LES
SORCIÈRES DE BARGACE
Version
française – LES SORCIÈRES DE BARGACE – Marco Valdo M.I. –
2020
Chanson
italienne – Le
streghe di Bargazza – Caterina
Bueno – 1997
Chanson
populaire des Apennins toscans-émiliens interprétée par Caterina
Bueno dans son disque intitulé « Canti di maremma e
d’anarchia », en supplément de l’hebdomadaire Avvenimenti,
1997.
Baragazza
– Bargace est un hameau de la commune de Castiglione dei Pepoli,
province de Bologne, dans les Apennins toscano-émiliens. Dans les
temps anciens, il y avait une forteresse à Baragazza, contestée
entre les Bolognais et les Florentins, qui fut ensuite abandonnée et
détruite en 1400 – qui sait si ce n’est pas le palais qui
apparaît et disparaît dans cette chanson. Elle est curieuse cette
chanson, qui raconte avec une légèreté et une joie inhabituelles
un sabbat satanique, quand juste à Baragazza, à Boccadirio, à la
fin de 1400 est apparue la Madone. Aujourd’hui, il existe un
important sanctuaire pour les pèlerinages. Ces culs-bénits,
cependant, s’y rendent à pied, ou tout au plus en voiture ou en
bus, et ne savent certainement pas « comme c’est beau d’y
aller par l’air ! » Le texte raconte une histoire qui
témoigne de la vision paysanne du sabbat et est emprunté à une
ancienne feuille, diffusée sous le titre « Les sorcières de
Bargazza ». (notes du disque)
Dialogue
Maïeutique
Oh !,
dit Lucien l’âne, encore une chanson de sorcière ? Ou je me
trompe ? Je dis encore, car
on vient pourtant de présenter la version française de La
Strega – LA SORCIÈRE.
De
fait, dit Marco Valdo M.I., il s’agit de ma version d’une chanson
de sorcière et d’une chanson de sorcière d’origines populaires
– toscane, pour tout dire ou peut-être même, qui sait, étrusque.
Quoi,
s’étonne Lucien l’âne, les Étrusques, ça fait bien longtemps
que j’en ai entendu
parler.
Mais de mes souvenirs, du temps où je me promenais en Étrurie,
menant par les collines, tel un Dante prématuré, un lucumon
distingué qui s’en allait ainsi sur les sommets à la rencontre de
sorcières antiques. Car c’est par elles qu’il se faisait soigner
de certaine maladie dont les hommes attribuent volontiers la source à
Vénus, comme ce méchant coup de
pied dont parle Georges Brassens dans le
Bulletin de Santé :
« Vénus
parfois vous donne
De méchants coups de pied qu’un bon chrétien pardonne,
Car, s’ils causent du tort aux attributs virils,
Ils mettent rarement l’existence en péril. »
De méchants coups de pied qu’un bon chrétien pardonne,
Car, s’ils causent du tort aux attributs virils,
Ils mettent rarement l’existence en péril. »
Il
buvait pour ce faire des eaux vénérables, salées, pierreuses et
s’oignait, ou plutôt par la main de la sorcière se faisait
oindre, de certaine huile essentielle qui le raidissait d’abord,
puis le détendait subitement et ensuite, généralement, il
s’endormait pour un moment. Il en ressentait un très grand bien,
me disait-il.
Voilà
qui est intéressant, dit Marco Valdo M.I. ; d’ailleurs, on
trouve la trace de cette pratique dans la chanson. Il suffit de
regarder son antienne pour comprendre :
« Que
c’est bon d’aller en l’air ! »
Elle
est intéressante à plus d’un titre cette canzone populaire, car
elle permet de faire surgir une fois de plus les fondements du mythe
de la Vierge ou de la Madone, c’est tout comme. Comme on le sait,
dans l’histoire des deux derniers millénaires, il a bien fallu
faire apparaître la Vierge Marie pour tenter d’effacer jusqu’au
souvenir des sorcières et ainsi pouvoir s’approprier leur action
bénéfique auprès des paysans. Mais ceux-ci n’ont rien oublié ou
à tout le moins, ont gardé la trace du temps où les sorcières de
tout le pays se réunissaient – souvent par trois (au minimum),
pour faire la fête. C’était le sabbat des sorcières ; en
somme, le samedi soir de l’ouvrier. Les fêtes, dites de sabbat, ne
sont rien d’autre que des réunions de joyeuses commères.
Tout
cela est bien vrai, dit Lucien l’âne. J’ajouterais cependant
cette occurrence que à la mi-août, la grande fête des moissons,
était en fait la fête des sorcières, moment où elles se
retrouvaient pour plusieurs jours en une grande foire annuelle et
elles faisaient des concours et des spectacles qui faisaient la joie
des gens et des pays. Elles échangeaient là aussi tous leurs
mystères et s’en retournaient ensuite dans leurs campagnes et
leurs montagnes reprendre leurs activités quotidiennes, qui
consistaient en gros à soigner les gens et les animaux, aider les
femmes à avorter et à accoucher – selon les cas, les vaches à
vêler, les chèvres à mettre bas ; ou encore, à aider les
vieux à vieillir – elles visitaient les grabataires, elles
secouraient le nécessiteux – et quand venait le temps, elles
aidaient ces vieux miséreux à finir leur vie, au besoin aussi, à
l’abréger ; elles prenaient sue elles le temps qu’il
fallait à conseiller les jeunes filles et les jeunes garçons, les
enfants et leurs parents, les maris et les amants ; elles
savaient tout des maladies, elles savaient tout de la vie des gens et
du pays.
Avec
elles, dit Lucien l’âne, il n’y avait pas besoin de prêtres, de
religions et pire que tout, elles chassaient les nuages de la peur et
de la superstition. Bien sûr, si elles savaient beaucoup des choses
de la nature et de l’humaine personne, elles ne savaient pas tout,
mais c’était chez elles qu’on allait chercher de l’aide et du
réconfort. De plus, elles avaient ce qu’on appelle de la morale,
elles avaient une sorte d’éthique qui les empêchait de se laisser
aller et de profiter leurs pouvoirs et de leur influence sur les
gens. Ainsi, elles dérangeaient, elles faisaient barrage à la
religion, marchandise d’importation venue du Moyen-Orient.
C’est
d’ailleurs, rappelle Marco Valdo M.I., en cela qu’elles étaient
dangereuses : elles empêchaient par leurs actions les
prometteurs de beaux jours éternels et les charlatans séculiers
d’opérer leurs manœuvres circonvenantes auprès des populations
et c’est ainsi et pour ces raisons que l’on substitua à la
sorcière, en vue de l’éradiquer, le culte de la Vierge, en ce
compris la grande fête de la mi-août. La Vierge (et c’est là le
sommet de l’indécence) serait – selon ses bénisseurs et ses
adorateurs – la Personnification de l’Amour : marial,
lustral, immaculé, invraisemblablement détaché des choses du corps
et du réel. Et comme le relevait déjà Cavanna dans sa Lettre
ouverte aux culs-bénits (1994) :
« Qu’ont
en commun les inquisiteurs, les brûleurs de sorcières, les
massacreurs de populations au nom de la foi (soixante mille égorgés
lors de la prise de Jérusalem pendant la première croisade), les
bénisseurs d’armées, les pendeurs d’hérétiques, les
incitateurs à l’assassinat pieux, les lapideurs de femmes
adultères, les qui vont-à-la-messe, bouffent du foie gras et
laissent un abbé Pierre leur astiquer la bonne conscience en se
faisant le bouc émissaire de la charité ? Ils ont en commun le
mot clé de tous les culs-bénits :
AMOUR. »
Et
que dit de ça, cette chanson ?, demande Lucien l’âne.
Elle
répond, Lucien l’âne mon ami, « Que c’est bon d’aller
en l’air ! ». En français, on dit la chose un peu
différemment, on dit : « Qu’il est bon de s’envoyer
en l’air ! », mais en disant ça dans leur chanson –
car c’est une chanson d’origine paysanne, les paysans savaient
très bien de quoi il s’agissait et ils aimaient leur nocturne
liberté.
Certes,
dit Lucien l’âne, je le sais aussi. Mais n’épiloguons pas plus
et tissons le linceul de ce vieux monde cagot, hypocrite, menteur,
suborneur et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Plus
de trains, ni de postillons,
Plus
de voitures et de wagons.
Or,
certains boucs là-bas
Font
mille milles par la pensée.
Je
peux vous dire que j’y suis allé.
Et
ce n’est pas une fable, croyez-moi.
Qui
n’y est pas allé, désespère.
Que
c’est bon d’aller en l’air ! »
L’autre
jour, je fus à Bargace,
J’y
fus à une fête,
« Deux
filles de conte de fées ».
M’ont
tenu la jambe toute la soirée
Puis
quand vint l’heure de partir
Chez
elles, elles m’invitèrent.
Je
les suivis et du coup, je peux dire :
« Que
c’est bon d’aller en l’air ! »
Discourant
sur le chemin, tout du long,
Nous
sommes arrivés à leur maison.
Je
ne vous dis pas quel bazar,
J’en
tremblais comme à la foire.
Bientôt
arrivé, sitôt d’un pot,
Tous
s’oignirent, et je m’oins moi aussi aussitôt
Disant :
« S’oindre, quel bien, ça peut faire !
Et
que c’est bon d’aller en l’air ! »
Dans
cette circonstance,
Un
bouc grand, gros et noir s’avance.
Je
lui demandai la vérité
Et
comment on allait y aller.
Une
répondit, celle du milieu :
« Au
plus vite et au mieux !
Il
est déjà tard, il faut prendre l’air. »
Que
c’est bon d’aller en l’air !
On
monta tous en croupe,
Il
emmena si loin toute la troupe
Qu’on
touchait les étoiles du matin
Rien
qu’en tendant la main.
L’éclair
entre les comètes et la Terre,
C’était
ce bouc et nous autres trois.
Chose
impossible, si « on ne croit pas
Que
c’est bon d’aller en l’air ! »
Je
n’ai vu ni campagnes
Ni
villes, ni plaines, ni montagnes.
Le
diable nous a emmenés
Dans
un palais illuminé
À
l’intérieur et devant, une place ornée
De
tentes et de pendules toute décorée.
Ce
n’est pas là paroles en l’air
Et
que c’est bon
d’aller en l’air ! »
J’ai
vu certaines matrones, là,
Demoiselles
fabuleuses
À
l’exception de certains visages
Différents
de ceux qu’ici, on a.
Moi,
toujours muet, je m’assis,
Sans
bouger et sans bruit,
En
un silence qui sut me plaire.
Que
c’est bon d’aller en l’air ! »
Vint
l’heure des douceurs et des liqueurs.
Comme
dans les fêtes,
Aux
dames, aux danseurs,
Deux
serviteurs présentent
Crèmes,
biscuits et confitures
Pâtisseries,
tartes, bouteilles et verres.
Et
sans misère, je le déclare, sincère,
Que
c’est bon d’aller en l’air ! »
Elles
ont de particuliers usages
Pour
nous, différents et étranges,
Comme
d’user et abuser
Du
dialecte ou du patois,
De
toute une mimique sans voix,
Sans
se mouvoir et sans parler.
Qui
n’y a pas été, s’y perd :
Que
c’est bon d’aller en l’air ! »
Tout
disparut en un moment,
Il
ne resta que les murs
Et
la coutumière monture
Prête
à partir à l’instant
— C’était
un bouc de belle race,
Je
ne sais où il est né –
De
la maison du diable jusqu’à Bargace,
En
un instant, nous a ramenés.