dimanche 25 mars 2018

Le Testament


Le Testament

Chanson française – Le Testament – Georges Brassens – 1956











Dialogue maïeutique


Lucien l’âne mon ami, il arrive un moment dans la vie où certains ont l’idée de se faire un testament ou de se le faire faire par un notaire.

Certes, comme je nous connais, cela ne nous arrivera pas, Marco Valdo M.I. mon ami, ni à moi, ni à toi. Ce n’est pas qu’on ait peur de le faire, mais à la vérité, que pourrait-on bien y indiquer ? Rien, rien qui ne soit dit ici dans nos dialogues et dans nos chansons. Ce sont les seuls choses que nous léguerons à la postérité. Sans doute, du point de vue commun, cela ne vaudra pas assez pour y prélever une taxe, ni même pour en faire commerce. Et c’est bien ainsi. Mais dis-moi, Marco Valdo M.I. mon ami, aurais-tu l’intention de mourir bientôt que tu évoques cette idée de testament ?

Pas vraiment, Lucien l’âne mon ami, pas vraiment, mourir bientôt, non, je n’en ai pas l’intention, mais va-t’en savoir ? Et de toute façon, ce serait sans importance. En fait, j’en suis venu à vouloir évoquer ce testament particulier parce que j’avais promis de le faire, j’avais promis d’insérer cette chanson au chapitre de la Mort dans le grand roman des Chansons contre la Guerre, qu’il me vient souvent à l’idée de considérer comme un seul grand texte, constitué comme tous les organismes vivants d’une multitude d’éléments et un organisme vivant en perpétuelle croissance.
Il y a plusieurs raisons à cela : d’abord, la Mort est à mon sens une des grandes figures de la Guerre/vs/Paix : sans elle, quelle figure ferait la Guerre ? En ensuite, car elle est pour tous et pour chacun, la fin d’un combat et l’entrée – subreptice ou triomphale – dans « la fosse commune du temps ». Comme dit la chanson :

« J’ai quitté la vie sans rancune,
J’aurai plus jamais mal aux dents :
Me voilà dans la fosse commune,
La fosse commune du temps. »

Mais dis-moi, Marco Valdo M.I. mon ami, de quelle chanson s’agit-il et de qui elle est ; de cela, tu ne m’as encore rien dit.

Oh, Lucien l’âne mon ami, je pensais vraiment que tu le savais déjà. Il s’agit du Testament de Georges Brassens qui traite de la Mort à sa manière, c’est-à-dire en la considérant comme une étape de la vie. Toutefois, il m’importe de rappeler un autre Testament qui fut écrit un demi-millénaire avant celui-ci, dont on trouve écho dans La Ballade des Pendus, un Testament qui marque encore bien des esprits : « En ma trentième année, etc ». Ainsi, Brassens continue Villon, mais qui en aurait jamais douté ?

En effet, conclut Lucien l’âne, pour les êtres biologiques, la mort est une étape de la vie, la dernière, inéluctable, comme toutes les autres ; une bonne façon de quitter le monde pour laquelle il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Quant à nous, continuons à tisser le linceul de ce vieux monde moribond, asthmatique, cahotant et cacochyme.


Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Je serai triste comme un saule,
Quand le Dieu qui partout me suit
Me dira, la main sur l’épaule :
« Va-t’en voir là-haut si j’y suis ! »
Alors, du ciel et de la terre,
Il me faudra faire mon deuil.
Est-il encore debout le chêne
Ou le sapin de mon cercueil ?
Est-il encore debout le chêne
Ou le sapin de mon cercueil ?

S’il faut aller au cimetière,
Je prendrai le chemin le plus long,
Je ferai la tombe buissonnière,
Je quitterai la vie à reculons.
Tant pis si les croque-morts me grondent,
Tant pis s’ils me croient fou à lier,
Je veux partir pour l’autre monde
Par le chemin des écoliers.
Je veux partir pour l’autre monde
Par le chemin des écoliers.

Avant d’aller conter fleurette
Aux belles âmes des damnés,
Je rêve d’encore une amourette,
Je rêve d’encore m’enjuponner.
Encore une fois dire « Je t’aime »,
Encore une fois perdre le nord
En effeuillant le chrysanthème
Qui est la marguerite des morts.
En effeuillant le chrysanthème
Qui est la marguerite des morts.

Dieu veuille que ma veuve s’alarme
En enterrant son compagnon,
Et que pour lui faire verser des larmes,
Il n’y ait pas besoin d’oignon.
Qu’elle prenne en secondes noces
Un époux de mon acabit :
Il pourra profiter de mes bottes,
Et de mes pantoufles et de mes habits.
Il pourra profiter de mes bottes,
Et de mes pantoufles et de mes habits.

Qu’il boive mon vin, qu’il aime ma femme,
Qu’il fume ma pipe et mon tabac,
Mais que jamais – mort de mon âme !,
Jamais il ne fouette mes chats.
Quoique je n’aie pas un atome,
Une ombre de méchanceté,
S’il fouette mes chats, il y a un fantôme
Qui viendra le persécuter.
S’il fouette mes chats, il y a un fantôme
Qui viendra le persécuter.

Ici-gît une feuille morte,
Ici finit mon testament.
On a marqué dessus ma porte :
« Fermé pour cause d’enterrement. »
J’ai quitté la vie sans rancune,
J’aurai plus jamais mal aux dents :
Me voilà dans la fosse commune,
La fosse commune du temps.
Me voilà dans la fosse commune,
La fosse commune du temps.