mercredi 1 juin 2022

LE VOL ALPIN

 


LE VOL ALPIN


Version française – LE VOL ALPIN – Marco Valdo M.I. – 2022

d’après la traduction italienne de Riccardo Venturi

d’une chanson alémanique (bernoise – Bärndüüdsch) – Dr Alpeflug – Mani Matter – 1970
Paroles et musique : Hans Peter Matter (Mani Matter)
Album :
Berner Troubadours, 1971








« Deux amis, il y a une cinquantaine d’années et des poussières, partent faire un joli vol au-dessus des Alpes dans un petit avion de tourisme, peut-être loué ou peut-être possédé par l’un d’eux. Il faut imaginer leur émotion : voler à haute altitude au-dessus des sommets enneigés, au-dessus des silences éternels, là où les aigles se hasardent, au-dessus de l’immensité silencieuse qui invite à la réflexion et à l’introspection, immergé dans la beauté. Seulement, il y a un petit problème : la machine volante infernale a un moteur qui fait un chahut terrifiant, bien autre chose que le silence et l’immensité. À l’intérieur du petit avion, on a l’impression d’être au milieu d’un chantier routier avec les pelles et les marteaux-piqueurs ; aussi, lorsque le passager à l’arrière se rend compte avec terreur que le réservoir de carburant est presque à sec, il essaie de dire à celui qui est à l’avant, qui pilote et qui ne s’en est pas aperçu (un beau pilote de rien, pourrait-on dire). En vain. Dans le fracas du moteur, les deux hommes ne s’entendent pas et se renvoient des hurlements et des bruits indistincts, tandis que l’essence s’épuise et que l’affaire tourne à la catastrophe. Tel est le résumé de cette chanson glaçante de Hans Peter Matter, qui – comme d’habitude – fait rire et frémir la peau en même temps. Il s’agit, bien sûr, d’une chanson typiquement matterienne : la perte de vitesse (d’autant plus à bord d’un avion…), la suspension du temps, l’absurdité qui pousse à l’abîme. À tout cela s’ajoutent deux autres composantes : l’incompréhension qui règne en maître entre deux personnes très proches (mais empêchées par un élément perturbateur, en l’occurrence un moteur qui fait un boucan du diable) et l’imbécillité qui – comme toujours – sert parfaitement l’incommunicabilité la plus tragique.

Quelques mots sur la discographie qui, comme c’est toujours le cas avec Mani Matter, est plutôt complexe. Le premier enregistrement semble toutefois se trouver sur un album collectif de 1971 intitulé Berner Troubadours, une sorte d’anthologie des chansonniers bernois de l’époque (Jacob Sticklberger, Markus Traber, Fritz Widmer, Ruedi Krebs et, bien sûr, Mani Matter, qui est présent avec quatre chansons (dont Si hei dr Wilhälm Täll ufgfüertOn a joué Guillaume Tell). [RV, 30-5-2022].






Deux amis dans un avion de tourisme

S’en vont faire un vol au-dessus des Alpes,

Ils volent par-dessus les sommets,

Et planent au-dessus des glaciers.


Derrière, est assis le passager,

Devant, le pilote tient la direction ;

Le moteur de l’avion

Tonitruant fait tout vibrer.


Soudain, celui derrière, se met à hurler :

« Le carburant manque, il faut se poser ! »

« Quoi ? Tu dis ? », le pilote dit,

« Quoi ? Je n’ai rien compris ! »


Celui derrière crie : « Qu’as-tu dit ?

Pourquoi on n’atterrit pas maintenant ? »

« Parle plus fort ! », crie celui devant,

« Je n’entends pas un mot avec ce bruit ! »


« Je ne comprends pas ! » crie celui derrière,

« Pourquoi ne pas atterrir ? Tu es contre ? »

« Je ne comprends pas ! » crie celui devant,

« Tu dois parler plus fortement ! »


« Quoi ? Qu’est-ce que tu dis ? », hurle l’autre,

« Le réservoir est vide, on n’ira pas loin ! » ;

« Putain, avec ce fracas de tonnerre »,

Crie celui devant, « Je n’entends rien ! »


Mais atterris donc, crie celui derrière,

« Mordieu, il n’y a plus rien d’autre à faire ! »

« Ne t’énerve pas », crie celui devant,

« Parle plus fort, par le Saint Sang ! »


« Putain », dit l’autre, « Si on n’atterrit pas,

On va s’écraser tout en bas ! »

« Je n’entends absolument rien », crie l’autre,

« Quand tu vas comprendre ? !? »


Dans le fracas du moteur, ainsi,

Le pilote n’a pas compris

Que bientôt, il n’aurait plus de carburant

Et qu’il devait atterrir rapidement.


Et, soudain, ce fut le silence,

Du fait qu’il n’y avait plus d’essence.

Quand maintenant enfin, ils ont compris,

Ils ne se sont plus rien dit.