samedi 31 janvier 2015

ROME OCCUPÉE

ROME OCCUPÉE

Version française – ROME OCCUPÉE – Marco Valdo M.I. – 2015
Chanson italienne – Roma Occupata – Giacomo Lariccia – 2011

Texte et musique : Giacomo Lariccia
Album: Colpo di sole













la folle tuerie de représailles que les nazis et les fascistes ont perpétrée le lendemain-même





On se trouve plongé dans l'immense et déchirante douleur de Rome occupée, dans laquelle la voix de Giacomo se fait souffrante pour chanter la capture et les derniers instants de vie de Renzo Giorgini, un industriel romain et vaillant antifasciste, qui en mars 1944 finit fusillé avec autres 334 personnes aux Fosses Ardeatines.

À remarquer la présence essentielle du violoncelle d'Anja Naucler





On devrait reprendre ici les propos que nous avions échangés en introduction à la version française de la chanson « Via Rasella » [[40989]], dit Lucien l'âne un peu pensif.

Certainement, dit Marco Valdo M.I. et d'ailleurs, faisons-le à l'instant. J'en profiterai pour corriger quelques fautes de frappe. Donc, on disait, à la suie du commentaire italien des CCG, qui est ici le premier paragraphe :
« Je dédie cette chanson à Rosario Bentivegna, nom de guerre « Paolo » (Roma, 22 giugno 1922 – 2 avril 2012), étudiant en médecine et partisan membre du groupe d'action patriotique (GAP), qui le 23 mars 1944 dans la Via Rasella à Rome actionna une bombe de forte puissance qui tua 32 militaires allemands – des SS (42 au total, si on compte les blessés décédés suite aux blessures) et deux citadins romains de passage, Antonio Chiaretti et le jeune Pietro ‎Zuccheretti.‎.. Comme on le sait – et je renvoie aux chansons comme Il massacro dei trecentoventi (Le Fosse Ardeatine), Le Fosse Ardeatine e Roma Occupata – les représailles allemandes furent immédiates et féroces : plus de dix Italiens pour un Allemand.

Oh, dit Lucien Lane, Rosario Bentivegna vient de mourir... Je me souviens de lui quand il faisait de la résistance dans les campagnes et poursuivait la lutte contre les nazis, encore après cet attentat de la Via Rasella. Je me souviens aussi que tu as traduit son livre « ACHTUNG BANDITEN ! », c'était ainsi que la propagande des nazis appelait les résistants. 


En effet, j'ai traduit son livre et j'ai même publié sa traduction – du moins de longs extraits sur le blog que j'ai interrompu en 2008. Mais on peut voir l'histoire de l'attentat dans les 4 épisodes Achtung Banditen 20, 21, 22 et 23. En commençant par le dernier, par exemple. L'ensemble comporte près de 40 épisodes... Mais attention, il s'y mêle, un autre « Achtung Banditen ! », celui qui raconte l'histoire de Marco Camenisch.[[3735]]



Donc, Marco Valdo M.I. mon ami, tu as ainsi répondu à l'injonction de la chanson : « Viens le jour, faites honneur / Racontez-la cette histoire »... Tu l'as racontée cette histoire.



Cela dit, Lucien l'âne mon ami, il paraît qu'en Italie, certains révisionnistes voudraient encore faire peser sur les résistants la folle tuerie de représailles que les nazis et les fascistes ont perpétrée le lendemain-même ; ce qui au passage, disqualifie la légende de l'affiche dont l'ennemi aurait peuplé Rome pour annoncer son geste et demander aux Résistants de se rendre sous peine de représailles sur d'autres gens…


Oh, dit Lucien l'âne, c'est une telle énormité, que j'en reste tout pantois. Et de surcroît, cette affiche, même si elle avait existé, resterait un sordide prétexte destiné à justifier des assassinats massifs. Quand on fait la guerre à des gens, il faut quand même s'attendre à ce qu'ils se défendent et d'autre part, il ne faut pas s'attendre à ce qu'ils cèdent aux chantages.


Faire un attentat contre l'occupant et se rendre ensuite aurait été un acte de grande stupidité. Ce n'étaient quand même pas les résistants qui occupaient Rome ; ce n'étaient pas les résistants qui avaient répandu la guerre partout. Et puis, il n'y a pas de discussion possible : faire sauter un régiment de SS était un acte nécessaire... et nécessaire n'importe où en Europe. Il le serait encore. Sauf à accepter leur présence, sauf à s'incliner face au nazisme... Qu'ensuite les nazis se soient comportés comme des nazis, il n'y a pas lieu de s'étonner... À ce sujet, ils ont invoqué des représailles, le droit de représailles... Il faut être d'une parfaite mauvaise foi pour oser invoquer l'idée ou le droit de représailles… D'ailleurs qu'y a-t-il de plus abject que des représailles ? Je rappelle que cela consiste à prendre des gens sans défense et à les massacrer sous le prétexte de punir d'autres. Ça n'a évidemment aucun sens. Ce massacre de plus de trois cents personnes civiles par les nazis ne fut jamais qu'un massacre de plus parmi tant d'autres ; une opération régulière, la routine en quelque sorte. Je rappelle, à toutes fins utiles, que le compteur des assassinats engendrés par la folie des nazis et des fascistes a dépassé les quarante millions de victimes... ce qu'on ne saurait oublier...

Et vouloir imputer les victimes de leurs exactions à ceux qui ont eu le courage de leur résister (comme l'ont prétendu les nazis et tous ceux qui les suivent dans cette argumentation) est une singulière révision de l'histoire, une perversion de l'esprit, une immense connerie et une dérisoire méchanceté. 


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane. »







Rome occupée, Rome abandonnée
Aux mains des Allemands de Kappler
Qui préparent leur retraite
Rome ville ouverte, Rome qui cache 
Rome où les familles juives sont cachées
Face au risque d'une mort sûre


À Libetta, vinrent te chercher les soldats
Et devant ta fille, vite ils t'ont emmené ;
Vinrent quatre uniformes et le traître
Pour te reconnaître les accompagna .

Rome occupée, même le roi s'est enfui
Rome abandonnée, le pape est resté

On a dit qu'on avait placardé des avis : 
Qui disaient : Pour chacun de nos soldats tué 
Nous prendrons dix de vos frères
Tu étais un de ces dix comme tu l'as découvert.
Dans les cellules de via Tasso, comme tu as souffert
Ils ne te laissèrent pas le temps de te vêtir.
Avec ton tablier et ta casquette, ils te forcèrent à sortir.


Le 23 mars, une action partisane
Tuait des soldats SS via Rasella
Ils eurent une réaction inhumaine.
À l'horreur et au total, on ajouta
Erreur de calcul, cinq personnes 
Quelqu'un peut-être se trompa.


L'après-midi suivant Nicola vit arriver
Des camions allemands remplis de prisonniers
À exécuter
Déchargés dans le noir dans les carrières abandonnées
Couverts de terre et de corps d'autres condamnés


Le 4 juin, Rome est libérée
Les Américains sont arrivés en retard 
Le printemps est commencé
On enterre les morts dans le noir
On identifie
Ce qu'on retrouve est rendu aux familles


On se remet des bombardements
C'est la fin du cauchemar
On hurle dans la capitale
C'est le début d'une nouvelle vie
Qui n'a pas encore connu le mal


À Libetta, vinrent te chercher les soldats
Et devant ta fille, vite ils t'ont emmené.
Ils vinrent te chercher, ta fin était tracée :
Aux Fosses Ardéatines, elle te mena.







jeudi 29 janvier 2015

LA FILLE DE KOBANÉ

LA FILLE DE KOBANÉ

Version française – LA FILLE DE KOBANÉ – Marco Valdo M.I. – 2015
Chanson italienne – La ragazza di KobanêDavid Riondino – Novembre 2014


Sur une route droite avec le fusil en bandoulière.
La fille de Kobané un instant se retourne,
Et continue à marcher vers la ligne de front.





Voici, Lucien l'âne mon ami, une chanson qu'on dira d'actualité… Elle se situe dans la ville de Kobané, qui se situe là-bas aux confins de la Turquie et de la Syrie, dans une région kurde. Une ville martyr, prise dans les tourbillons des délires de religieux assassins et de nationalistes ahuris. Une bande immense de crétins, bourrés de paroles prophétiques. Bref, tout droit sortis d'Absurdie. Là aussi, la sentence de Jeanson s'applique et on a entendu jusqu'ici les Kurdes crier : « Au secours ! Les cons nous cernent ! ». Des tueurs aussi sanglants et aussi stupides que les Croisés lors de la prise de Jérusalem en 1099. J'ai dit d'actualité, car après des mois de résistance, les Kurdes viennent de chasser ces imbéciles et commencent à dégager la ville, du moins ce qu'il en reste, car tout semble détruit, de l'encerclement. Ils desserrent l'étau et repoussent les agresseurs.


Laisse-moi te dire, Marco Valdo M.I. mon ami, le destin incroyable de cette petite ville. J'avais connu Kobané à ses débuts, il y a cent ans, quand elle n'était qu'une agglomération naissante que bâtissaient les réfugiés arméniens. C'était déjà une histoire terrible que celle de ces gens fuyant le génocide que leur faisaient subir les Turcs. C'était en 1915. Depuis, les Arméniens sont presque tous repartis vers d'autres cieux et c'est aux Kurdes d'assumer le destin effroyable de cette ville.


Effroyable destinée, c'est bien le mot. Kobané est libérée, mais que reste-t-il ? Tout est à refaire. Cependant, pour en revenir à la chanson, elle évoque une fille qui hante l'histoire du siège de Kobané et qui participe à la défense et à la reconquête, les armes à la main. Et il est bon que ce soit une femme, bon et symbolique ; car ce sont aussi des femmes qui composent l'armée populaire de résistance aux cinglés prophétiques et dès lors, ce sont des femmes et des jeunes filles qui leur ont infligé cette formidable défaite.


Oui, Marco Valdo M.I., mon ami, c'est sans doute le fait le plus important que raconte cette chanson. Les femmes kurdes n'ont cure des injonctions prophétiques et n'admettront jamais d'être traitées en esclaves par des hommes atteints de démence furieuse. Elles sont fortes et courageuses car elles ont à défendre leur propre vie, certes, mais surtout celle de leurs enfants, de leurs proches, de leurs amis, des gens avec lesquels elles bâtissent l'avenir au quotidien. Des gens avec qui elles construisent la vie. Elles ont porté la résistance (« Ora e sempre : resistenza!) comme le firent ici d'autres femmes en d'autres temps.


Et puis, ces femmes kurdes et leurs hommes sont confrontés à un État profondément raciste, une sorte de national-islamisme oriental proche dans sa manière d'être et d'agir du national-socialisme tel qu'on l'a connu ici, lors de sa montée triomphale et de son expansion catastrophique. Il y a là un embryon d'État – qu'ils ont appelé Califat, une bande de truands qui se prennent pour un État, une baudruche étatique qui gonfle, qui gonfle… Elle en était à sa montée triomphale… Rien ne l'arrêtait… Et voilà, patatras... Les femmes de Kobané viennent de le faire...


Et nous, nous, Marco Valdo M.I. mon ami, nous sommes ici. Il nous revient de dire les choses et de tisser ainsi le linceul de ce vieux monde mortifère, insensé, religieux, prophétique, assassin et cacochyme.



Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



De la colline, les Turcs observent la bataille.
Un groupe de miliciens lève le drapeau noir.
Le président déclare que la ville est perdue,
Mais les résistants arrachent l'étendard.

De la colline, les Turcs observent la bataille.
Les victimes de la furie résistent aux égorgeurs
Du passé surgissent des fantômes d'autres villes :
Sarajevo, Varsovie, Stalingrad.

De la colline, les étoiles observent la bataille.
Un groupe de partisans arrache le drapeau noir.
Le jour après, les nazis veulent la relever encore.
Les éclairs des alliés les foudroient du ciel.

De la colline, la presse photographie la bataille.
Le journaliste raconte le couteau sur la gorge
Que sous le signe du califat, Dieu l'éclaire
Tragédie de la peur d'une autre nature.

De la colline, les filles observent la bataille.
Les mères aux yeux verts contre les marchands d'esclaves.
La fureur des miliciens, l'excitation de la canaille
Quand ils violent les sans défense, pendant les ratissages.

De la colline, les anges observent la bataille.
Les diables possèdent les âmes des soldats.
Les images de terreur accompagnent les litanies
Où les démons jurent sur le saint nom de Dieu.

De la colline, les femmes observent les mercenaires,
La lie de l'Occident, la vocation au pillage
Et tout l'imaginaire de tristes banlieues,
Entre cinéma d'horreur et basse pornographie.

Et le vent de la colline te salue et t'accompagne
Sur une route droite avec le fusil en bandoulière.
La fille de Kobané un instant se retourne,
Et continue à marcher vers la ligne de front.

Les feux de la colline t'accompagnent à la guerre
Contre les marchands d'esclaves et de diables de l'enfer,
La canaille nazie et l'indifférence de l'Occident
Les vampires cachés dans les gouvernements.

La fille de Kobané va sur la ligne de front.
Elle nous regarde un instant et marche toute seule.
La liberté vient en faisant front.
Ce n'est plus seulement une parole.


mercredi 28 janvier 2015

LAMENTATION POUR LA MORT DE TURIDDU CARNEVALI



LAMENTATION POUR LA MORT DE TURIDDU CARNEVALI

Version française – LAMENTATION POUR LA MORT DE TURIDDU CARNEVALI – Marco Valdo M.I. – 2015
d'après la version italienne d'une
Chanson sicilienne – Lamentu pi la morti di Turiddu CarnevaliCiccio Busacca

Poème d'Ignazio Buttitta
Musi
que de Nonò Salamone
Interpr
étation de Ciccio Busacca 

En guise d'introduction, voici l'introduction d'une autre chanson en langues française et italienne - intitulée Salvamort - qui raconte, elle aussi, cet assassinat :






Salvatore Carnevale [1923-1955].
Salvatore Carnevale [1923-1955].
Cette chanson relate la mort – l’assassinat d’un militant syndicaliste paysan de Sicile par la mafia, le 16 mai 1955 à Sciara.
La mère de Salvatore, Francesca Serio, a été la première femme dans l’histoire de l'Italie à porter la dénonciation d’un crime mafieux devant un tribunal public.
Le procès,qui en découla est lui aussi emblématique.
D'abord, les hommes de main, puis les carabiniers vinrent tenter de contraindre Francesca, cette femme seule à qui on venait de tuer son fils, à se taire, à passer sous silence ce meurtre.
Elle refusa, elle réclama justice pour Salvatore assassiné.
Prévu à Palerme, le procès fut renvoyé sur le continent. Depuis, c'est devenu une habitude.
Elle persista dans son obstinée revendication de justice.
Le procès eut lieu. Les avocats des parties ne sont pas des inconnus.

Pour porter la voix de la justice, la voix de Salvatore assassiné, il y avait Sandro Pertini.
Pour défendre les assassins, il y avait Giovanni Leone.
Tous deux furent des emblèmes des deux Italies, tous deux furent par la suite et successivement Présidents de la République.
Leone, issu de la Démocratie Chrétienne, dut démissionner de son mandat de Président pour corruption.
Son successeur, Sandro Pertini fut un Président respectable, respecté et d'une haute tenue morale.
Les deux Italies qui s'affrontent encore toujours.

Encore aujourd'hui, les femmes de Sicile qui – comme Laetizia Battaglia – affrontent la mafia, se regroupent pour combattre « cosa loro », pour crever les yeux de la pieuvre, se réclament de cette mère courage.
Carlo Levi l’a soutenue et a raconté cette histoire dans son livre « Le parole sono pietre » - « Les paroles sont des pierres ».
C’est un texte central dans l’œuvre de Carlo Levi.

Francesca Serio avec Carlo Levi
Francesca Serio avec Carlo Levi

C'est encore une de ces canzones en deux langues et dont l'auteur espère qu'elles pourront être chantées dans les deux langues le plus souvent possible. Rien n'empêche évidemment de ne chanter qu'en français ou qu'en italien.

Pour rappel, l’ensemble des chansons lévianes veulent montrer le caractère poétique de l’écriture et de la pensée de Carlo Levi et ont vocation à être mises en musique et en scène et chantées.

Pour les amis de langue française, voici une brève biographie de Salvatore Carnevale :

Salvatore "Turi" Carnevale (Galatti Mamertino 23 septembre 1923 – Sciara, 16 mai 1955) - syndicaliste italien.
Ouvrier agricole et syndicaliste socialiste de Sciara (PA) de 32 ans, il fut assassiné le 16 mai 1955 à l'aube tandis qu'il se rendait à son travail dans une carrière de pierres appartenant à l'entreprise Lambertini.
Les tueurs l'assassinèrent sur le chemin muletier des « Cozze secche ».
Carnevale avait donné beaucoup de fil à retordre aux propriétaires terriens pour défendre les droits des travailleurs agricoles.
En 1951, il avait fondé la section socialiste de Sciara et il avait organisé la Camera del Lavoro.
En 1952, il avait revendiqué le partage des produits de la terre pour les paysans et il avait organisé avec les paysans l'occupation symbolique des terres de Giardinaccio, appartenant à la princesse Notarbartolo. Il fut arrêté et sorti de prison, il se réfugia en Toscane pour deux ans, où il découvrit une culture des droits des travailleurs plus forte et plus radicale.
En août 1954, il rentre en Sicile, où il transpose dans les luttes paysannes son expérience acquise dans le Nord.
Trois jours avant d'être assassiné, il avait obtenu pour ses camarades le paiement des salaires en retard et le respect de la journée de 8 heures.
Ont été accusés de son assassinat : Giorgio Panzeca, Antonio Mangiafredda et Luigi Tardibuono, l'intendant de la princesse Notarbartolo.
En première instance, les accusés furent condamnés à la prison à vie. En appel et en Cassation, défendus par Giovanni Leone, les trois accusés furent acquittés.




Voici venir Cicciu Busacca
Pour vous faire entendre l'histoire
De Turiddu Carnivali
Le socialiste mort à Sciara
Assassiné par la mafia.
Pour Turiddu Carnivali
Pleure sa mère
Et pleurent tous les pauvres de la Sicile
Car Turiddu Carnivali
Mourut assassiné
En défendant le pain des pauvres
Et maintenant
Écoutez
Car il y a à apprendre
Dans l'histoire
De Turiddu Carnivali,
Son histoire vous dit :

C'était un ange et il n'avait pas d'ailes
Ce n'était pas un saint et il fit des miracles
Il monta au ciel sans cordes et escalier
Et sans parachute, il en descendit ;
Son capital était l'amour,
Et il partageait cette richesse avec tous :
Turiddu Carnevale, il était né
Comme le Christ, il est mort assassiné.

Petit, il ne connut pas son père
Il grandit près de sa malheureuse mère
Compagne de douleur et de peines,
De pain noir et de dure sueur ;
Le Christ du ciel le bénit, il lui dit :
« Toi, mon fils, tu mourras assassiné ;
Les maîtres de Sciara, ces damnés,
Tuent tout qui veut la liberté ».
Sciara
Pour qui ne le sait pas
C'est un petit pays
De la province de Palerme

Aujourd'hui encore
Règne et commande la mafia
Donc

Turiddu
Turiddu avait ses jours comptés,
Mais rencontrant la mort, il en rit,
Car il voyait les frères condamnés
Sous les pieds de la tyrannie,
Les chairs par le travail broyées
Sur le billot torturées,
Et il ne pouvait supporter l'abus
Ni du baron, ni du mafieux.

Turiddu
Il rassembla les pauvres avec tant d'amour,
Les couche-à-terre, les faces à trident,
Les mange-peu au souffle court :
Le tribunal des pénitents ;
Et il fit loi de cette chair et ce cœur
Et arme pour combattre les puissants
De ce pays désolé et sombre
Où l'histoire avait trouvé un mur.

Il dit au journalier : « Tu es nu
Et la terre est vêtue en grande pompe. 
Tu la pioches et tu sues comme un mulet
Et tu es plat comme une lasagne ;
Vienne la récolte et à coup sûr,
Le patron accapare le produit
Etoi qui chaque jour travaille la terre,
Tu tends les mains et ramasses les pleurs.

Aies courage, tu ne dois pas trembler,
Viendra le jour où descend le Messie,
Le socialisme avec son manteau ailé
Qui porte paix, pain et poésie ;
Viens si tu le veux, si tu es décidé,
Si tu es ennemi de la tyrannie,
Si tu embrasses cette foi et cette école
Qui donne l'amour et console les hommes.

Oui,
Par sa parole le socialisme 
Prend les hommes à terre et les élève
Ecoule comme l'eau de la source
Et où elle passe, elle rafraîchit et assainit
Elle dit que la chair n'est pas de cuir
Ni même farine à pétrir :
Tous égaux, pour tous du travail 
Tu manges le pain qui sue et travaille».

Il dit au journalier : « Vous dormez dans les grottes,
Dans les tanières et dans les étables,
Vous êtes comme les rats des égouts.
Vous vous rassasiez de haricots et de trognons ;
Octobre vous laisse des lèvres sèches
Juin avec les dettes et les cals
De l’olivier, vous avez les brindilles
Des épis, le chaume et la paille ».

Il dit : « La terre est à qui la travaille,
Prenez les drapeaux et les houes !  » :
Et avant que sorte l'aube
ils firent des cuvettes et creusèrent des fossés :
la terre sembla une table dressée,
Vivante, de chair comme une personne ;
Et sous le rouge de ces drapeaux
Parut un géant chaque journalier.

Les carabiniers arrivèrent en courant
Avec les menottes et les fusils à la main
Turiddu cria: « Arrière maintenant!
Il n'y a ici ni voleurs ni assassins,
Ce sont les journaliers exploités, chiens,
Qui dans les veines n'ont plus de sang :
Si vous cherchez des voleurs et des brigands
Vous les trouverez dans les palais, avec les amants ».

Le maréchal fit un pas en avant,
Il dit : « La loi ne permet pas cela ».
Turiddu lui répondit fièrement :
« Celle-là est la loi des puissants,
Mais il est une loi qui ne se trompe pas et pense
Et dit : pain pour les ventres vides,
Habits pour ceux qui sont nus, eau aux assoiffés
Et à qui travaille honneur et liberté ».
Exact disait Turiddu Carnivali
même dans la Bible
Sont écrites ces paoles :
« Habits aux nus ! Eau aux assoiféx !
À qui travaille honneur et liberté ! »
Mais la mafia que pense-t-elle ?
La mafia pensait à coups de fusil ;
Cette loi ne plaisait pas aux patrons,
Ils étaient comme chiens enragés
Les dents enfoncées dans les jarrets.
Pauvres journaliers malchanceux
Avec ceux-là sur le dos qui vous mordent!
Turiddu connaissait ces bêtes
Et il était vigilant quand il voyait des haies.

Il rentra un soir sans ailes
Le regard et la pensée dans le vague :
« Mange, mon fils, cœur loyal… » ;
Plus elle le regarde, plus elle le voit sombre :
« Fils, ce travail te fait mal »,
De la main, il s'appuyait au mur.
« Mère », dit Turiddu et il la regarda :
« Je me sens bien ». Et la tête se pencha.

Ce fut la dernière fois
Que Turiddu fut menacé par la mafia
Je dis la dernière fois
Parce que
Ils l'avaient menacé des centaines de fois
Tant de fois peut-être
Ils avaient essayé de le séduire
En lui offrant de l'argent
« Turiddu, fais attention
Tu fais fausse route
Tu es contre les patrons
Et tu sais
Qui se met contre les maîtres
Peut connaître une laide fin
D'un jour à l'autre
Il peut t'arriver
Un malheur »
Turi à ces menaces
Répondait toujours
De la même façon :
« Je suis prêt à mourir
Pour les paysans
Je suis aussi un paysan
J'ai eu la chance
De lire des livres
Et je sais ce que ce vous devez aux paysans :
Ce qui leur revient
Et vous patrons, vous devez leur donner ».
« Turiddu
Fais attention à ce que tu fais
On t'a averti tant de fois
Fais attention »
Turiddu, ce soir-là
Était rentré chez lui
Avec cette menace
Encore gravée dans son cerveau
Et dès qu'il entra
Sa mère lui servit la soupe prête
Comme tous les soirs
Dès qu'elle le voit arriver
Elle est contente
« Turiddu
Tu es rentré
Mon fils
La soupe est prête
Mange ».
Mais Turi
Ce soir
N'avait pas faim
« Maman
Laisse...
Ce soir
J'ai tant de choses
À penser
Je n'ai pas faim »
La mère a compris
Qu'ils
Avaient menacé Turiddu
Encore une fois.

« Fils, tu as été menacé ;
Je suis ta mère, ne pas avoir de secrets ! »
« Mère, mon jour est arrivé » ; et soupirant
« Christ fut tué et il était innocent ! »
« Fils, mon cœur s'est arrêté :
Tu y a mis trois épées affûtées ! »
Gens qui êtes ici, criez fort :
La mère voit en croix son fils mort.

Cette fois
les mafieux
Ont tenu leur promesse
Le lendemain matin
Alors que Turiddu allait travailler
À la carrière
Sur le sentier
Ils lui ont tiré deux coups de lupara
En plein visage
Pour le défigurer
On n'oubliera jamais ce matin :
Du seize mai
Mil neuf cent cinquante cinq.

Seize mai. L'aube au ciel brille,
Et là-haut, le château domine Sciara
Face à la mer resplendissante
Comme un autel sur d'un cercueil ;
Entre mer et château ce matin
On voit une croix dans l'air clair
Sous la croix, un mort, et avec les oiseaux
Tel un déluge, le pleur des pauvres.

Et comment pourra-t-on jamais oublier
Ce seize mai à Sciara ?
Une heure après que Turi ait quitté la maison
Sa mère entend frapper à la porte
Furieusement
(Sa mère était encore au lit)
C'était l'aube
« Francesca !
Madame Francesca !
Madame Francesca, ouvrez !
Ouvrez, il y a eu un malheur !
Ils ont assassiné Turiddu
Ils ont assassiné votre fils Turiddu
Ils lui ont tiré deux coups de lupara dans la figure
Ils l'ont défiguré
Ils l'ont assassiné
Turiddu,
Ils l'ont assassiné ! »
Le dire ainsi
C'est facile
Mais vous pensez
Pour cette pauvre mère
Qui avait ce seul fils
Comme elle s'habille en vitesse et en fureur
Et commence à courir
Par toutes les rues du village
En criant
En appelant les pauvres à la suivre
Pour aller pleurer
Sur le cadavre de son fils.

Elle criait : « Fils ! » par les rues et des ruelles
La mère angoissée qui courait
Vers le mort en tourbillons tempétueux
Monceaux de sarments qui brûlait
Dans le four avec le vent aux trousses :
« 
Courez tous pleurer avec moi !
Pauvres, sort
ez de vos tanières,
Il est mort assassiné pour votre pain ! ».

Ils sont arrivés
Les pauvres
Où se trouvait le cadavre de Turiddu
Mais
personne ne pouvait passer
Personne ne pouvait regarder Turiddu
pour la dernière fois
Turiddu
Il était entouré de carabiniers
La mère
S'agenouille face aux carabiniers

« Carabinier, si vous êtes un homme…
Ne me touchez pas, partez d'ici,
Ne voyez-vous pas que mes mains sont des torches
Je m'enflamme comme poussière dans le feu ;
C'est mon fils, garez-vous,
Laissez mon pleur et ma douleur s'épandre,
Laisser la colombe blanche s'envoler
Qu'il tient dans sa poitrine du côté gauche.

Carabinier, si tu es un homme
Ne vois-tu pas qu'il perd son sang fin
Laisse-moi approcher que je soulève
Cette pierre qu'il tient comme coussin,
Que sous son visage, je lui mette les mains
Sur sa poitrine, je pose mon cœur
Qu'avec mon pleur, je soigne ses blessures
Avant qu'il fasse jour demain matin.

Qu'avant qu'il fasse jour je trouve l'assassin
Eque j'arrache son coeur avec mes mains
Je le portau prêtre :
Et je dis : sonnez les cloches, sacristain !
Mon fils avait le sang d'or fin
Et celui-làpour sang a la pisse de marécage
Appelez-le un tigre pour qu'on le piège.
Je creuse sa fosse avec mes mains !
Fils, que dis-je, je perds la tête ;
Oh, s'il n'y avait ma foi !
Ce socialisme qui ouvre les bras
Et qui me donne espoir et courage ;
Tu me l'enseignas et tu me tenais entre tes bras
Et sur tes mains, je te pleurais
Tu m'essuyas avec ton mouchoir,
Je me sentais mourir d'amour.

Tu me parlais comme un confesseur
Je te parlais comme une pénitente
Maintenant défaite par tant de douleur
Je donne ma voix à ces commandements :
Je veux mourir de ton amour
Je veux mourir avec ces sentiments.
Fils, je t'ai volé ta bannière :
Je suis ta mère et camarade sincère ! »