RECHERCHE
GÉNÉALOGIQUE
Version
française – RECHERCHE
GÉNÉALOGIQUE – Marco Valdo M.I. – 2021
d’après la version italienne – Ricerca genealogica (Bärnhard Matter) – Riccardo Venturi – 2021
d’une chanson suisse alémanique en Bärndüüdsch (bernois) – Ahneforschig (dr Bärnhard Matter)– Mani Matter [1972]
ARBRE DES AÏEUX CHINOIS
Sincèrement, je n’ai jamais eu le démon des recherches généalogiques, bien qu’ayant eu une certaine proximité avec un pays, l’Islande, où la généalogie est le sport national. Certes, parfois il m’est arrivé, pour m’occuper, quelque pensée, ou arrière-pensée, sur qui furent mes parents du passé, ce qu’ils ont fait dans leur vie, si quelqu’un aura été au moins un peu semblable à moi, et ainsi de suite ; mais rien de plus. Pourtant, à un moment donné, paf, l’arbre généalogique, tout à fait inopinément, est apparu pour de bon. Il y a trois ou quatre ans, à la maison sur l’île d’Elbe, mon frère a sorti d’un tiroir un grand dossier dont même lui ne savait rien, fait faire par on ne sait qui de ma famille et resté enfoui pour on ne sait combien de temps dans l’armoire de tante Clara.
Bien sûr, le généalogiste inconnu avait fait les choses sérieusement ; il y avait jusqu’au blason héraldique de la famille, consistant en un merle au bec jaune – et, en fait, ma lignée, dans le territoire de Campo nell'Elba est connue depuis des temps immémoriaux comme les “Becchigialli” (becs jaunes – écrit en un seul mot, et une tuile avec un merle au bec jaune se trouve encore à l’entrée de la maison). Je suis donc moi aussi un “Becchigiallo”, et je le dis parce que le singulier du terme a toujours été ainsi, et non pas “Beccogiallo” comme on pourrait le penser du point de vue de la grammaire. D’une ramille d’un rameau d’une branche ont même jailli mon nom et celui de mon frère, avec les dates de naissance y relatives ; en compagnie de dizaines et de centaines d’autres personnes, c’est-à-dire d’autres vies, dont peu nous étaient connues. À présent, il semble que le dossier soit conservé par une jeune cousine qui vit à proximité, là-bas à Marina di Campo ; comme la cousine porte un nom résolument royal (Elisabetta), je dirais qu’il est en de très bonnes mains.
Tous
savent pourtant comment vont les choses avec les arbres
généalogiques. Quand on remonte dans le temps, on découvre
toujours, d’une façon ou d’une autre, que nous sommes tous
comtes ou marquis, même si nous venons de siècles de culs terreux,
et que nous descendons invariablement de Charlemagne. Ou de Jules
César. Ou du roi Clovis, du roi Canute d’Angleterre, d’Énée,
de la reine Elizabeth (ma cousine, c’est sûr). En ce qui me
concerne, il me plairait vraiment de descendre du capitaine Ned Ludd,
et je me promets de mieux feuilleter mon arbre généalogique la
prochaine fois que j’irai à l’île d’Elbe.
Ce qui est certain, à un certain moment, le démon de la généalogie a dû aussi prendre l’avocat Hans Peter Jan Matter, dit “Mani”, qui, il y a une cinquantaine d’années – quand il ne savait pas encore qu’il périrait tragiquement peu après –, a commencé à faire une des plus typiques Ahnenforschungen de la tradition germanique pour « s’éclaircir un peu les idées" ; il n’est pas improbable que, se sentant un jeune homme un peu étrange, partagé en deux entre le droit et son renversement, il ait voulu voir si, dans sa lignée, il y avait eu quelqu’un qui s’était distingué dans un domaine quelconque, atteignant une certaine renommée. Il n’en a trouvé qu’un seul : un aïeul nommé Bernhard Matter, un arrière-grand-oncle ou quelque chose comme ça, originaire du canton d’Argovie (Aargau en allemand). Et pas du tout de Charlemagne : celui-ci était un voleur et un bandit, et il avait fini par atteindre la gloire en se faisant décapiter pour des crimes très graves, comme voler une poule ou deux dindes, une langue fumée et d’une dizaine de pièces d’or. De plus, comme il s’était échappé à plusieurs reprises de la prison où il avait parfois été incarcéré, finalement, le tribunal avait jugé bon de ne pas fermer les prisons (il ne manquerait plus que ça), mais de lui faire couper la tête.
Ainsi, évidemment frappé par le fait que, dans la lignée des Matter, l’unique à avoir atteint une certaine notoriété y était arrivé par cette voie pas vraiment recommandable, l’avocat Hans Peter Matter se transforma en « Mani Matter » et écrivit à ce sujet la chansonnette suivante, contenant à la fois l’histoire de son ancêtre mis à mort et certaines de ses considérations. La première de toutes, et cela fait un certain effet de l’entendre de la bouche d’un homme de loi qu’il était, celle des tribunaux, qui ne pensent pas à prendre des décisions comme la fermeture des prisons ; ils pensent, à la rigueur, à faire décapiter un pauvre voleur de poules et dérobeur de langues fumées avec son hobby des évasions, la moitié du canton d’Argovie venant assister à son exécution.
La deuxième considération est que personne ne doit se sentir en sécurité ; il est inutile de faire des histoires de « lignées brillantes », de travailleurs honnêtes, d’œuvres nobles et toutes ces sornettes ; il y a toujours quelqu’un qui a pu mal finir, et qui sait si le prochain ne sera pas vous. Le fameux « mouton noir », en somme. L’oncle inconnu dont vous ne saviez rien de rien, qui surgit à l’improviste et vous contraint à réfléchir un peu. Sûrement, à sa manière, Mani Matter y a réfléchi alors qu’il se préparait à devenir le second de sa lignée qui aurait atteint une certaine notoriété. En chantant même, lui homme de loi, son aïeul hors-la-loi, mais il faut dire qu’il a atteint la célébrité comme une sorte de hors-la-loi de la chanson. Et sur ce point, il y aurait beaucoup à méditer.
Ainsi, sur la base de cette petite chanson, je me promets aussi à moi-même de rendre visite à ma cousine pour vérifier si dans ma lignée il y a eu un bandit, un galérien, un anarchiste poseur de bombe, un oncle guillotiné ou je ne sais qui. Je jure que je ne vais pas chercher Napoléon parmi mes ancêtres – même si, étant donné qu’il s’agit de l’île d’Elbe et que la Corse se trouve juste devant, il pourrait y avoir quelques motifs pour cela. Qui sait, si ne surgira pas, on ne sait jamais, l’oncle Bernardo, conduit à la potence en 1741 au milieu des tambours. Ou peut-être son cousin Nicola, un libertaire elbain, barbier de profession, qui a accompagné sur le vapeur d’Amérique un jeune homme de Coiano di Prato qui rentrait en Italie pour faire un petit travail au parc royal de Monza, le 29 juillet 1900. J’espère seulement, gloup, ne pas être comme M. Charles Dexter Ward de Providence, Rhode Island, qui découvrit parmi ses ancêtres un certain Joseph Curwen, dont il était entre autres le sosie… [RV].
Une fois, pour m’éclaircir un peu la tête,
J’ai parcouru mon arbre généalogique,
J’ai suivi toutes les pistes historiques,
Je me suis mis martel en tête,
J’ai exploré tout mon monde.
Jusqu’aux racines les plus profondes :
De mes aïeux, un seul a connu la célébrité :
Il a été décapité.
C’est
le bandit Bernhard Matter,
Il venait d’Argovie, comme moi ;
S’il n’était mon arrière-grand-père,
C’était un arrière-grand-oncle, ma foi.
Il y a cent ans, il a écrit notre histoire ;
De notre famille, il a fait la gloire.
Je viens de le découvrir,
Et plus rien d’autre ne m’inspire.
Dans sa vie, il a volé
Tout ce qui lui tombait sous la main,
Et toujours, il prenait bien soin
De chercher ce qui était bien caché.
La nuit, il s’introduisait chez les gens
Pour voler des poulets et de l’argent,
Il emportait deux langues fumées et encore
Parfois, une dizaine de ducats d’or.
Trois
ou quatre fois, ils l’ont attrapé,
Et le tribunal l’a jeté en prison,
Mais son séjour n’était jamais long,
Il a toujours trouvé le moyen de s’échapper.
Dame, ce régime au pain et à l’eau
Ne lui plaisait vraiment pas,
Il faisait tout au plus tôt
Pour se loger en un meilleur endroit.
Tout ça dut déplaire au tribunal
Qui le prit tellement mal,
Qu’à la fin, il décida formel
De faire couper la tête du criminel.
L’Argovie était venue, plus qu’à moitié,
Pour voir un sabre séparer
Mon ancêtre de sa toque,
Comme on coupe la pointe d’un œuf à la coque
Dès lors, je ne peux pas
Être certain de ce qu’il adviendra,
Tout peut m’arriver,
L’hérédité a son rôle à jouer.
Et si d’aventure, vous êtes certain
Que rien ne peut vous arriver,
Méfiez-vous du destin,
L’oncle dont on n’a jamais entendu parler
Peut se révéler soudain,
L’oncle revenant du passé.
L’oncle dont on n’a jamais entendu parler,
L’oncle revenant du passé.