L’Os
du Coq
Chanson
française – L’Os du Coq – Marco Valdo M.I. – 2020
Quelques
histoires albanaises, tirées de nouvelles d’Ismaïl Kadaré,
traduites par Christian GUT et publiées en langue française en 1985
sous le titre La Ville du Sud.
Dialogue
Maïeutique
La
scène se passe en Albanie du Sud à la fin des années 1930 quand le
pays était annexé par l’Italie. L’inquiétude de la population
de la petite ville albanaise est grande et s’accroît d’autant
plus que l’information est des plus lacunaires et est
essentiellement basée sur des rumeurs. Des rumeurs qui ne sont pas
sans fondement puisque la guerre – rumeur au cœur de la chanson –
éclatera bientôt avec la Grèce voisine que l’Italie fasciste,
dans son rêve d’Impero (il s’agit de reconstituer l’Imperium
romanum), convoite.
Oh,
dit Lucien l’âne, tu fais bien de préciser le contexte général.
C’est donc une histoire populaire albanaise au temps de
l’occupation italienne. Cependant, avant d’aller plus loin, il
vaudrait mieux en dire un peu plus sur la source de l’histoire, sur
l’auteur qui l’a racontée et le livre où elle figure.
Tu as
raison, Lucien l’âne mon ami. En fait, il s’agit d’une
histoire racontée par ce fabuleux conteur, descendant revendiqué
des aèdes antiques, qu’est Ismaïl Kadaré e fut publiée en
France dans un petit livre intitulé La ville du Sud, c’est-à-dire
Gjirokastër, où dans la ruelle des Fous naquirent et grandirent
Ismaïl Kadaré et Enver Hoxha, lequel dirigea le parti et l’Albanie
communistes. Cela précisé, je reviens à la chanson qui raconte une
histoire de divination. Dans cette ville à cette époque, la même
époque où dans Cristo si è fermato a Eboli, Carlo Levi décrit la
Lucanie, certaines vieilles femmes, habillées de noir, étaient
censées posséder l’art divinatoire. En l’occurrence, il s’agit
de la grand-mère, dite ici Mémé, qui va procéder par la lecture
d’un os de coq. L’os de coq correspond à la furcula des
Étrusques et des Romains, qui est (encore) réputée être l’os du
bonheur, l’os de la chance, l’os de la victoire. Il convient
évidemment de préciser que c’est là l’avers positif, car
l’envers négatif en fait l’os du malheur, l’os de la défaite.
En tout cas, ce qui est sûr, c’est son caractère magique :
il prédit.
Voilà
de bien curieuses manières, dit Lucien l’âne, mais il est vrai
que le coq est un animal assez prophétique, à preuve cette
antienne :
« Au
matin du grand soir,
Le
coq rouge pondra l’œuf noir. »
Le
coq est un animal assez folklorique qui joue un rôle apparemment
important dans les affaires humaines. Et puis, quand même, ce sont
là des gens bien superstitieux.
Ah
là, Lucien l’âne mon ami, tu peux parler, toi qui fus victime
d’une sorcellerie. Mais, passons ! Donc, primo, il a fallu
tuer un coq ; deuzio, tout le monde se rassemble pour le
manger ; troizio : quand il ne reste plus que la carcasse
du volatile, qu’on a bien raclé tous les os, la grand-mère
procède à l’examen rituel et conclut d’une voix de
circonstance : « La guerre ». Et, l’enfant, qui
n’a aucune idée de ce que peut être vraiment une guerre, captivé
par le mystère et l’aventure, s’empare de l’os et s’en va
dormir en tenant le bout de coq en main ; il se fait que cet os
magnifie son rêve en faisant résonner les tambours de guerre. Pour
l’enfant, la guerre est un fantasme, une formidable aventure
imaginaire. D’ailleurs, les enfants adorent jouer à la guerre.
Oui,
dit Lucien l’âne, c’est souvent ainsi. Je me demande parfois si
certains grands ne gardent pas toute la vie ce penchant enfantin –
dès lors, désastreux. On pourrait le penser à voir certains
dirigeants du monde humain.
En
effet, dit Marco Valdo
M.I., on a à faire là à de dangereux délires infantiles ; à
mon sens, je l’avoue, il conviendrait de les enfermer tous pour les
mettre hors d’États de nuire. C’est un aspect particulier de la
Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres pour
satisfaire leurs appétits de domination et leurs fantasmes les plus
imbéciles.
Alors,
plus obstinément encore, tissons le linceul de ce vieux monde
bellâtre, belliqueux, idiot, infantile, fantasmatique et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Le
repas est lent et morose,
On
mâchonne en silence,
On
attend avec impatience
L’avis
de l’oracle sur la chose.
Grand-mère
examine l’os de l’aile,
L’aile
du coq qui démêle
Le
bonheur du malheur de demain.
Par
l’os de son aile, le coq est devin.
Le
repas de famille se termine
Mémé
chausse ses vieilles lunettes,
Prend
l’os et longtemps l’examine.
La
famille se pétrifie muette.
Mémé
tend l’os à la lumière,
Par
devant, par derrière.
Les
bords de l’os sont rouges.
À
table, plus personne ne bouge.
D’une
voix sourde et austère,
Mémé
murmure : « La Guerre ».
On
aura la guerre et le sang,
L’os
le dit, c’est flagrant.
En
cachette, l’enfant récupère
L’os
tragique et froid.
Sa
main ne lâche pas
L’amulette
du mystère.
Il
s’endort et parcourt la nuit entière
D’un
sommeil angélique.
Son
rêve écoute extatique
Venir
les tambours de guerre.