LE
LOUP ET LE LEMMEKE
Chanson
française (beulemans) – LE LOUP ET LE LEMMEKE – VIRGILE –
(Entre 1920 et 1970)
Langue :
beulemans : une variante du brusseleeir ; bruxellaire ou
bruxellois, lui-même variante du belgicain, français de Belgique.
Le plus fort sait toujours prouver qu'il a raison |
VIRGILE,
dit Le Jean de La Fontaine des Marolles, n'était autre que Léon
Crabbé (1891-1970). Il fit les beaux jours du défunt magazine
politique bruxellois « Pourquoi Pas ? » (1910-1989)
en y publiant chaque semaine, en un français mâtiné de
« brusseleir », un Dialogue
attendu des lecteurs (et pas seulement ceux de la capitale) comme le
Messie...
Le
sieur Virgile, donc, fit rigoler nos pères… Et notamment par ses
pastiches des fables de La Fontaine (Menhier
le Corbeau et Menhier le Renard,
Le
Chêne et le Roseauke,
Le
Loup et le Lemmeke,
La
Laitière et le Melkpot
en sont quelques ornements hilarants) mais aussi par 49 textes
d’une inspiration toute personnelle, joignant au pittoresque la
sagesse de la plus brave, à ce qu’on dit, des nations : La
Baleine et le Sprok,
Le
Caniche et le Zinneke,
Le
Hérisson et le Rolmops,
Les
deux Moumas,
La
Puce qui donnait son Sang,
L’Apprenti
et la Femme du Façadeklacher,
Le
Philosophe et le Snul,
La
Vache et la Pin-up,
on en passe et des plus tofs !
Quant
à Léon Crabbé (1891-1970) choisit d’abord de s’appeler Noël
Barcy, l’anagramme de son nom, avant de prendre le pseudonyme de
Virgile. Si tous les Bruxellois d’un certain âge se souviennent
(avec émotion et nostalgie) des célèbres Dialogues de la Semaine
qui paraissaient dans le défunt hebdomadaire Pourquoi Pas ?, on
sait moins qu’il eut une activité de revuiste pour les
innombrables music-halls bruxellois de l’avant et de l’après
Deuxième Guerre mondiale. Il écrivit aussi les textes de quelques
700 chansons, ainsi qu’une cinquantaine de fables, inspirées de La
Fontaine ou d’inspiration personnelle. Hormis cela, il composa près
de 500 sketches, remarquablement dialogués, que le Pourquoi Pas ?
continua à publier jusqu’en 1988, dix-huit ans après la mort de
leur auteur !
Georges
Lebouc, qui est à la bruxellitude ce que Léopold Sedar Senghor est
à la négritude, c’est-à-dire un grand témoin et un passeur de
mémoire (nè !), a eu l’excellente idée de rassembler ces
pépites dans un joyeux recueil intitulé Fables
complètes
(aux Éditions Racine à Bruxelles) pour lequel il a rédigé une
introduction, un lexique complet et des notes expliquant les mots
difficiles.
Il
a donc droit à notre reconnaissance éternelle et, surtout et c’est
là le plus important, à une demi-gueuze !
(Tout
ce bazar vient d'internet, évidemment!)
Qu'est-ce
que c'est que cette histoire de Virgile ?, demande Lucien l'âne
un peu paf. Moi des Virgiles, j'en ai connu plusieurs au cours de mes
pérégrinations transhistoriques et notamment, un écrivain latin,
l'accompagnateur de Dante aux enfers et celui de Carlo Levi en
Géorgie et en Ukraine... C'est juste pour dire... À moins qu'il ne
soit question de ce zievereer du Pourquoi Pas ? que j'ai croisé
aussi un jour de marché sur la place communale de Schaerbeek. Je ne
sais plus ce qu'on faisait là à sept heures du matin...
C'est
bien celui-là..., dit Marco Valdo M.I. en riant. Celui qui disait
des fables à la radio, parfois. Et justement, aujourd'hui, je te
propose ce Loup et le Lemmeke, qui me semble une transcription assez
fidèle de ce loup et l'Agneau de La Fontaine, qui fit trembler tant
et tant d'enfants sous l'estrade à l'heure de la récitation et j'en
suis persuadé, assez plus directement de la version en marollien de
Coco Lulu. Il te souviendra que l'autre jour, j'avais proposé aux
Chansons contre la Guerre, une version en marollien, c'est-à-dire en
wallon des Marolles (quartier populaire du centre de Bruxelles), de
ce Lupus in fabula... [[6558#agg220923]], apportant ainsi au passage
une langue vernaculaire en plus au site des CCG. Je me réservais de
réitérer l'exploit et d'en apporter une supplémentaire encore et
la voici... C'est toujours la même histoire du Loup et de l'Agneau,
mais cette fois en pur beulemans.
C'est-à-dire ?,
dit l'âne Lucien passablement interloqué.
C'est-à-dire
une variante de bruxellois, appelée le « beulemans » du
fait que son œuvre la plus retentissante et fondatrice fut une pièce
de théâtre intitulée « Le Mariage de Mademoiselle
Beulemans » [https://www.youtube.com/watch?v=hiYCNIfgV6w],
où cette langue se déborde en contraste avec celle du jeune
Parisien, futur de la demoiselle. Cela dit, le beulemans n'est pas du
wallon, mais bien une variante du belgicain, ou français de Belgique
tel qu'il est parlé par des locuteurs imbibés de flamand et sans
doute aussi, à certains moments, de bière nationale. Pour le petit
couplet introductif, on dira qu'il est de nette inspiration flamande
(mais de Bruxelles) – on y retrouve la mère-grand de Perrault
(ici, Bomma), mangée par le loup du Chaperon rouge... tout comme
dans la version de Daniele Sepe.
Awel,
dit l'âne Lucien en pouffant doucement, y a pas à dire, c'est
quelque chose. Si j'aurais jamais imaginé ça, Mademoiselle
Beulemans dans les Chansons contre la Guerre... On aura tout vu. Bon,
c'est pas tout ça, recommençons à tisser le linceul de ce vieux
monde insipide, ronchon, trop riche, limite obèse et cacochyme.
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Viva
Bomma Pataten et saucisses
Viva
Bomma Pataten en cervelas
En
een dikke troulala... Troulala
Le
plus fort sait toujours prouver qu'il a raison
Dans
la vie comme à la maison
Un
Lemmeke, ça est un petit agneau
Était
en train de boire au bord d'un ruisseau
Un
loup arrive
Ce
loup, un castar culotté
Depuis
plus que trois jours avait rien boulotté
Ça
tirait tellement dans ses instintins
Qu'il
était fiel de faim
Espèce
de knotsyphon qui ce qui vous a permis
De
bleffer dans mon eau
Je
ne pardonnerais pas çà à mon meilleur ami
Aussi
je vous le dis, tu seras puni
Oui
mais, pardon Mon Sire, qui dit le sukkeleir
Avouez
que vous êtes un drole de pleikleir
Le
coulant va par là
Et
je bois à plus que vingt pas plus bas
Que
Votre Majesté
Donc,
je ne sais pas bleffer dans l'eau que vous boivez
Tûût,
tûût, tûût répond le loup
Je
vous dis que tu bleffes
Et
avec ça, c'est tout.
Et
puis, l'année passée, tu as raconté sur moi
Un
tas de zieverderas
Permettez-moi
que je le dise, Majesté
Vous
êtes un leuigenoet
Pasque
l'année passée, j'étais pas né
Et
la preuve n'est-ce pas
C'est
que je tette encore le sein de ma moema.
Si
c'est pas toi, c'est ton frère
Et
ça ne sont pas des choses à faire.
Mon
frère !? Et bien merci, toi t'es un vrai comique
Car
vous pouvez sacher que je suis un fils unique.
Dans
tous les cas, c'est de ta famille
Et
ça va changer potfermille !
Mais
enfin, monsieur le loup...
A
smoel toe! Taisez-vous !
Ton
crime est sans excuse.
Ton
berger et tes chiens me cherchent toujours des ruses
Et,
plus de compliments.
Moi,
je dois me venger.
Priez
pour le petit schoop
Car
le loup l'a mangé .