dimanche 29 août 2021

UN ROMAN ÉPISTOLAIRE

 

UN ROMAN ÉPISTOLAIRE


Version française – UN ROMAN ÉPISTOLAIRE – Marco Valdo M.I. – 2021

Chanson italienne – Romanzo epistolareGiulio Wilson2021

Album : Storie vere tra alberi e gatti
con « I Musici » di Francesco Guccini : Juan Carlos « Flaco“Biondini, Vince Tempera, Antonio

Marangolo, Pierluigi Mingotti


L’ITALIE RÉDUITE AU PARAVENT


Triptyque – Lucien Lane – 2021


Dialogue maïeutique


Ben, voilà autre chose, maintenant, dit Lucien l’âne. Un roman épistolaire, quelle idée, il y en a des tas en littérature, mais en chanson ?


Oh, dit Marco Valdo M.I., pourquoi pas ? Mais en chanson, s’il n’y en a qu’une, (car on pourrait imaginer de faire un roman en une série de chansons s’égrenant comme des chapitres ; c’est d’ailleurs le cas de Dachau Express, de L’Arlequin amoureux, de Till, des Histoires d’Allemagne, des Histoires lévianes) et qu’en plus, elle est du genre courte, c’est forcément un roman express et le roman express n’a pas été beaucoup développé jusqu’à présent.


Évidemment, dit Lucien l’âne, un livre d’une page serait également une révolution en ces temps où plus c’est gros, plus c’est appétissant. À moins d’y adjoindre, un avant-propos, une préface, une postface, des commentaires et que sais-je ?, ça pourrait faire un livre de dimension commerciale. Mais autrement, une seule page, ce serait un peu juste entre les deux volets de la couverture.


Certes, certes, Lucien l’âne mon ami, mais ce n’est pas le sujet de cette chanson toute neuve, une chanson de l’année.


Ça, Marco Valdo M.I. mon ami, change de toutes ces chansons d’avant.


Elle est millésimée 2021, reprend Marco Valdo M.I., comme les vins et comme pour les vins, on peut dire que c’est une cuvée 2021. Ceci montre l’importance de la datation, surtout quand la chanson parle d’aujourd’hui, comme ici :


« Aujourd’hui la culture, le progrès font peur »


En effet, dit Lucien l’âne, aujourd’hui aussi doit être daté ; c’est évidemment une drôle d’idée, mais quand même demain, aujourd’hui sera hier ou avant-hier, et ainsi de suite au fur et à mesure que le temps s’enfuit. Quoique l’aujourd’hui d’aujourd’hui peut très bien être l’aujourd’hui de demain ou d’après-demain.


Oh, dit Marco Valdo M.I., tu as parfaitement raison. C’est d’ailleurs le cas de l’aujourd’hui de la chanson que je viens de citer. Tout ceci est d’autant plus pertinent que c’est une chanson qui réfléchit sur l’histoire d’une bonne partie du siècle écoulé – disons qu’elle examine les 70 dernières années de la vie de l’Italie ; quasiment la longueur d’une vie humaine. En fait, c’est une sorte de petit film documentaire avec ce qui faut de dimension poétique pour ravir le spectateur. Il y a quelque chose là qui rappelle « Déjà s’envole la fleur maigre ». Je n’en dirai pas plus pour laisser dire la chanson.


Excellente idée, dit Lucien l’âne, concluons alors et reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde chahuté, bousculé, désorienté et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane





L’Italie était une femme qui après la guerre,

Parée de sa fraîche constitution, dansait le soir ;

Des trains, on voyait passer des mains, des mouchoirs,

Des chapeaux, des valises en carton et des militaires.


L’Italie, amoureuse d’un soldat,

Promettait sa main en des lettres d’amour.

Le papier a jauni, on les garde toujours :

Il n’y a pas d’avenir, si on ne se souvient pas.


Puis il y eut cet après-guerre et tout ce bazar :

Le boom des années 60, le changement,

Mon père grandissait au bouillon du soir.

Après Prague, l’Italie espérait le printemps,


Elle croyait à un parti, fidèle à ses électeurs ;

La valeur était la vraie grandeur.

Aujourd’hui la culture, le progrès font peur :

Le plus crétin gagne et le plus idiot est vainqueur.


Le temps surprend, passe et nous emporte.

Notre vie est esclave de la technologie,

L’écho du passé en rien nous importe :

On a tous de tout, on n’a rien de la vie.


Nous sommes ce que nous avons, dit la norme ;

Rien ne se détruit, tout se transforme.

Il y a au-delà du destin et de l’univers,

De petites histoires et rien ne se perd.



samedi 28 août 2021

CHANT DU CAMP DE LICHTEMBOURG

CHANT DU CAMP DE LICHTEMBOURG


Version française – CHANT DU CAMP DE LICHTEMBOURG – Marco Valdo M.I. – 2021

Chanson en langue allemande – Lichtenburger LagerliedAleksander Kulisiewicz1979

tiré de

Aleksander Kulisiewicz : Songs From The Depths Of Hell
Folkways Records Album N° FSS 37700 (1979)
PDF Booklet Available
Annotated by Peter Wortsman

La couverture de cet album, inspirée de cette chanson, est de Gertrude Degenhardt, épouse de Franz-Josef Degenhardt.

 

 


Holdari, faldara ! Holdari, faldara ! Lichtembourg, adieu !

Libération - Reynold Arnould - 1945




Alexandre Kulisiewicz est né en 1918 à Cracovie d’une famille d’origine tzigane. Il sait à peine lire que déjà il joue du violon, et à dix ans intègre un orchestre professionnel. Quand il se brûle trois doigts de la main gauche, il doit mettre un terme à sa carrière d’instrumentiste. Il devient alors siffleur virtuose, spécialité très appréciée à l’époque, qui l’amène à se produire dans toutes les grandes villes d’Europe. À la veille de la guerre, et parallèlement à son activité artistique il devient responsable de la presse au bureau de la « Fédération de la Jeunesse Démocratique », d’où il lance un appel à la paix. Il ne sera pas entendu. 1939. La guerre éclate. Les nazis occupent la Pologne. Kulisiewicz est arrêté comme agitateur et expédié au camp de concentration de Sachsenhausen. Il y restera jusqu’à la libération en 1945. En 1943, dans le cadre de leurs « expériences scientifiques », les nazis pratiquent sur Kulisiewicz à plusieurs reprises des injections de cultures diphtériques. Il faudra l’intervention clandestine des camarades médecins du « Revier » – « l’hôpital » du camp – pour en neutraliser le développement fatal. Kulisiewicz tient bon. Il survivra pour témoigner. À la libération, sur son lit de l’hôpital de Cracovie, il dictera 716 pages de chants et de poèmes en quatre langues écrits dans les camps. Depuis il n’a cessé de grossir ce qui constitue les plus importantes archives d’Europe consacrées aux œuvres musicales et artistiques de l’univers concentrationnaire. Enfin il parcourt le monde pour faire entendre ces « chants de l’enfer ». Alexandre Kulisiewicz affirme : « Je ne chante ni pour l’argent, ni pour la gloire. J’exécute le testament de mes compagnons de misère dont la voix s’est tue dans l’enfer des camps nazis. Je souhaite de tout mon cœur et je lutte pour que jamais plus et nulle part au monde ne renaissent de tels chants. ».



Chanteur et auteur-compositeur amateur, Kulisiewicz a composé 54 chansons pendant près de six ans d’emprisonnement à Sachsenhausen. Après la libération, il s’est souvenu de ses chansons, ainsi que de celles apprises auprès de ses codétenus, en dictant à son infirmier des centaines de pages.




Camp de Lichtembourg

Nous te laissons

Parents, femme et enfants

Se réjouiront

Quand on sera de retour

Tout près d’eux.

Holdari, faldara !

Holdari, faldara !

Lichtembourg, adieu !


Jamais personne nest resté

Volontiers ici, alors

Quand pour nous refleurira la liberté

Qui est notre vrai trésor,

Car chez toi, un long séjour

Pour tous est trop lourd.

Holdari, faldara !

Holdari, faldara !

Adieu Lichtembourg !


Quand hors de tes murs

Heureux on sortira,

Personne de nous dira

« À la revoyure ! »

Pour nous, nous séparer de toi,

Il n’y a rien de mieux.

Holdari, faldara !

Holdari, faldara !

Lichtembourg, adieu !


lundi 16 août 2021

TOUT CE QUI PASSE ENTRE MES DOIGTS

TOUT CE QUI PASSE ENTRE MES DOIGTS


Version française – TOUT CE QUI PASSE ENTRE MES DOIGTS – Marco Valdo M.I. – 2021

d’après la version italienne de Riccardo Venturi – Tutto quel che mi vien tra le dita – 2021

d’une

Chanson suisse alémanique (Bärndüüdsch) – Alls wo mir id Finger chunnt Mani Matter – 1966.

Paroles et musique : Hans Peter Matter (Mani Matter)
In album : Albums : / Albumissa : 1. Berner Chansons (1966) ; 2. I han es Zündhölzli azündt (1992)




La Corde du pendu sous la lune


Mani Matter, on l’a dit ici plusieurs fois (et depuis le début de cette revue de ses chansons), avait commencé à composer des chansons sous l’influence de Georges Brassens. Sa première chanson, Dr Rägewurm (Le lombric), date de 1953, alors qu’il n’avait que dix-sept ans : Le texte est original, mais la musique est celle de la Ballade des Dames du Temps jadis de Brassens. Cela signifie que Brassens était arrivé à Mani Matter depuis les débuts de Brassens lui-même. Alors que Brassens, âgé de 30 ans, remportait ses premiers succès, il y avait à Berne un jeune homme inconnu qui l’avait déjà pris comme modèle pour écrire ses chansons dans une langue que Brassens aurait peut-être qualifiée d’ostrogoth des montagnes. À Berne ? Ici, il faudra faire une parenthèse sur la situation linguistique peu commune de ce garçon, Hans Peter Jan Matter. Quelqu’un bilingue, c’est une situation assez commune dans chaque pays. Mani Matter était quadrilingue ; il parlait indifféremment, dès sa naissance, l’alémanique bernois, l’allemand littéraire, le néerlandais et le français. Cette dernière langue parce que, par décision parentale, chez les Matter, on parlait exclusivement le français en présence des enfants. Ainsi le petit Mani Matter parlait français avec ses parents ensemble, le néerlandais avec sa mère, l’alémanique bernois avec ses amis et avec toute la ville de Berne, et l’allemand littéraire à l’école. On comprend alors pourquoi il était capable de comprendre à fond les chansons de Georges Brassens.



Cette chanson est certainement parmi les premières écrites par Mani Matter. L’année est indéterminée, mais elle fait partie de son premier album de 1966, intitulé Berner Chansons (et l’on remarque bien le terme, Chansons, qui renvoie directement à la chanson française). L’implantation brassensienne est évidente ; c’est une chanson, avec toutes les différences, qui rappelle la technique de composition de Marinette. Dans une introduction, il me semble, j’avais parlé de quand et comment une chanson est “brassensienne” ; à ces brèves remarques, j’ajoute maintenant qu’une chanson est “brassensienne” quand elle montre deux autres choses : la cruauté souveraine du destin réservé à chaque être humain, et l’empathie absolue envers tous ceux qui en ont été affectés. L’empathie de l’avocat, Hans Peter Matter, démontrait, par ailleurs, pas seulement dans la chanson : en tant que conseiller juridique de la ville de Berne, il a toujours œuvré pour la défense des droits civils des nombreux immigrés étrangers qui étaient arrivés en Suisse. C’est un mot qui mérite d’être souligné, “empathie” ; encore plus dans des temps comme ceux-ci, elle semble être devenue un gros mot.


Par exemple, il y a un mendiant qui mendie au coin d’une rue. D’autres braves gens savent peut-être ce qui l’a amené à cette condition ? Instinctivement, nous croyons tous qu’il est mendiant, et qu’il n’a jamais rien fait d’autre dans sa vie ; mais les raisons pour lesquelles vous pouvez aller dans la rue et demander la charité aux gens célèbres sont des milliers, des dizaines de milliers, des millions. Ça correspond à nos vies. Le procédé matterien est celui, également repris au moins en partie par Brassens, de proposer une histoire apparemment absurde : le mendiant l’est devenu parce que tout ce qui lui est arrivé entre les mainsassiettes, filles, cordes de pendaisons’est cassé. Exactement, cassé. Le destin, la malchance, ce que vous voulez. Et à ce moment-là, vous pourriez, je sais, aller relire l’histoire de Joël Hipeau. La relire, je crois, rend aussi bien le sens de cette chanson, et ce que ce mot, “empathie”, signifie vraiment, que j’ai tant de fois mentionné dans cette très courte introduction. Peut-être, qui sait si vous ne retrouverez pas au moins un peu de sa vraie valeur. J’oubliais de dire, enfin : Il est probable que cette chanson a été écrite par Mani Matter quand il était encore un adolescent. Et cet adolescent a écrit un chef-d’œuvre, en faisant le petit Brassens des montagnes, inconnu, dans une langue préhistorique. [RV]








Le jour je suis venu au monde, on me l’a dit hier,

Ma mère, à la maison, venait de casser une soupière.

Depuis, jusqu’à ma mort est tracé mon destin :

Tout ce qui passe entre mes doigts se casse dans ma main.


Je voudrais me corriger, mais ça ne sert à rien.

Ce qui était entier est en mille morceaux,

Les débris que je laisse me dénoncent aussitôt.

Tout ce qui passe entre mes doigts se casse dans ma main.


J’avais rencontré une fille – épisode triste, mais vrai –

Une fille en porcelaine aux cheveux noir de jais.

L’autre soir, elle me dit : tout finira demain.

Tout ce qui passe entre mes doigts se casse dans ma main.


On s’est quittés pour toujours.

En l’embrassant, je l’ai étouffée d’amour.

Je ne l’ai pas fait exprès, croyez-moi, nom d’un chien !

Tout ce qui passe entre mes doigts se casse dans ma main.


On m’a jugé et pendu hier, court et bien.

Je pendais déjà, quand à mon grand étonnement,

La corde s’est cassée à l’ultime moment.

Tout ce qui passe entre mes doigts se casse dans ma main.


Depuis, je suis mendiant, je ne fais plus rien.

Vous comprenez, alors soyez bons, braves gens,

Ouvrez votre porte-monnaie et faites-moi un petit présent.

Tout ce qui passe entre mes doigts se casse dans ma main.