vendredi 23 décembre 2016

BRISEZ CE QUI VOUS BRISE !

BRISEZ CE QUI VOUS BRISE !

Version française – BRISEZ CE QUI VOUS BRISE ! – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson allemande – Macht kaputt was euch kaputt macht – Norbert Krause – 1969

Interprétation : Ton Steine Scherben
Paroles : Norbert Krause
Musique : Ralph Möbius (alias Rio Reiser)





LE VIEUX MONDE CACOCHYME


Ah, regarde Lucien l’âne mon ami, nous sommes en 1969 et le soufflé de la prospérité allemande (en RFA tout au moins) n’est pas prêt à retomber ; bien au contraire, il gonfle, gonfle, gonfle autant qu’il peut gonfler. C’est cette atmosphère à la dynamique adipeuse que décrit la chanson ; une atmosphère étouffante pour les gens qui ne partageaient pas cette grandiose euphorie.

Oh, dit Lucien Lane, c’est souvent, sinon toujours ainsi. C’est un des aspects de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres afin de faire taire toute protestation contre leur insolente escroquerie généralisée que d’aucuns nomment exploitation ; d’autres qualifient de profit ; bref, ce comportement de sangsues cannibales. Il y a de quoi avoir une solide envie de tout foutre en l’air, de crier sa honte et d’appeler à la révolte

C’est précisément, reprend Marco Valdo M.I., le propos de la canzone. En deux temps, assez rationnels. Temps un : description des faits ; temps deux : appel à la révolte. Cette incitation, lancée à la cantonade à détruire ce qui détruit, à réduire à néant toutes ces choses toxiques est nettement exposée dans le titre : Macht kaputt was euch kaputt macht – Détruis ce qui te détruit. La preuve que cette proclamation rencontrait un sentiment fort répandu dans la population de l’Allemagne nouvelle – en ces années-là, celle qui regroupait ceux qui avaient résisté aux temps du Reich de Mille Ans qui n’en avait duré que douze ; ceux qui en avaient été dégoûtés après y avoir cru ; ceux qui trop jeunes avaient grandi dans la terreur et l’abjection ; ceux qui venus au monde après la fin du Millénaire de douze ans qui, etc, et n’avaient connu au départ de leur vie que ruines, ressentiments et misères, tous ceux-là qui avaient aussi vu gonfler la baudruche.

À propos du titre de la canzone, dit Lucien l’âne en riant, il est curieux qu’en allemand, Kaputt – peut être traduit utilement par « foutu ». Chez nous, je ne sais par quel héritage, on utilise en français pour dire « c’est foutu », l’expression « c’est kaputt », alors qu’en latin, « caput » désigne la tête.

Laissons ce casse-tête à notre ami Ventu, friand de philologie. Ceci dit, une manière de rendre ce titre – il y en a tant et tant de ces tournures que je renonce à en faire une énumération exhaustive, donc, une façon de le faire sonner en français est : « Foutez en l’air ce qui vous en l’air ! ». Le titre de cette chanson correspondait tellement bien à un sentiment général chez certains (ceux ci-dessus recensés) qu’elle fut immédiatement adoptée comme une antienne qui fut scandée dans les manifestations, écrites sur les murs, peintes sur des panneaux et des pancartes, imprimées sur des vêtements, et ainsi de suite. Ce titre servit quasi-immédiatement de slogan aux Autonomes allemands ; on le retrouva repris en chœur dans les mouvements pour le logement et fit florès dans tout le mouvement étudiant et anarchiste, un peu partout en Allemagne. C’était un début et on n’était qu’au début.

Début ? Quel début ? Début de quoi ?, Marco Valdo M.I. mon ami. Tout cela est bien énigmatique. Pourrais-tu éclairer ma lanterne ?

On était au début des remous qui vont faire suite à 1968 ; les générations nées autour de la guerre avaient commencé leur vie dans la misère et les ruines, avait entretemps accédé aux richesses d’ersatz de la société de consommation où on leur avait proposé des objets, des ombres, des silhouettes, des plaisirs insipides et mornes, des attrape-nigauds en lieu et place de leur vie et de leur propre bonheur. Les plus lucides ouvraient la voie au rejet de l’imposture démocratique et consommatrice, de la réification de leurs êtres et de leurs sentiments ; tout s’évaluait, la valeur – qui n’est rien d’autre qu’un concept marchand – tenait lieu de conscience de soi et du monde. L’homme se mesurait sur la balance de l’épicier, le bien-être tournait à la boulimie. Ce double mouvement : l’accession aux objets, aux choses et la réduction concomitante de la personne au consommateur, d’une part et d’autre part, la volonté rationnelle et raisonnable de rejeter les faux semblants et les icônes, a commencé à se préciser et à se développer autour de ces années-là et la confrontation est toujours en cours. On n’était pas passé impunément des Lumières aux bilans trimestriels, de la philosophie émancipatrice au voile publicitaire du mercantilisme. Les Dieux – la plupart monomaniaques, sous les formes les plus communes en nos régions de Yahvé, de Dieu ou d’Allah – entendaient sauvegarder leur valeur à la bourse des éternités de pacotille ainsi que multiplier leurs clientèles ; leurs courtiers s’activent encore dans le placement des assurances vie-éternelle. Ces assureurs comme leurs confrères d’autres domaines ont le tour professionnel pour vendre du vent et des leurres. Face à ces religions prônant dieux, commerces et imageries, la chanson est un hymne iconoclaste.

« Brisez ce qui vous brise !
Détruisez ce qui vous détruit ! »

Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, comme elle disait juste, comme elle avait raison. Et ses échos se répercutent encore à présent. Quand donc comprendront-ils ces humains drogués au salut et aux hochets des apparences ? C’est tout l’enjeu de la Guerre de Cent Mille Ans, cette guerre aux mille méandres et détours, que les riches, les puissants et leurs séides font aux pauvres du monde entier afin de maintenir la richesse, de rencontrer leur adipeuse ambition, leur domination stupide et mortifère. Reprenons notre tâche et brisons ce monde qui nous abîme la vie, tissons le linceul de ce vieux monde mercantile, intéressé, ambitieux, impotent, avide et cacochyme.


Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane





Les radios parlent, les disques chantent,
On tourne des films, les télés se vendent,
On achète des voyages, on achète des voitures,
On achète des maisons, on achète des meubles.
Pour quoi ?

Brisez ce qui vous brise !
Détruisez ce qui vous détruit !

Les trains roulent, les dollars roulent,
Les machines tournent, les hommes triment ,
Des usines fabriquent, fabriquent des machines,
Fabriquent des moteurs, fabriquent des armes.
Pour qui ?

Brisez ce qui vous brise !
Cassez ce qui vous casse !
Les bombardiers volent, les chars roulent ,
Les policiers frappent, les soldats meurent,
Protègent les chefs, protègent les riches,
Protègent le Droit, protègent l’État.
Avant nous !

Brisez ce qui vous brise !

Cassez ce qui vous casse !