dimanche 17 décembre 2017

À l’Armée

À l’Armée



Chanson française – À l’Armée – Pierre Tisserand – 1973





Te souvient-il, Lucien l’âne mon ami, de ce temps où les jeunes gens (il n’était pas question d’y mêler des filles) arrivés au bel âge étaient appelés, comme on disait alors, à peupler les casernes et les rangs de l’armée.

Si je m’en souviens, dit Lucien l’âne et comment donc, quelle question ! Bien sûr que je m’en souviens ; souvent, ils avaient même l’idée saugrenue de vouloir m’y recruter aussi dans leur armée, mais à chaque fois que j’ai pu, je me suis enfui.

Aujourd’hui, dit Marco Valdo M.I., ce n’est plus pareil, depuis des années déjà, les choses vont de manière différente. Le service militaire obligatoire, autrement dit la conscription, a été aboli. Ils font des armées de soi-disant volontaires, mais comme ils les rétribuent, qu’ils leur versent un salaire, ce sont d’authentiques mercenaires. Ils sont plus chers, mais, dit-on, ces professionnels sont plus compétents et durent plus longtemps.

En temps de paix, du moins je le suppose, remarque Lucien l’âne. Je veux dire tant qu’ils ne doivent pas aller au combat, car face aux balles et aux obus, ils sont aussi fragiles que des civils.

En effet, Lucien l’âne mon ami, mais là aussi, ils sont beaucoup plus chers ; il y faut des indemnités, des pensions, des assurances et que sais-je encore ; toutes choses que ne pouvait revendiquer l’honnête troufion. Et même en temps de paix, il se pose des problèmes de carrière et de vieillissement ; arrivés à un certain âge, le fantassin, ça ne marche plus. Mais laissons ces questions d’intendance actuelles, voyons comment ç’était au temps de la chanson, du temps du service militaire vu par un jeune appelé qui arrive à l’armée en jeune homme sobre et bien élevé et qui en ressort en brute avinée.

Eh oui, dit Lucien l’âne, ça me rappelle ce qu’on disait à l’époque au jeune homme. « Quand tu iras soldat, tu verras, on te fera marcher droit et on fera un homme de toi. »

C’est cette intéressante expérience que raconte la chanson, reprend Marco valdo M.I. Au début, le brave enfant fort civil encore ne comprend rien aux mœurs des hommes des casernes et il a du mal à s’intégrer à un système fondé sur la bêtise. Ce jeune conscrit [[1301]], frère ou cousin de celui de Boris Vian, finit quand même par s’adapter à l’armée. C’est à ce moment où le temps du dressage donne tout son rendement que le service prend fin et qu’on rend ce beau militaire à sa famille et à la vie ordinaire. Sa famille, ses parents, les voisins ont quelque difficulté à le reconnaître. L’Armée l’avait définitivement déformé.

Le pire, dit Lucien l’âne, c’est que j’entends dire un peu partout que certains veulent réinstaurer un tel service et même, l’étendre aux demoiselles. Il est donc utile de répandre cette histoire chez les jeunes d’à présent avant qu’une propagande idiote (mais y en a-t-il d’autre ?) ne vienne embrumer les cerveaux et gâcher les jeunesses. Quant à nous, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde armé, discipliné, formateur et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Quand je suis arrivé, ils ont été surpris,
Mais du style futés, ils ont vite compris
À voir les cheveux longs qui me couvraient la nuque
Que j’étais un pédé, une espèce d’eunuque.
Ils ne disaient pas eunuque, le mot est compliqué ;
Ils parlaient de cerises et de dénoyauter,
Ce qu’on peut appeler de riches métaphores.
Comme quoi, on rencontre encore des esprits forts
À l’armée,
À l’armée.

Quand je suis arrivé, ils ont été surpris
Que dans la vie civile, on m’ait si peu appris.
J’étais un moins que rien d’un niveau inférieur ;
La preuve, je ne savais pas saluer les supérieurs.
On m’a donc enseigné à force de nuits blanches
Que les gens supérieurs, c’est marqué sur leurs manches.
Bien sûr, c’est étonnant, on s’ demande du reste
Comment on les reconnaît, quand ils ôtent leur veste.
À l’armée,
À l’armée.


Quand je suis revenu, mes parents furent surpris
Que leur petit garçon soit ce grand malappris
Qui jurait, qui rotait, qui roulait sous la table
Et qui se conduisait comme dans une étable
Ils n’ont pas reconnu leur enfant innocent
Dans ce pantin kaki, braillard et indécent ;
Ils m’ont pas reconnu, mon Dieu, je leur pardonne ;
Ils avaient fait de moi à leur image un homme.
À l’armée,
À l’armée.