LILI
MARLÈNE
(Chanson
d’un jeune planton)
Version
française – LILI MARLÈNE (Chanson d’un jeune planton) – Marco
Valdo M.I. – 2016
Chanson
allemande – Lili Marleen [Lied eines jungen Wachtpostens] – Hans
Leip – 1915
LILI
MARLEEN : HISTOIRE D’UNE
CHANSON UNIVERSELLE
« Lili
Marleen » a été la chanson préférée des soldats du monde
entier pendant la Deuxième guerre mondiale ; pratiquement, c’en
fut l’hymne officieux. C’est une chanson allemande écrite en
1915 par un jeune soldat hambourgeois et mise en musique par un
artiste qui se compromit avec le nazisme, chanson qui cependant
franchit vite les frontières de l’Allemagne et fut adoptée par
tous les hommes qui allaient mourir par dizaines de milliers, en
pensant peut-être à leur « Lili » laissée on ne sait
où. Les chansons ont parfois d’étranges histoires. Étranges et
imprévisibles.
Le texte original est un poème, intitulé Das Lied eines jungen Soldaten auf der Wacht « La Chanson d’un jeune Soldat de Garde », qu’un soldat allemand, Hans Leip écrivit avant de se rendre au front dans les Carpates en 1915 ; le poème faisait partie d’un volume intitulé Die Harfenorgel (« La Harpe »). Le nom « Lili Marleen » provient de celui de son amie (la fille d’un verdurier) combiné avec celui d’une jeune infirmière, Marleen, qui semble par contre avoir été l’amie d’un compagnon d’armes.
L’édition
allemande de Wikipedia propose une deuxième, et assez curieuse,
version à propos de l’origine de la chanson de Hans Leip. Selon
elle, Hans Leip serait tombé amoureux Lilly Freud (1888-1970), la
nièce de Sigmund Freud (c’était la fille de sa sœur Marie). Hans
Leip confirma ensuite l’avoir connue. La jeune fille, qui était
actrice, le laissa pour épouser, en 1917, l’acteur et réalisateur
Arnold Marlé. Leip écrivit donc la chanson en l’intitulant
« Lilly Marlé », devenue ensuite « Lili Marleen ».
Lilly Freud-Marlé déclara que dans sa famille, on avait toujours
raconté que la Lili Marleen de la chanson, c’était elle. Si cette
histoire est vraie, elle serait hautement ironique : les soldats de
la Wehrmacht chantaient une chanson dédiée à une jeune fille
juive. Mais même Hans Leip a plusieurs fois démenti cette
hypothèse.
Le poème de Hans Leip, quoique de caractère décidément antiguerre, fut publié dans un recueil de poésies patriotiques en 1937 ; bien vite Lili Marleen (elle aussi notoirement antiguerre) allait attirer l’attention de la chanteuse Lale Andersen (pseudonyme d’Eulalia Lieselotte Bunnenberg, née en 1905 à Bremerhaven et morte en 1972 à Vienne), qui demanda au compositeur Rudolf Zink, de la mettre en musique. Naît ainsi une première version romantique, qu’Andersen interprète dans des petits cabarets de Berlin et de Munich. En 1938, elle demande au compositeur Norbert Schultze (né en 1911 à Braunschweig et mort le 17 octobre 2002), de mettre aussi en musique la poésie, chose que Schultze fit tout de suite en chantonnant une mélodie qu’il avait créée deux ans auparavant pour une publicité radiophonique du dentifrice Chlorodont. Il s’agit d’une mélodie plus « martiale », et Lale Andersen chanta parfois une, parfois l’autre version dans les cabarets. De ses dires, elle préférait la première version plus « douce », mais il les présentait toutes les deux pour sonder les faveurs du public. C’est de toute façon la seconde version que Lale Andersen finit par enregistrer, qui s’imposera pendant la Seconde guerre mondiale. Une chanson immédiatement décriée par la critique, qui la jugea « sombre et privée de rythme ».
Norbert
Schultze, de toute façon, déjà riche et célèbre avant le succès
énorme de la chanson de la « fille sous le réverbère »
qui attendait son fiancé près de la guérite. Ses œuvres, marches
et mélodies de facture soldatesque et propagandiste, ont des titres
catégoriques qu’il vaudrait peut-être mieux omettre dans un
recueil de chansons contre la guerre, du type « Bomben auf
England » (Bombes sur l’Angleterre). En 1945, les Alliés lui
ordonnèrent de cesser de composer, mais en 1948, Schultze était
déjà à nouveau en activité.
Cette chanson a connu une histoire fort tourmentée. Le très puissant ministre de la propagande et de l’information du III Reich, tristement célèbre Dr Goebbels, ne l’aimait pas du tout. Il voulait une marche militaire. Andersen elle-même était rétive à l’enregistrer ; elle le fit pour la première fois en 1938 pour Apollo Verlag, sous le titre de Das Mädchen unter der Laterne (« La fille sous le réverbère ») ; au début, on en vendit très peu, seulement 700 exemplaires, et ce fut pareil avec la nouvelle gravure du 2 août 1939 pour l’Electrola Studio de Berlin, la première version où la chanson paraît sous le titre de « Lili Marleen » (et avec le sous-titre Lied eines jungen Wachtpostens « Chanson d’une jeune sentinelle »), qui passa pratiquement inaperçue. Tout ceci jusqu’à ce qu’une radio militaire allemande commence à la transmettre, en 1941, pour les forces engagées en Afrique (l’« Afrika Korps » du maréchal Rommel).
Les commandements allemands s’aperçurent bien vite de quoi il éclatait ils parmi les mains, avec cette chanson qui rappelait aux soldats un amour laissé à l’arrière au lieu de l’ardeur de guerrier. Une chanson « défaitiste », en somme ; les soldats la chantaient avec les larmes aux yeux pendant qu’ils allaient crever pour la grandeur du Reich. « Lili Marleen » donc fut évidemment interdite, circonstance qui contribua à accroître sa popularité, qui était déjà devenue énorme.
Lors de l’occupation allemande de la Yougoslavie, en 1941, fut installée à Belgrade une station radiophonique pour transmettre des nouvelles à la Luftwaffe et à l’Afrika Korps. La station s’appelait « Soldatensender Belgrad », le lieutenant Karl-Heinz Reintgen, directeur de cette radio, avait un ami dans l’Afrika Korps à qui la chanson, malgré son interdiction officielle, plaisait beaucoup, et qui demanda à l’émetteur de la transmettre ; et Reintgen, en éludant à ses risques et péril l’interdiction (ce qui n’était pas peu !), accepta et la fit transmettre pour la première fois le 18 août 1941. Ici se manifesta le second miracle : la chanson plut au maréchal Erwin Rommel en personne, qui demanda à Reintgen de l’insérer dans le programme musical fixe de la station, contre l’avis de Goebbels et même de Hitler. La chanson devînt bien vite le signal de fermeture des transmissions de l’émetteur, à 9 heures et 55 du soir.
À
partir de là, rien ne put plus arrêter le progrès de la chanson.
Elle fut captée et écoutée par les Forces Alliées, et Lili
Marleen devînt la chanson la plus connue et préférée des soldats
des deux camps, qui la chantaient en allemand ou dans leur langue.
Somme toute, une chanson qui réussit à unir des milliers de gens
qui se combattaient avec acharnement. Une chanson universelle de
fraternité de soldats qui partageaient le même terrible destin.
La popularité immense de la version allemande entraîna une traduction en anglais, probablement quand un éditeur britannique de chansons, John Jordan Phillips, reprocha à un groupe de soldats anglais de la chanter dans la langue de l’« ennemi ». Un soldat, très fâché, répliqua brutalement : « Et pourquoi on ne nous écrit pas les paroles en anglais ? » Ainsi fut faite une version par un parolier anglais, Tommie Connor, en 1944 et interprétée par la chanteuse Anne Sheldon, qui atomisa tous les records de ventes. La chanson, transmise quotidiennement par la BBC (dans la version de Vera Lynn), fut adoptée par la Huitième Armée britannique, et ensuite même par les forces américaines en Europe.
On la passait dans les hôpitaux militaires et transmise par d’énormes haut-parleurs, avec les nouvelles de propagande ; elle était chantée dans les rues. Elle était chantée au front, des deux côtés des lignes.
Elle fut interprétée dans la langue originale et en anglais par l’exilée allemande Marlene Dietrich, qui la porta dans le monde entier à la suite des troupes alliées (en Afrique du Nord, en Sicile, en Alaska, au Groenland, en Islande et en Angleterre). La version américaine de Marlene Dietrich, interprétée avec un chœur anonyme, en 1944, atteint les records de vente durant quelques mois, répétant ce tour de force dizaines d’années plus tard (en 1968, lorsque devînt même une « protest song »). En 1981, elle réussit à rester longuement dans le hit-parade allemand, et en 1986, même au Japon. Autrement dit, dans tous les pays frappés par la tragédie de la Seconde guerre mondiale.
La
chanson a été traduite en 48 langues. Parmi celles-ci : le
français, le russe, l’italien et l’hébreu. La version croate
semble avoir été une des chansons préférées du maréchal Tito.
« Lili Marleen » est probablement la plus célèbre chanson de guerre, et intrinsèquement une chanson contre la guerre, de tous les temps. Le thème du soldat qui pense à son amour est universel. Lale Andersen expliqua son succès planétaire avec ces mots : « Le vent peut-il expliquer pourquoi il devient une tempête ? »
(Le texte de l’introduction en italien est une réélaboration et une intégration de Riccardo Venturi de textes anglais et allemands repris de la « Page officielle de Lili Marleen »)
25 mars 2005
Dialogue
maïeutique
Lili
Marlène, mais Marco Valdo M.I., je la connais cette chanson. C’est
une chanson du temps de la guerre. Je l’ai entendue fort souvent
depuis ce temps-là. Mais justement, ce temps-là, pour moi, c’était
la Deuxième Guerre mondiale ; alors, explique-moi, ce qu’elle
fait ici en plein milieu de la Première Guerre mondiale.
Ah,
Lucien l’âne mon ami, c’est encore une histoire assez étrange
et d’une certaine manière paradoxale. Une chanson d’amour, somme
toute assez banale, qui raconte une histoire ordinaire, arrivée à
des milliers de jeunes soldats et qui devient une sorte de tube parmi
les belligérants de tous les camps. Un autre aspect paradoxal est
celui que tu soulignes : voici une chanson qu’on situe
généralement dans les chansons de la Seconde Guerre mondiale – ce
qu’elle fut assurément, mais qui est en réalité et très
objectivement une chanson de la Première Guerre mondiale. J’affirme
tranquillement ça, malgré ton regard interrogatif encore, car elle
a été écrite en 1915 par Hans Leip, jeune soldat affecté à la
Garde impériale à Berlin. Cependant, son argument est quasiment
intemporel : un jeune soldat rencontre son « amie »
près de la caserne, etc, il part au front (comme Hans Leip et des
millions d’autres) et il meurt à la guerre (comme des millions
d’autres) ; du moins, on le suppose à la lecture de la
dernière strophe.
C’est
bien vrai qu’elle est intemporelle et que tant qu’il y aura des
guerres, elle sera d’actualité. Et, je t’assure, dit Lucien
l’âne en riant, qu’elle aurait aussi bien pu concerner un
« miles » romain affecté à la garde du Palais de Néron
ou un planton de Nabuchodonosor.
Évidemment,
pour le mélo, on joue le grand air de la nostalgie, le pauvre soldat
songe à son amie qu’il a laissée et qui l’oublie dans les bras
du suivant et il pense aussi à l’autre qui a pris sa place, disons
sous la lanterne. Pour corser l’affaire et émouvoir plus encore,
on fait en plus surgir la chanson de la tombe du jeune mort
nostalgique.
En
effet, dit Lucien l’âne, c’est un vrai mélodrame, cette
chanson. Un mélodrame des plus mélos et des plus dramatiques, un
mélimélo propre à séduire les cœurs d’artichaut et les âmes
infantiles.
Tu
as parfaitement résumé la chose, Lucien l’âne mon ami. C’est
une chanson qui joue sur les émotions et sur les réflexes
psychologiques profonds, acquis dans la petite enfance ; sur les
ressorts qui actionnent les sentiments des militaires et des
ménagères, encore que chez ces dernières, il y ait de solides
exceptions. Berta, par exemple, raisonnait plus sainement. Cette
résonance sentimentale dans les âmes militaires montre combien ces
hommes et ces jeunes gens, et les populations à leur suite, sont
infantilisés et en quelque sorte, hypnotisés et chloroformés. Mais
ce n’est pas un hasard, car c’est une nécessité intrinsèque à
la conduite de la guerre. On ne peut faire une armée militaire,
obéissante et sans conscience propre, prête à massacrer et à se
laisser massacrer, avec des adultes sensés.
Tout
le conditionnement disciplinaire vise précisément à infantiliser
(certains diraient lobotomiser, d’autres robotiser) les recrues ;
heureusement, ça ne marche pas toujours, il y a des réticences chez
certains. D’ailleurs, au temps du service militaire obligatoire,
ceux qui retardaient leur incorporation de quelques années pour des
raisons d’études (par exemple) étaient plus difficiles à mettre
sous le joug que les jeunes recrues. Au point que ces « incorporés
tardifs » étaient mis dans des groupes spécifiques, afin
d’éviter la contagion.
Oh,
dit Lucien l’âne, quand même pour la plupart des gens et tout
spécialement, les jeunes (encore qu’il ne manque pas de vieux
cons, comme aurait Tonton Georges), la guerre, c’est toujours la
guerre des pissotières ; elle ressemble à une grande
compétition sportive ou inversement. Concluons ainsi et reprenons
notre tâche et tissons à nouveau sans désemparer le linceul de ce
vieux monde infantile, militarisé, inconscient et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Devant
la caserne
Devant
la grand porte
Il
y avait une lanterne
Et
elle y est encore.
Là,
on pourra se retrouver ;
Sous
la lanterne, on pourra rester
Comme
avant, Lili Marlène,
Comme
avant, Lili Marlène.
Nos
deux ombres
Semblent
montrer aux autres
Comme
nous nous sommes tant aimés.
Notre
amour est si évident
Que
le voient tous les gens
Quand
nous sommes sous la lanterne
Comme
avant, Lili Marlène,
Comme
avant, Lili Marlène.
Déjà,
le veilleur crie,
Le
couvre-feu a sonné,
Trois
jours d’arrêt, ça peut coûter.
« Camarade,
j’arrive ! »
On
s’est dit au revoir, on s’est quitté.
Même
si avec toi, je voulais m’en aller.
Comme
avant, Lili Marlène,
Comme
avant, Lili Marlène.
Il
connaît ton pas,
Ta
démarche souple.
Chaque
soir, ça me brûle
Et
la douleur ne me lâche pas
Tant
qu’il est là sous la lanterne,
Avec
toi, Lili Marlène,
Avec
toi, Lili Marlène.
Dans
ce grand silence
Du
fond de la terre
Me
revient comme en rêve
Ta
bouche amoureuse.
Et
aux premières brumes,
Je
serai sous la lanterne,
Comme
avant, Lili Marlène,
Comme
avant, Lili Marlène.