La
Sagesse de la Nation
Lettre
de prison 21
24
mai 1935
Jacopo
da Barbari
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Dialogue
Maïeutique
En
fait, Lucien l’âne mon ami, le titre « La Sagesse de la
Nation » aurait dû être plus long, mais pour toutes ces
lettres de prison, j’ai définitivement opté pour des titres
courts.
Bonne
idée, Marco Valdo M.I., mais du coup, tu m’intrigues. Qu’aurait
été ce titre court, s’il avait pu être long ?
Bonne
question, Lucien l’âne mon ami, il aurait été formulé comme
ceci : « La Sagesse de la Nation, de la
Justice et de la Raison », mais tout compte fait, ce n’était
pas nécessaire et je vais te dire pourquoi. Vois-tu, mon ami l’âne
Lucien, quand on choisit un titre, il faut savoir pourquoi. Dans mon
cas, je veux dire, dans ce cas-ci, j’utilise le titre pour attirer
l’attention sur le point focal de la canzone. Ceci vu qu’une
chanson parle de diverses choses et qu’il faut bien lui faire
exprimer un caractère qui la distingue de toutes les autres. Pour
mieux me faire comprendre, j’aurais pu intituler tout simplement
« Lettre de Prison » toutes les chansons de cette
compilation qui elle-même s’intitule « Lettres de Prison ».
Et pour chacune, ç’aurait été un titre exact. Cependant, on
aurait eu beaucoup de mal à les différencier. Évidemment, j’aurais
pu les nommer : Lettre de Prison 1, Lettre de Prison 2, et ainsi
de suite et d’une certaine manière, sous un certain angle, ce
pouvait être une excellente formule. Elle aurait reflété la
monotonie de ce séjour en isolement. J’aurais pu mettre comme
titres : Lettre de Prison du 17 mars 1934, et ainsi de suite.
D’ailleurs, le numéro et la date figurent en sous-titre à chaque
chanson.
Bien
sûr, dit Lucien l’âne, et à la vérité, ça n’aurait pas
manqué d’ordre et de clarté.
Certainement,
Lucien l’âne mon ami, mais c’eût été un peu monotone comme
les longs sanglots d’un violon et surtout, c’eût été manquer
de poésie et la table aurait tous les airs d’un livre comptable ou
d’un abaque de références dont raffolent les gens de sciences et
les mathématiciens ou d’un inventaire de huissier ou de notaire.
Quelle
horreur, Marco Valdo M.I. mon ami ! En matière d’inventaire,
je préfère celui de Prévert, qui est d’un modèle plus poétique.
C’est
dans ce sens-là qu’il faut considérer la chose, reprend Marco
Valdo M.I.. Les titres donnent un parfum poétique à la chanson et
une fois rassemblés sur une table, ils constituent eux-mêmes un
singulier poème. Ils content toute l’histoire.
Oh,
dit Lucien l’âne, on reste rêveur devant une telle table. Parfois
même, à condition d’avoir lu le livre, on peut le reparcourir
rien qu’en le regardant ; c’est fascinant. Mais que me
dis-tu de cette lettre de prison ?
Rien
qu’elle ne te dira mieux elle-même, répond Marco Valdo M.I..
Laissons-la faire !
Eh
bien, Marco Valdo M.I. mon ami, comme tu dis, laissons chanter la
canzone et tissons au point d’ironie le linceul de ce vieux monde
monotone, sage, juste raisonnable et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Cette
admonition
Qui
dure depuis un an
Est
comme une autre prison
Et
ce deuxième emprisonnement
Tuent
la création.
Pourtant,
je supporte avec patience
Ce
supplément de prison
Car
j’ai grande confiance
En
la sagesse de la nation,
De
la justice et de la raison.
Hier,
on m’avait dit
Qu’on
viendrait me chercher
Après
le souper.
Je
croyais être libéré.
J’ai
lu au lit jusqu’à la nuit.
Il
y a encore des livres intéressants
À
la bibliothèque. C’est rassurant.
J’ai
trouvé en cherchant
Un
roman anglais d’il y a cent ans.
Ici,
on lit pour passer le temps.
Bientôt,
je ne lirai
Plus
ces romans.
Bientôt,
dans mon atelier,
Je
peindrai
Des
tableaux surprenants.
Deux
semaines sont passées
Et
voilà,
Je
suis toujours là.
Et
j’attends de savoir pourquoi
Les
heures s’en sont allées.