mercredi 26 mars 2014

LE LOUP ET LE LEMMEKE

LE LOUP ET LE LEMMEKE

Chanson française (beulemans) – LE LOUP ET LE LEMMEKE – VIRGILE – (Entre 1920 et 1970)

Langue : beulemans : une variante du brusseleeir ; bruxellaire ou bruxellois, lui-même variante du belgicain, français de Belgique.





Le plus fort sait toujours prouver qu'il a raison




VIRGILE, dit Le Jean de La Fontaine des Marolles, n'était autre que Léon Crabbé (1891-1970). Il fit les beaux jours du défunt magazine politique bruxellois « Pourquoi Pas ? » (1910-1989) en y publiant chaque semaine, en un français mâtiné de « brusseleir », un Dialogue attendu des lecteurs (et pas seulement ceux de la capitale) comme le Messie...

Le sieur Virgile, donc, fit rigoler nos pères… Et notamment par ses pastiches des fables de La Fontaine (Menhier le Corbeau et Menhier le Renard, Le Chêne et le Roseauke, Le Loup et le Lemmeke, La Laitière et le Melkpot en sont quelques ornements hilarants) mais aussi par 49 textes d’une inspiration toute personnelle, joignant au pittoresque la sagesse de la plus brave, à ce qu’on dit, des nations : La Baleine et le Sprok, Le Caniche et le Zinneke, Le Hérisson et le Rolmops, Les deux Moumas, La Puce qui donnait son Sang, L’Apprenti et la Femme du Façadeklacher, Le Philosophe et le Snul, La Vache et la Pin-up, on en passe et des plus tofs !

Quant à Léon Crabbé (1891-1970) choisit d’abord de s’appeler Noël Barcy, l’anagramme de son nom, avant de prendre le pseudonyme de Virgile. Si tous les Bruxellois d’un certain âge se souviennent (avec émotion et nostalgie) des célèbres Dialogues de la Semaine qui paraissaient dans le défunt hebdomadaire Pourquoi Pas ?, on sait moins qu’il eut une activité de revuiste pour les innombrables music-halls bruxellois de l’avant et de l’après Deuxième Guerre mondiale. Il écrivit aussi les textes de quelques 700 chansons, ainsi qu’une cinquantaine de fables, inspirées de La Fontaine ou d’inspiration personnelle. Hormis cela, il composa près de 500 sketches, remarquablement dialogués, que le Pourquoi Pas ? continua à publier jusqu’en 1988, dix-huit ans après la mort de leur auteur !
Georges Lebouc, qui est à la bruxellitude ce que Léopold Sedar Senghor est à la négritude, c’est-à-dire un grand témoin et un passeur de mémoire (nè !), a eu l’excellente idée de rassembler ces pépites dans un joyeux recueil intitulé Fables complètes (aux Éditions Racine à Bruxelles) pour lequel il a rédigé une introduction, un lexique complet et des notes expliquant les mots difficiles.
Il a donc droit à notre reconnaissance éternelle et, surtout et c’est là le plus important, à une demi-gueuze !
(Tout ce bazar vient d'internet, évidemment!)



Qu'est-ce que c'est que cette histoire de Virgile ?, demande Lucien l'âne un peu paf. Moi des Virgiles, j'en ai connu plusieurs au cours de mes pérégrinations transhistoriques et notamment, un écrivain latin, l'accompagnateur de Dante aux enfers et celui de Carlo Levi en Géorgie et en Ukraine... C'est juste pour dire... À moins qu'il ne soit question de ce zievereer du Pourquoi Pas ? que j'ai croisé aussi un jour de marché sur la place communale de Schaerbeek. Je ne sais plus ce qu'on faisait là à sept heures du matin...


C'est bien celui-là..., dit Marco Valdo M.I. en riant. Celui qui disait des fables à la radio, parfois. Et justement, aujourd'hui, je te propose ce Loup et le Lemmeke, qui me semble une transcription assez fidèle de ce loup et l'Agneau de La Fontaine, qui fit trembler tant et tant d'enfants sous l'estrade à l'heure de la récitation et j'en suis persuadé, assez plus directement de la version en marollien de Coco Lulu. Il te souviendra que l'autre jour, j'avais proposé aux Chansons contre la Guerre, une version en marollien, c'est-à-dire en wallon des Marolles (quartier populaire du centre de Bruxelles), de ce Lupus in fabula... [[6558#agg220923]], apportant ainsi au passage une langue vernaculaire en plus au site des CCG. Je me réservais de réitérer l'exploit et d'en apporter une supplémentaire encore et la voici... C'est toujours la même histoire du Loup et de l'Agneau, mais cette fois en pur beulemans.


C'est-à-dire ?, dit l'âne Lucien passablement interloqué.

C'est-à-dire une variante de bruxellois, appelée le « beulemans » du fait que son œuvre la plus retentissante et fondatrice fut une pièce de théâtre intitulée « Le Mariage de Mademoiselle Beulemans » [https://www.youtube.com/watch?v=hiYCNIfgV6w], où cette langue se déborde en contraste avec celle du jeune Parisien, futur de la demoiselle. Cela dit, le beulemans n'est pas du wallon, mais bien une variante du belgicain, ou français de Belgique tel qu'il est parlé par des locuteurs imbibés de flamand et sans doute aussi, à certains moments, de bière nationale. Pour le petit couplet introductif, on dira qu'il est de nette inspiration flamande (mais de Bruxelles) – on y retrouve la mère-grand de Perrault (ici, Bomma), mangée par le loup du Chaperon rouge... tout comme dans la version de Daniele Sepe.


Awel, dit l'âne Lucien en pouffant doucement, y a pas à dire, c'est quelque chose. Si j'aurais jamais imaginé ça, Mademoiselle Beulemans dans les Chansons contre la Guerre... On aura tout vu. Bon, c'est pas tout ça, recommençons à tisser le linceul de ce vieux monde insipide, ronchon, trop riche, limite obèse et cacochyme.


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Viva Bomma Pataten et saucisses
Viva Bomma Pataten en cervelas
En een dikke troulala... Troulala


Le plus fort sait toujours prouver qu'il a raison
Dans la vie comme à la maison

Un Lemmeke, ça est un petit agneau
Était en train de boire au bord d'un ruisseau
Un loup arrive
Ce loup, un castar culotté
Depuis plus que trois jours avait rien boulotté
Ça tirait tellement dans ses instintins
Qu'il était fiel de faim
Espèce de knotsyphon qui ce qui vous a permis
De bleffer dans mon eau
Je ne pardonnerais pas çà à mon meilleur ami
Aussi je vous le dis, tu seras puni
Oui mais, pardon Mon Sire, qui dit le sukkeleir
Avouez que vous êtes un drole de pleikleir
Le coulant va par là
Et je bois à plus que vingt pas plus bas
Que Votre Majesté
Donc, je ne sais pas bleffer dans l'eau que vous boivez
Tûût, tûût, tûût répond le loup
Je vous dis que tu bleffes
Et avec ça, c'est tout.
Et puis, l'année passée, tu as raconté sur moi
Un tas de zieverderas
Permettez-moi que je le dise, Majesté
Vous êtes un leuigenoet
Pasque l'année passée, j'étais pas né
Et la preuve n'est-ce pas
C'est que je tette encore le sein de ma moema.
Si c'est pas toi, c'est ton frère
Et ça ne sont pas des choses à faire.
Mon frère !? Et bien merci, toi t'es un vrai comique
Car vous pouvez sacher que je suis un fils unique.
Dans tous les cas, c'est de ta famille
Et ça va changer potfermille !
Mais enfin, monsieur le loup...
A smoel toe! Taisez-vous !
Ton crime est sans excuse.
Ton berger et tes chiens me cherchent toujours des ruses
Et, plus de compliments.
Moi, je dois me venger.

Priez pour le petit schoop

Car le loup l'a mangé .

El loup et el Lemmeke

El loup et el Lemmeke

Chanson marollienne - El loup et el Lemmeke - Coco Lulu - 1898
Texte de Victor Lefèvre  (1822-1904)









Victor Lefèvre (1822-1904) fut un fonctionnaire modèle du service de l’Instruction publique de la ville de Bruxelles. Membre de la loge maçonnique bruxelloise « Les Amis Philanthropes », il composa quelques œuvres sous son nom mais c’est comme « barde de la rue Haute » et comme auteur marollien qu’il se fit connaître sous le pseudonyme de Coco Lulu.


Ah, Lucien l'âne mon ami, figure-toi... Oui, figure-toi ceci...


Au fait, que dois-je me figurer ?, demande Lucien l'âne un peu ahuri par un tel préambule. Figure-toi donc que j'allais tranquillement mon chemin, quand un loup survînt... Non ce n'est pas ça, mais presque. Je traduisais une chanson italienne où il est question de Lupi – en français , de loups et j'y reviendrai prochainement, mais chemin faisant, il m'arriva une aventure que je m'en vais te conter.
Je regardais la page de cette chanson que je me préparais à traduire quand je me suis aperçu qu'il y avait un parcours des Loups contre la Guerre. Curieux comme un âne, je suis allé voir de quoi il s'agissait et j'ai découvert que ce parcours recensait 19 chansons. Je me suis dit : Tiens, y suis-je ? Ou plus exactement, y trouve-t-on les chansons que j'ai écrites et qui parlent de loups ? Tu les connais sans doute …


Évidemment... J'en ai au moins deux en mémoire... Le Petit Chaperon Rouge et le Loup de Rome [[8929]] et Les Loups dans la Ville [[22263]]... Ceci dit, ce sont de bonnes chansons. Et elles n'y sont pas ? J'en tombe de mon siège, dit Lucien l'âne bien campé sur ses quatre pattes.


Non en effet, ; tout comme ne s'y trouve pas Je ne hurlerai pas avec les loups [[36570]]
de Gilles Servat. Mais, c'est sûrement un ajustement à faire et il sera fait prochainement. Je te disais ça, car regardant les 19 chansons recensées, j'ai vu « Lupus in fabula » (Il lupo e l'agnello) de Daniele Sepe et la kyrielle de fables et de chansons qui l'accompagnent, dont 2 en italien, 2 en grec, 1 en latin et 1 en français.


Moi, dit Lucien l'âne en riant, je me souviens très bien de cette histoire en grec... C'était, il y a bien longtemps. Elle m'avait été racontée par un certain Ésope ou en grec, Αἴσωπος que je véhiculais là-bas en Phrygie – sans craindre les loups, ce sont eux plutôt qui craignent mes sabots et mes dents... J'imagine donc bien de quoi tu aprles... mais, je t'en prie continue, sinon on n'y arrivera pas.


Très bien, excellent, me suis-je dit. Et puis, et puis, une petite lampe s'est allumée au fond de ma mémoire et m'est revenue une version de la même histoire (appelons-la comme ça) en une langue que j'appellerais le « bruxellois »... dont le titre – toujours de mémoire – devait bien être « Le Loup et le Lemmeke », directement inspirée du sieur La Fontaine – proximité oblige.


Et qu'as-tu fait alors ?, demande l'âne Lucien tout ébahi encore.


Eh bien, j'ai cherché à al retrouver et j'y suis arrivé et à ma grande stupéfaction, j'en ai trouvé deux différentes... Une en « bruxellois », disons presque contemporain, disons, tel qu'on le parle encore et une bien antérieure en « marollien », une langue populaire étonnante comme tu vas pouvoir t'en rendre compte.


En marollien, dis-tu ? Mais qu'est-ce que c'est que cette langue-là ?, dit l'âne polyglotte et intéressé.


Le marollien ? Était (car je crois bien que cette langue a quelque peu disparu) à partir de la moitié du XIXième siècle la langue des habitants du quartier populaire des Marolles à Bruxelles. Quartier où aboutissaient les ouvriers venus construire la capitale du nouveau royaume – né en 1830, au moment donc où Bruxelles a connu une croissance rapide. Je ne sais si le « marollien » a encore cette étonnante figure de langue, écoute bien, de langue carrément « wallonne », mâtinée d'expressions flamandes. En clair, ce « brusseleir » était une langue d'oïl. C'est cette surprenante version du Loup et l'Agneau que je te fais voir... Car pour l'entendre, ce sera difficile... Son interprète est mort depuis un siècle et on n'en possède pas d'enregistrement et c'est bien dommage.


Car on connaît son interprète ? dit Lucien l'âne de plus en plus ahuri. Et qui ce serait bien ?


Bon, d'abord, je te préviens... Il a un nom à coucher dehors avec un billet de logement, comme disait ma grand-mère. Un nom drôle... C'était son nom d'artiste, son nom de chansonnier... Il s'appelait Coco Lulu. Et on en connaît même l'auteur de cette chanson d'El Loup et el Lemmeke... Il s'appelle Victor Lefèvre, qui de son vivant était employé d'administration... Je crois bien me souvenir qu'une rue porte son nom à Schaerbeek, grande commune de Bruxelles, où j'imagine il habita. Il est mort en même temps que le chansonnier, étant la même personne physique.


On connaît ça... dit l'âne Lucien en souriant aux anges. Mais sais-tu que cette histoire me paraît avoir certaine actualité – par exemple du côté de l'Ukraine. Enfin, loup ou pas loup, tissons le linceul de ce vieux monde où les plus forts entendent toujours avoir raison, où les riches et les puissants entendent toujours tirer profit des plus faibles... Monde infâme et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



El loup et el Lemmeke

A Hanske Taverne.

Quans' qu'on fait des rus', c'est toujours el capon
Qu'est l' plus fort, qu'a raison.
..............................................
Un petit Lemmeke un jour
Buvait de l'eau dans un' rivière...
Un loup qu'avait très soif, vient, et dit en colère :

« Ploch' ve den doch' ! c'est à m'tour
» De boire, et tu viens sur ma place.
» Halte là !
» Petit' crapul' que t'es là !
- Beh ! mossieu le loup, je passe
» Plus bas que toi ! je salis pas votre eau.!
- Stinker ! qu'en wallon on appelle agneau,
» Sur moi t'as dit tout' sort' de choses
» Deux ans passés - Prends gard' si t'oses
» Encor' me crétiquer !.. - Tu dis deux ans passés ?
» Alours j'étais cor pas sul'terre.
» Je têt' cor ma mère!..
- C'était pas toi ? - Och ! non ! - Alours c'était vot' frère ?
- Beh ! j'en ai pas ! - smoel toe ! c'est assez !
» C'était alours des gens' de vot' famile...
» Le chien, le briger...
» Y m'laissont jamais tranquille,
« Et j'vas m'revenger...
Avec el Lemmeke y file
Dans les bois, et va l'manger...
..................................................
Tu vois bien que c'est l'capon
Qu'est le plus fort, qu'a toujours raison.