mardi 28 octobre 2014

CHANT ALLEMAND

CHANT ALLEMAND

Version française – CHANT ALLEMAND – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson allemande – Deutsches Lied – Kurt Tucholsky (alias Theobald Tiger) – 1923

Peine, chagrin allemands. 
Travail sans fin. 
Usure, un État souverain,

Couverture du livre de Kurt Tucholsky
"Deutschland über alles"
(Illustration John Heartfield - Helmut Herzfeld)


Voici, Lucien l'âne mon ami, une chanson intitulée : « Deutsches Lied » ; titre qu'on peut presque indifféremment traduire par Chant allemand ou Chanson allemande. Elle date de 1923, comme tu le vois. Des années plus tard, Bertolt Brecht écrira à son tour une « Chanson allemande », et il prendra bien soin de l'intituler : « Deutsches Lied 1937 ». [[4725]] Et plus récemment encore, j'ai trouvé trace d'une chanson portant ce même titre de « Deutsches Lied » ; mais de celle-là, je t'en reparlerai prochainement plus en détails quand je l'insérerai dans les Chansons contre la Guerre, car elle aussi y a sa place.

On dirait qu'il a du succès ce titre…

Peut-être bien… Quoique on l'utilise en des sens plutôt ironiques ou qu'on le décline sur un ton plutôt acide. Cette fois, sur un fond de bruit de bottes, l'ami de Mademoiselle Ilse [[37875]] fait un état des lieux de l'État républicain et sent venir ce qui va venir ; nous sommes en 1923 et il, alias Theobald Tiger, alias Kurt Tucholsky, décrit (comme le feront d'autres) la montée de la perversion ; ce qu'il n'arrêtera pas de faire jusqu'à sa mort 12 ans plus tard. Déjà à ce moment, le militarisme -
« Caserne ! Caserne !
Soleil, lune, étoiles !
Respect ! Direction ! Chacun son tour !
C'est – ton – tour ! »

gangrène l'Allemagne. Il finira par l'emporter dans le délire et bien au-delà. C'est cela que Kurt Tucholsky pressent, annonce et dénonce.


On devrait toujours écouter les poètes quand ils racontent la réalité et qu'ils en tracent les futurs…


Laisse-moi dire, Lucien l'âne mon ami, que cette Guerre de Cent Mille Ans n'est pas finie et nul ne sait ce qu'il en sera demain. Les ingrédients de la soupe infâme sont toujours là et les apprentis cuisiniers continuent à vouloir nous en préparer et nous en servir de ce triste breuvage. Leur but est toujours le même : accroître la richesse des riches, étendre le pouvoir des puissants, renforcer leurs domination, augmenter leurs privilèges, protéger leurs propriétés, asservir le plus grand nombre et tirer le maximum de l'exploitation des hommes, des animaux, des plantes et de la planète tout entière et demain, de l'espace – ce qui a déjà commencé. Ces infantiles sont incapables de refréner leurs pulsions sordides et de penser plus loin que le bout de leur bout.


Ainsi, Theobald Tiger, alias Kurt Tucholsky, l'ami de Mademoiselle Ilse,
sentait venir la bête immonde, il lançait le cri d'alarme, mais peut-être était-il déjà trop tard… L'inertie de l'histoire entraînait déjà ces millions de gens qui vont nourrir les ambitions d'une bande de déments nationalistes, eux-mêmes englués dans le rêve d'Otto. Le plus troublant, c'est ce distique :
« Le monde au dehors est indifférent.
Nous sommes seuls dans ce pays. »
Pour éviter une telle destinée, Marco Valdo M.I. mon ami, tissons le linceul de ce vieux monde à l'image de la République de Weimar, exploiteur, concurrentiel, mêlant le national au libéral et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Dans cour, des enfants pâles
(Ouest – une rue perdue)
Font une ribote
À côté des poubelles.
Teint de fromage et tignasse blafarde.
Maigre vert en pot de fleurs
Sur deux appuis de fenêtre.

« Caserne ! Caserne !
Soleil, lune, étoiles !
Respect ! Direction ! Chacun son tour !
C'est – ton – tour ! »

Recroquevillés au fond du bâtiment,
derrière le volet imposant,
Assis courbés, dans leurs blouses bleues,
Nos camarades.
Un Procureur général les chicane,
Un garde les maltraite.
Leurs voix psalmodient
En Prusse et en Bavière :

« Caserne ! Caserne !
Soleil, lune, étoiles !
Respect ! Direction ! Chacun son tour !
C'est – ton – tour ! »

Peine, chagrin allemands.
Travail sans fin.
Usure, un État souverain,
Et un mur toujours gris.
Nous sommes coupables. Un cri retentit.
Le monde au dehors est indifférent.
Nous sommes seuls dans ce pays.
Où on entend seulement :

« Caserne ! Caserne !
Soleil, lune, étoiles !
Respect ! Direction ! Chacun son tour !
C'est – ton – tour ! »