mardi 30 août 2022

BOUCHE CLOSE

 


BOUCHE CLOSE

Version française — BOUCHE CLOSE — Marco Valdo M.I. — 2022

D’après la version anglaise — NO DESIRE TO OPEN MY MOUTH de Mahnaz Badihian (Mahnaz Badihian est une poètesse et écrivaine iranienne, naturalisée américaine depuis 30 ans. Sa traduction est la référence pour les autres langues ; sans son soutien, nous n’aurions aucune connaissance des poèmes de Nadia Anjuman.)

espagnole : Trasversales : NO DESEO ABRIR LA BOCA

et italiennes : Ines Scarparolo et Cristina Contilli — NON HO VOGLIA DI APRIR BOCCA et NESSUNA VOGLIA DI PARLARE

d’une chanson en langue persane (afghane) نیست شوقی که زبان باز naset shewqa keh zeban baz Nadia Anjuman — 2005


Poèsie : Nadia Anjuman


Interprété
e par : 1. Inconnues, 2. Miriam GuidettiChristopher Gunning, 3. unaisladeideas




UNE FEMME AFGHANE – BOUCHE CLOSE

2022




Nadia Anjuman fine poètesse afghane, morte à 25 ans, semble avoir projeté sur elle toutes les contradictions d’un peuple écrasé entre les superstructures féodales et la modernité. Elle est le paradigme de la femme afghane, un être considéré comme marginal, réduit à un objet, une image réifiée de la violence. Elle a été tuée par son mari lors d’une violente dispute.


Sur la condition des femmes en Afghanistan


Selon le département des affaires économiques et sociales des Nations unies, la population afghane en 2022 sera d’environ 41 millions d’habitants, dont 51,7 % d’hommes et 48,3 % de femmes. Le taux de croissance annuel est de 3 %.

Le taux d’analphabétisme de la population adulte (plus de 15 ans) est de 76 % pour les femmes, 48 % pour les hommes.

Le taux d’analphabétisme de la population jeune (moins de 15 ans) est de 54 % pour les filles, 30 % pour les garçons.

L’Afghanistan occupe l’une des dernières places du classement mondial pour le taux d’alphabétisation.

Selon les statistiques de l’OIT (Organisation internationale du travail), la main-d’œuvre féminine à la fin de 2021 est de 17 % sur un total de 9,7 millions, et se réduit progressivement. En 2021, selon les données de la Banque mondiale, le taux de participation à la population active est de 14,85 % pour les femmes et de 66,52 % pour les hommes, avec une tendance significative à la baisse dans les deux cas.

La répartition en pourcentage de la main-d’œuvre féminine dans les différents secteurs en 2020 était la suivante : 52 dans l’agriculture, 25 dans la fabrication de textiles, 18 dans l’administration publique et le secteur tertiaire (données de l’OIT).

L’Afghanistan est le pays où le taux d’emploi des femmes est le plus faible au monde. Les personnes souhaitant analyser cette question plus en détail peuvent consulter la monographie Desai et Li Analyzing FLFP in Afghanistan, Harvard University, 2016, en précisant que les projections indiquent une détérioration continue des indicateurs en lien avec la montée en puissance des talibans.

Voir quelques photos de femmes afghanes dans la ville dans les années 1970.

Il n’y a pas besoin de dire un mot sur le rôle des femmes dans la société afghane ; les informations ne manquent pas dans les médias de diverses orientations. Nous aimerions ajouter quelques points sur lesquels le courant dominant ne s’est pas attardé, peut-être en raison de la difficulté d’obtenir des informations directes.

Nous sommes tombés sur un communiqué sur le site web afghan du ministère de la justice. Poussés par la curiosité, nous avons alors pu constater ce qui suit. Le ministère des Affaires féminines [dari : وزارت امور زنان], créé en 2001, a été supprimé le 7 septembre 2021, après la prise du pouvoir par les talibans. Ses fonctions ont été transférées au " Ministère de la diffusion de la vertu et de la prévention de la dépravation " [dari : وزارت دعوت و ارشاد امر بالمعروف و نهی المنکر] [sic]. Même si aucun lecteur n’a la moindre connaissance du dari, y compris l’auteur, il peut être intéressant de parcourir les images du document pour se faire une vague idée de la police des mœurs au ministère.


Quelques faits saillants


26 décembre 2021 : de nouvelles restrictions entrent en vigueur pour les femmes afghanes. Elles ne peuvent pas voyager à plus de 50 miles (72 km) si elles ne sont pas accompagnées par le tuteur masculin, le mahram [مهرام]. Il y a des femmes sans tuteur, pas par leur propre volonté. Aucune exception n’est autorisée. Les chauffeurs de taxi sont tenus de signaler (ou de dénoncer) les transgressions. La police des mœurs fait le guet.


Mars 1922 : les femmes afghanes ne sont plus autorisées à prendre des vols intérieurs ou internationaux si elles ne sont pas escortées par leur tuteur masculin, le mahram.


22 mars 2022 : les écoles pour filles de plus de 6ᵉ année sont définitivement fermées.


7 mai 2022 : le ministère susmentionné publie un décret sur la tenue des femmes et les sanctions en cas de transgression. Toutes les femmes afghanes sont tenues de porter au moins le hijab, un voile qui les couvre, ou une robe longue, en veillant à ce qu’elle ne soit ni serrée contre le corps ni assez fine pour qu’on puisse la voir en dessous. Si une femme est arrêtée sans le hijab, le tuteur, le mahram, est responsable.

Trop stricte ? Pas du tout, le choix des alternatives est large : burqa, niqab, tchador, shayla, al-amira, khimar. Sur la haute couture islamo-afghane, il n’y a pas lieu de s’attarder, peut-être à une autre occasion.


Des informations récentes sur le statut des femmes en Afghanistan peuvent être lues dans les articles de Ruchi Kumar, DW, Zahra Nader e di Kreshma Fakhri.


Le poème


Le poème proposé fait partie du recueil گل دودی [Gul-e-dodi] / Fleur de fumée. Les poèmes de Nadia n’ont pas de titre. Certains traducteurs italiens l’ont intitulé « Cri de douleur ». D’autres s’en tiennent à la pratique consistant à répéter le premier vers, de sorte que le titre est « Nessuna voglia di aprire bocca ».

C’est aussi dans ce poème que Nadia manifeste toute son angoisse, entre désespoir étouffé et envie de réagir. « Je ne suis pas un peuplier faible.

Aucune hésitation, seulement le désarroi de ceux qui, jusqu’à hier, avaient cru à une autre réalité. « J’ai été silencieuse pendant trop longtemps, mais je n’ai pas oublié la mélodie ».

Nadia n’a pas d’autre moyen de protestation que les mots : tranchants, secs, directs mais avec une profondeur unique, celle que seuls les êtres touchés au plus profond d’eux-mêmes sont capables d’exprimer avec une simplicité désarmante.

Il ne s’agit pas d’une invocation consolatrice, mais d’une parole prononcée « pour me rappeler qu’un jour je détruirai cette cage et m’envolerai loin de la solitude ».

C’est la parole qui veut se matérialiser, la parole qui est devenue du sang.


Les interprétations


La première interprétation proposée est celle de deux jeunes femmes afghanes qui, dirait-on, connaissent bien l’œuvre de Nadia. Nous ne pouvons en dire plus, leurs noms ne sont pas connus bien sûr, ni l’origine de la mélodie, elles risqueraient beaucoup plus que la peine qu’elles subissent déjà en tant que femmes afghanes. Seule la chaîne youtube a rendu cela possible est connue, " The last torch ".

Dans le second, Miriam Guidetti récite le poème en italien avec une force expressive remarquable. La musique de fond est due au compositeur anglais Christopher Gunning.


[Riccardo Gullotta].








Aucune envie de parler

Pour que chanter ?

De moi, la vie désespère :

Chanter ou se taire,

Parler de douceur,

Avec tant de rancœur ?

D’un tyran, la rage farouche

Bouche ma bouche.

Personne dans ma vie,

Pas de douceur amie.

Tout est indifférent : rire, dire,

Mourir, vivre.

Avec ma seule détresse,

Ma douleur, ma tristesse,

Je suis née pour le néant,

Ma bouche est condamnée.

Mon cœur, sens-tu le printemps ?

De la fête, voici le temps.

Que faire ? Mon aile brisée,

M’empêche de voler.

Longtemps, je me suis tue,

Je voilais ma mélodie perdue.

Je ressasse à présent

En mon cœur, les doux chants,

Secrets messages

Du jour où je briserai la cage,

Où je laisserai cette solitude,

Où je psalmodierai mon hébétude.

Je ne suis pas tremble tremblant,

Ballotté au gré du vent.

Je suis femme afghane,

Cela seul me condamne.




lundi 29 août 2022

LES PAS VERTS DE LA PLUIE

 



LES PAS VERTS DE LA PLUIE

Version française — LES PAS VERTS DE LA PLUIE — Marco Valdo M.I. — 2022

D’après les versions anglaise : Zuzanna Olszewska and Belgheis Alavi — A VOICELESS CRY,

espagnole : El Poder de la Palabra — UN LLANTO SORDO

et italienne : Cristina Contilli — Ines Scarparolo — VERDI PASSI DELLA PIOGGIA

d’une chanson en langue persane (afghane) صدای گامهای سبز باران است — sedaa guamhaa sebz baran aset Nadia Anjuman — 2002


Poème : Nadia Anjuman
Interprétée par :
Marita Monteleone



FEMMES DU DÉSERT

d'après Angelo Drago — 1978




C’est l’un des poèmes les plus significatifs de Nadia Anjuman par sa charge de désolation et son lyrisme intense. En anglais, le titre donné par les traducteurs est Voiceless cry.

Dans ce cas aussi, nous avons réussi à retrouver le texte original. Sur le net, il n’y a pas d’interprétation en dari, ni en anglais. En revanche, nous avons réussi à trouver une interprétation en espagnol qui ne nous fera pas regretter l’indisponibilité dans d’autres langues. Il est signé par une interprète emblématique de la culture latino-américaine, « la voz », l’Argentine Marita Monteleone.


[Riccardo Gullotta].





Dans la pluie, sonnent des pas verts.

Ils nous viennent de la route.

Âmes assoiffées et jupes poussiéreuses du désert,

Mirées de mirage, souffles brûlants,

Bouches sèches, couvertes de poussière,

Arrivent par la route, maintenant.

Des filles, rudes à la douleur, corps méprisés

Visages malcontents,

Cœurs vieillis, fissurés.

Aucun sourire sur l’océan des lèvres,

Aucune larme sur la rivière

Sèche des yeux.

Dieu !

Atteindra-t-il les nuages leur cri silencieux ?

La voûte infinie ?

Leurs pas verts sonnent dans la pluie.


Ni chaud, ni froid

 


Ni chaud, ni froid




Chanson française — Ni chaud, ni froid Marco Valdo M.I. — 2022



LA ZINOVIE
est le voyage d’exploration en Zinovie, entrepris par Marco Valdo M. I. et Lucien l’âne, à l’imitation de Carl von Linné en Laponie et de Charles Darwin autour de notre Terre et en parallèle à l’exploration du Disque Monde longuement menée par Terry Pratchett.
La Zinovie, selon Lucien l’âne, est ce territoire mental où se réfléchit d’une certaine manière le monde. La Zinovie renvoie à l’écrivain, logicien, peintre, dessinateur, caricaturiste et philosophe Alexandre Zinoviev et à son abondante littérature.




LA ZINOVIE

Épisode 1 : Actualisation nationale ; Épisode 2 : Cause toujours ! ; Épisode 3 : L’Erreur fondamentale ; Épisode 4 : Le Paradis sur Terre ; Épisode 5 : Les Héros de l’Histoire ; Épisode 6 : L’Endémie ; Épisode 7 : La Réalité ; Épisode 8 : La Carrière du Directeur ; Épisode 9 : Vivre en Zinovie ; Épisode 10 : Le But final ; Épisode 11 : Les nouveaux Hommes ; Épisode 12 : La Rédaction ; Épisode 13 : Glorieuse et grandiose Doussia ; Épisode 14 : Le Bataillon des Suicidés ; Épisode 15 : Les Gens ; Épisode 16 : Jours tranquilles au Pays ; Épisode 17 : La Région ; Épisode 18 : Mémoires d’un Rat militaire ; Épisode 19 : L’inaccessible Rêve ; Épisode 20 : La Gastronomie des Étoiles ; Épisode 21 : Le Progrès ; Épisode 22 : Faire ou ne pas faire ; Épisode 23 : Le Bonheur des Gens ; Épisode 24 : La Sagesse des Dirigeants ; Épisode 25 : Les Valeurs d’Antan ; Épisode 26 : L’Affaire K. ; Épisode 27 : L’Atmosphère ; Épisode 28 : La Nénie de Zinovie ; Épisode 29 : L’Exposition colossale ; Épisode 30 : La Chasse aux Pingouins ; Épisode 31 : Le Rêve et le Réel ; Épisode 32 : La Vérité de l’État ; Épisode 33 : La Briqueterie ; Épisode 34 : L’Armée des Chefs ; Épisode 35 : C’est pas gagné ; Épisode 36 : Les Trois’z’arts ; Épisode 37 : La Porte fermée ; Épisode 38 : Les Puces ; Épisode 39 : L’Ordinaire de la Guerre ; Épisode 40 : La Ville violée ; Épisode 41 : La Vie paysanne ; Épisode 42 : La Charrette ; Épisode 43 : Le Pantalon ; Épisode 44 : La Secrète et la Poésie ; Épisode 45 : L’Édification de l’Utopie ; Épisode 46 : L’Ambition cosmologique ; Épisode 47 : Le Manuscrit ; Épisode 48 : Le Baiser de Paix ; Épisode 49 : Guerre et Paix ; Épisode 50 : La Queue ; Épisode 51 : Les Nullités ; Épisode 52 : La Valse des Pronoms ; Épisode 53 : La Philosophie spéciale ; Épisode 54 : Le Pays du Bonheur ; Épisode 55 : Les Pigeons ; Épisode 56 : Les Temps dépassés ; Épisode 57 : La Faute à la Contingence ; Épisode 58 : Guerre et Sexe ; Épisode 59 : Une Rencontre en Zinovie ; Épisode 60 : La Grande Zinovie ; Épisode 61 : La Convocation ; Épisode 62 : Tatiana ; Épisode 63 : L’Immolation ; 064. Que faire ?



Épisode 65




LA MORT ET LES MASQUES

James Ensor — 1897




Dialogue Maïeutique



Dans la chanson, Lucien l’âne mon ami, la voix s’emmêle, on ne sait trop laquelle, ni si c’est à chaque fois la même ou à chaque fois une autre, mais sûrement, elle soliloque. Ce monologue ressemble à une longue réflexion, dont on ne sait jamais dans quelle tête, forcément anonyme, mais toujours très personnelle. C’est la Zinovie vue de l’intérieur non seulement de son territoire où se déroule notre voyage, mais en plus, de l’intérieur de la tête, du cerveau, et même, de la conscience d’un Zinovien.


Soit, dit Lucien l’âne, mais en tout cas, pas d’un Zinovien quelconque à voir ce qu’il (il, elle, ils) nous a raconté jusqu’à présent. Et que dit-elle cette fois, cette voix ?


Comme on commence à en prendre l’habitude, dit Marco Valdo M.I., je vais souligner quelques traits et laisser le reste de la chanson à découvrir en comptant sur ta patience et ta proverbiale sagacité. Brièvement – curieux ce mot ; pour moi, on pourrait aussi bien dire « brèvement » ; l’étrangeté est que si brièvement existe encore, son origine est «  brief », c’était il y a des siècles, et il est quand même devenu depuis le mot « bref, brève ». Pourquoi donc pas ne pas adapter l’adverbe ? Nul ne le sait.


Là, Marco Valdo M.I. mon ami, tu t’égares.


Mais oui, je me suis égaré, reprend Marco Valdo M.I., revenons en Zinovie. Le titre d’abord ; il renvoie à la dernière ligne de la chanson, qui dit : « Tout ça ne me fait ni chaud, ni froid. » On y reviendra donc à la fin. Au début, la voix parle de l’enseignement de l’histoire aux élèves de Zinovie Important, l’enseignement de l’histoire, comme on va le voir. La chanson montre comment en Zinovie, on instille dès l’enfance une mentalité d’esclave à la population et on lui inculque la conviction de la puissance et de la grandeur de l’empire. C’est un procédé insidieux.


Ah, dit Lucien l’âne, on a donc en Zinovie, selon la voix, une population formatée pour se penser elle-même comme esclave du Guide et des dirigeants. C’est là une belle manière de cultiver la barbarie.


En effet, reprend Marco Valdo M.I. ; ensuite, l’anonyme, qui s’est replié sur lui-même, s’extrait de son univers et se rend compte de sa marginalité. Il s’est détaché du « nous », s’est posé en « moi » et de ce fait, il ne participe plus de ce qui fait la vie routinière du Zinovien moyen.


C’est un peu logique, dit Lucien l’âne, qu’il soit à l’écart ; d’ailleurs, j’imagine que ça l’arrange. Il devrait y trouver une vie plus tranquille.


Bien vu, Lucien l’âne mon ami, car c’est ce que disent les deux dernières strophes. Sa démarche est la suivante : à défaut d’un but honorable – un devoir ou une œuvre, tel qu’on pouvait en avoir « avant » (sous-entendu : avant le régime en place), il s’agit de refuser la collaboration ou la soumission, en ne s’impliquant pas dans le « social ». Le résultat est plaisant :


« Maintenant, sans but à atteindre,

Je n’ai plus rien à feindre.

Sans obligation, sans mode,

Ma vie est simple et commode.

À présent, en Zinovie, je dors

L’esprit tranquille et sans remords. »


Évidemment, dit Lucien l’âne, je connais cette situation. Elle est confortable jusqu’à ce que la « socialité » se mette en quête du « pelé, du galeux d’où vient tout le mal ». Comme âne, je suis témoin de cette ignoble pratique. Et le reste ?


Le reste, dit Marco Valdo M.I., c’est la fin de la chanson. En gros, c’est la réponse à la question qui l’introduit : « À quoi bon remuer tout ça ? » En fait, c’est encore l’ataraxie comme mode d’existence. Candide avait un objectif similaire, il entendait « cultiver son jardin ». Pour condenser le propos, la voix conclut que quoi qu’il arrive au monde, ça ne lui fait ni chaud ni froid. Il faut le comprendre comme règle d’existence, comme une condition fondamentale de la survie et par conséquent, de la vie elle-même.


Dans le fond, dit Lucien l’âne, elle a raison la voix de la chanson, car cette tranquillité d’esprit et de conscience qui la mène est la manière de vivre une vie qui vaut d’être vécue, de se tenir en état de résistance face au grégarisme et à l’esclavage institués. Enfin, tissons le linceul de ce vieux monde asservi, grégarisant, esclavant, pesant et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




En Zinovie, à l’école, en histoire,

On nous raconte la Rome antique,

Ses armées, ses légions, sa gloire,

Sa grandeur, son aura romantique,

Son pouvoir, son immensité, son empire,

Tout ce qui faisait son bel âge.

Le cirque, les massacres, l’esclavage,

Tout ce qu’elle a fait de pire.

Ici, les élèves doivent prendre parti

Même à Rome, en solidarité rétrospective,

Les enfants se doivent d’être des esclaves.

En Zinovie, on apprend la vie ainsi.


Les bateaux filent les voiles sous le vent.

Les cavaliers avancent bannières au vent,

Au soleil, les épées étincellent.

Des villes, des vallées, des îles surgissent.

Au palais, les femmes dansent entre elles,

Mystérieuses, inaccessibles, elles glissent.

Les images tremblent et m’émerveillent.

Alors, en Zinovie, je me réveille.

Que se passe-t-il autour de moi ?

Que font tous ces gens, là ?

Ils ne me regardent même pas.

Pour eux, je n’existe pas.


En Zinovie, avant, on venait au monde

Avec un devoir à remplir,

Avec une œuvre à accomplir.

Les anciens savaient la terre ronde.

Et mission achevée, satisfaits,

Nous quittaient la conscience en paix,

Maintenant, sans but à atteindre,

Je n’ai plus rien à feindre.

Sans obligation, sans mode,

Ma vie est simple et commode.

À présent, en Zinovie, je dors

L’esprit tranquille et sans remords.


À quoi bon remuer tout ça ?

Juste pour dire ce que je pense, moi.

Passons sur le climat et la pollution,

La menace nucléaire, la guerre.

Mourir d’une mine, d’une explosion,

Quelle importance ? Et l’avenir de la Terre ?

Tout ça ne m’empêche pas de dormir.

Qu’on soit dix milliards à l’avenir,

Ne me fait pas sauter de joie.

Et que d’un mouvement souterrain,

Ensuite, on s’éteigne tous soudain.

Tout ça ne me fait ni chaud, ni froid.