Et la douleur ne me lâche pas
Tant qu’il est là sous la lanterne,
Avec toi, Lili Marlène,
Avec toi, Lili Marlène.

Dans ce grand silence
Du fond de la terre
Me revient comme en rêve
Ta bouche amoureuse.
Et aux premières brumes,
Je serai sous la lanterne,
Comme avant, Lili Marlène,
Comme avant, Lili Marlène.