samedi 3 avril 2021

Une Pipe à Pépé

Une Pipe à Pépé

Chanson française – Une Pipe à PépéHenri Tachan1978



FUMEUSE DE PIPE

Gabriel Metsu – ca. 1650

 

 

Dialogue maïeutique


Laisse-moi d’abord, Lucien l’âne mon ami, te conter une aventure qui m’est arrivée il n’y a pas longtemps.


Je t’en prie, Marco Valdo M.I., je suis toujours très intéressé par les aventures qui peuvent t’arriver ; d’autant plus, si tu prends de telles précautions avant de les raconter.


L’autre jour, j’arrivai, Lucien l’âne mon ami, chez mon ami le libraire. Il tient ici et fait tenir avec vaillance comme un artilleur de Mayence, une librairie à l’enseigne de L’Écrivain public.


Oh, dit Lucien l’âne, ce doit être un saint homme.


Justement !, répond Marco Valdo M.I., il se démène comme un béat aux abois pour satisfaire sa clientèle, dont une part, comme tu l’imagines, a des allures quelque peu sauvages, puisque nous en sommes. Donc, en arrivant sur le trottoir, je chantonnais gaiement – chantonner c’est ma façon de contrecarrer cette ambiance mortifère dans laquelle sont baignées nos rues. Je chantonnais une chanson de Tonton Georges qui me turlupinais à juste titre, en raison de la situation générale morbide et de mon propre grand âge.


Laisse-moi deviner, dit Lucien l’âne. Vraiment, je suis persuadé qu’il s’agit de « L’ancêtre ». Je te vois bien partir pour l’au-delà – pas avant trois-quart de siècle cependant, au son des guitares (pas des orgues liturgiques, foutu athée !), te gorgeant de bon vin (pas d’eau bénite, et du gros rouge, cré nom de nom !) et cajolé par de jolies donzelles (pas des enfants de Marie, pas des nonnes, mais de belles mignonnes).


Tout juste, Lucien l’âne mon ami. J’en étais là de mes pensées et de la chanson quand le libraire me dit : je connais la chanson et il enchaîne « et des qui fument, crénom de nom ! ». Il avait manifestement reconnu mon petit refrain. Je le regarde goguenard, en jetant un coup d’œil aux dames derrière le comptoir. C’est là, qu’en me regardant soudain, il se ravise et me dit : « Oh !, je n’y avais jamais pensé ; jusqu’ici, j’ai pensé que ces dames fumaient la cigarette, ce qui était chose interdite dans les établissements de soins et religieux. » Enfin, lui dis-je, au pays de Magritte ? Ne pas voir la pipe, c’est un comble.


Évidemment, dit Lucien l’âne, là, Tonton Georges était resté évasif. Comme je dis toujours, « Attention ! Une pipe peut en cacher une autre ! ».


En effet, Lucien l’âne mon ami, mais ce n’est pas du tout le cas d’Henri Tachan, qui fut son compagnon de tournées, car ces deux anars-là se connaissaient et s’appréciaient. Voici dès lors une chanson de Tachan qui propose une solution humaine aux derniers moments, qui servirait bien ces mourants isolés qui peuplent nos institutions :


« Infirmière dévouée,

Au fond de ton hôpital,

Donne donc à l’ancêtre

Une ultime caresse »


À propos, ces vieux, du moins quand ils ont encore assez d’énergie, se révoltent contre la morosité des lieux de rétention ; du moins, c’est ce que raconte « La Vieille » de Patrick Font.



Soit, dit Lucien l’âne, mais quelle est cette solution humaine ?


Si tu veux le savoir, répond Marco Valdo M.I., il ne me reste qu’à te seriner le refrain de la chanson d’Henri Tachan :


« Faisons une pipe à Pépé

Avant qu’il ne la casse,

Une petite langue à Mémé

Avant qu’elle ne trépasse,

Et ne poussons pas des cris d’horreur, d’indignation :

Ils sont comme nous, les vieux, ils ont le cul sous le chignon. »


Évidemment, la chose n’est pas toujours réalisable. Par exemple, en raison des confinements ou de l’éloignement, mais le principe fondamental est excellent : faites quelque chose d’aimable pour la vieille ou le vieux qui s’en va, faites surtout autre chose que de vous lamenter sur votre pauvre sort de survivant, car au fond, arrivé là, la mort est une compagne bienheureuse, elle dit d’ailleurs à Oncle Archibald :


« Si tu te couches dans mes bras
Alors la vie te semblera
Plus facile
Tu y seras hors de portée
Des chiens, des loups, des hommes et des
Imbéciles,
Imbéciles.

Et mon oncle emboîta le pas
De la belle, qui ne semblait pas
Si féroce
Et les voilà, bras dessus, bras dessous,
Les voilà partis je ne sais où
Faire leurs noces,
Faire leurs noces. »


Oui, c’est vraiment bien, dit Lucien l’âne. Ce n’était pas l’avis du bedeau qui me déclarait l’autre jour : « Décidément, ces anars ont des conceptions bizarres, ils défendent le bonheur des vieux et même quand il s’agit de mourir, ils ont pas l’air de s’en faire.


Et même au-delà, reprend Marco Valdo M.I., car à leurs yeux (et aux nôtres), la mort apparaît comme la fin des ennuis et le début de très grandes vacances où on n’aura jamais plus mal aux dents.


C’est assez sympathique de voir les choses ainsi, conclut Lucien l’âne, et pour tout le monde encore bien. Pour le futur mort, c’est une perspective agréable comme pour les amis qui l’ont remis en de bonnes mains. En attendant notre tour, tissons le linceul de ce vieux monde triste, lamentable, sinistre, affligeant, grave, fâcheux, morose, lugubre, cafardeux, maussade, amer, sépulcral, dramatique, funèbre, funeste, calamiteux, atterré, neurasthénique, hypocondriaque, constipé, bileux et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Adolescent paumé,

Qui saignes les vieillards

Pour de la menue monnaie,

Pour quelques pauvres liards,

Donne-leur donc, au lieu

D’un coup de yatagan,

Le p'tit coup du Bon Dieu :

Un dernier bon moment.

Fais une pipe à Pépé

Avant qu’il ne la casse,

Une petite langue à Mémé

Avant qu’elle ne trépasse,

Et ne pousse pas des cris d’horreur, d’indignation :

Ils sont comme toi, les vieux, ils ont le cul sous le chignon.


Infirmière dévouée,

Au fond de ton hôpital,

Au lieu du comprimé,

Du calmant, du bocal,

Au lieu du thermomètre,

Cette épée de Damoclès,

Donne donc à l’ancêtre

Une ultime caresse.

Fais une pipe à Pépé

Avant qu’il ne la casse,

Une petite langue à Mémé

Avant qu’elle ne trépasse,

Et ne pousse pas des cris d’horreur, d’indignation :

Ils sont comme toi, les vieux, ils ont le cul sous le chignon.


Adultes répugnants,

Qui clouez au fauteuil

Comme dans un cercueil,

Grand-papa, Grand-maman,

Au lieu de vous cacher

Pour d’intimes prouesses,

Allez donc les chercher

Ça leur refera une jeunesse.

Faites une pipe à Pépé

Avant qu’il ne la casse,

Une petite langue à Mémé

Avant qu’elle ne trépasse,

Et ne poussez pas des cris d’horreur, d’indignation :

Ils sont comme vous, les vieux, ils ont le cul sous le chignon.


Au chevet de nos vieux

Sont perchés les cornettes,

Les corbeaux du Bon Dieu,

Les curés, les nonnettes,

Au lieu de ces oiseaux,

Donnez-leur des marins

Et des putes pour un beau

Dernier petit coup d' rein.

Faites une pipe à Pépé

Avant qu’il ne la casse,

Une petite langue à Mémé

Avant qu’elle ne trépasse,

Et ne poussez pas des cris d’horreur, d’indignation :

Ils sont comme vous, les vieux, ils ont le cul sous le chignon.


La vieillesse, mes frères,

C’est pas le paradis,

Ce serait plutôt l’enfer

Des plaisirs interdits.

Car à quatre-vingts ans,

Papa Hugo l’a dit :

On cache son sentiment

Dessous ses bigoudis.

Faisons une pipe à Pépé

Avant qu’il ne la casse,

Une petite langue à Mémé

Avant qu’elle ne trépasse,

Et ne poussons pas des cris d’horreur, d’indignation :

Ils sont comme nous, les vieux, ils ont le cul sous le chignon.