LE VOL ALPIN
Version française – LE VOL ALPIN – Marco Valdo M.I. – 2022
d’après la traduction italienne de Riccardo Venturi
d’une
chanson alémanique (bernoise – Bärndüüdsch) – Dr Alpeflug
– Mani Matter – 1970
Paroles
et musique : Hans Peter Matter (Mani Matter)
Album :
Berner
Troubadours,
1971
« Deux
amis, il y a une cinquantaine d’années et
des poussières,
partent faire un joli vol au-dessus des Alpes dans un petit avion de
tourisme, peut-être loué ou peut-être possédé par l’un d’eux.
Il faut imaginer leur
émotion :
voler à
haute altitude au-dessus
des sommets enneigés, au-dessus des silences éternels, là où les
aigles se
hasardent,
au-dessus de l’immensité silencieuse qui invite à la réflexion
et à l’introspection, immergé dans la beauté. Seulement, il y a
un petit problème : la machine volante infernale a un moteur
qui fait un chahut
terrifiant, bien
autre chose que
le silence et l’immensité. À l’intérieur du
petit avion,
on a l’impression d’être au milieu d’un chantier routier avec
les
pelles
et les
marteaux-piqueurs ; aussi, lorsque le passager à l’arrière
se rend compte avec terreur que le réservoir de carburant est
presque à
sec,
il essaie de dire à celui qui est à l’avant, qui pilote et qui ne
s’en est pas aperçu
(un beau
pilote de
rien,
pourrait-on dire). En vain. Dans le fracas
du
moteur, les deux hommes ne s’entendent
pas et se
renvoient des hurlements et des bruits indistincts,
tandis que l’essence s’épuise et que l’affaire tourne à la
catastrophe. Tel est le résumé de cette chanson glaçante de Hans
Peter Matter, qui – comme d’habitude – fait rire et frémir la
peau en
même temps. Il s’agit, bien sûr, d’une chanson typiquement
matterienne : la
perte de vitesse
(d’autant plus à bord d’un avion…), la suspension du temps,
l’absurdité qui pousse à l’abîme. À tout cela s’ajoutent
deux autres composantes : l’incompréhension qui règne en
maître entre deux personnes très proches (mais empêchées par un
élément perturbateur, en l’occurrence un moteur qui fait un
boucan du diable) et l’imbécillité qui – comme toujours –
sert parfaitement l’incommunicabilité la plus tragique.
…
Quelques
mots sur la discographie qui, comme c’est toujours le cas avec Mani
Matter, est plutôt complexe. Le
premier enregistrement semble toutefois
se
trouver sur un album collectif de 1971 intitulé Berner
Troubadours,
une sorte d’anthologie des chansonniers bernois de l’époque
(Jacob Sticklberger, Markus Traber, Fritz Widmer, Ruedi Krebs et,
bien sûr, Mani Matter, qui est présent avec quatre chansons (dont
Si
hei dr Wilhälm Täll ufgfüert – On
a joué Guillaume Tell).
[RV, 30-5-2022].
Deux
amis dans un avion de tourisme
S’en vont faire un vol au-dessus des Alpes,
Ils volent par-dessus les sommets,
Et planent au-dessus des glaciers.
Derrière, est assis le passager,
Devant, le pilote tient la direction ;
Le moteur de l’avion
Tonitruant fait tout vibrer.
Soudain, celui derrière, se met à hurler :
« Le carburant manque, il faut se poser ! »
« Quoi ? Tu dis ? », le pilote dit,
« Quoi ? Je n’ai rien compris ! »
Celui derrière crie : « Qu’as-tu dit ?
Pourquoi on n’atterrit pas maintenant ? »
« Parle plus fort ! », crie celui devant,
« Je n’entends pas un mot avec ce bruit ! »
« Je ne comprends pas ! » crie celui derrière,
« Pourquoi ne pas atterrir ? Tu es contre ? »
« Je ne comprends pas ! » crie celui devant,
« Tu dois parler plus fortement ! »
« Quoi ? Qu’est-ce que tu dis ? », hurle l’autre,
« Le réservoir est vide, on n’ira pas loin ! » ;
« Putain, avec ce fracas de tonnerre »,
Crie celui devant, « Je n’entends rien ! »
Mais atterris donc, crie celui derrière,
« Mordieu, il n’y a plus rien d’autre à faire ! »
« Ne t’énerve pas », crie celui devant,
« Parle plus fort, par le Saint Sang ! »
« Putain », dit l’autre, « Si on n’atterrit pas,
On va s’écraser tout en bas ! »
« Je n’entends absolument rien », crie l’autre,
« Quand tu vas comprendre ? !? »
Dans le fracas du moteur, ainsi,
Le pilote n’a pas compris
Que bientôt, il n’aurait plus de carburant
Et qu’il devait atterrir rapidement.
Et, soudain, ce fut le silence,
Du fait qu’il n’y avait plus d’essence.
Quand maintenant enfin, ils ont compris,
Ils ne se sont plus rien dit.