La Rédaction
Chanson française – La Rédaction – Marco Valdo M.I. – 2021
LA
ZINOVIE
est le voyage d’exploration en Zinovie, entrepris par
Marco Valdo M. I. et Lucien l’âne, à l’imitation de Carl von
Linné en Laponie et de Charles Darwin autour de notre Terre et en
parallèle à l’exploration du Disque Monde longuement menée par
Terry Pratchett.
La Zinovie, selon Lucien l’âne, est ce
territoire mental où se réfléchit d’une certaine manière le
monde. La Zinovie renvoie à l’écrivain, logicien, peintre,
dessinateur, caricaturiste et philosophe Alexandre Zinoviev et à son
abondante littérature.
LA
ZINOVIE
Épisode 1 : Actualisation
nationale ;
Épisode 2 : Cause
toujours ! ;
Épisode
3 :
L’Erreur fondamentale ;
Épisode
4 : Le
Paradis sur Terre ;
Épisode
5 :
Les
Héros de l’Histoire ;
Épisode
6 :
L’Endémie ;
Épisode
7 : La
Réalité ; Épisode
8 : La
Carrière du Directeur ;
Épisode
9 : Vivre
en Zinovie ;
Épisode
10 : Le
But final ;
Épisode 11 : Les
nouveaux Hommes
Épisode 12
LA JEUNE FILLE
Nikolaï Fechine - 1914
Dialogue Maïeutique
Je ne dois certainement pas t’apprendre, Lucien l’âne mon ami, ce qu’est une rédaction. Mais quand même, résumons le concept. Disons que c’est un exercice de style où on teste la capacité qu’a l’élève d’élaborer ce texte et de le rédiger. Bien entendu, le mot rédaction peut signifier tout autre chose, mais ce sens-ci convient parfaitement à mon propos. C’est donc ainsi qu’il faut l’entendre. Originellement, du moins, c’était – moralement, éthiquement – un exercice anodin, généralement assez innocent. Mais on est en Zinovie et il y a un mais.
Un mais ?, dit Lucien l’âne. Un mais ? Si je te suis bien, il y a des mais possibles, des dérives dangereuses.
Exactement, répond Marco Valdo M.I., et c’est précisément ce que raconte la chanson, là où une rédaction peut conduite à une étrange sanction et à pis encore, même si, dans la chanson, ce qu’est ce pire n’est pas clairement exposé. On ne peut que le deviner et ce qui vient alors à l’esprit est pour le moins inquiétant. Elle commence cependant par une pétition de principe générale qui fixe l’affirmation théorique et un peu exotique de la Zinovie – tout un programme :
« En Zinovie, on veut abolir
Les troubles de la civilisation,
Asseoir et conforter la révolution. »
Oh, dit Lucien l’âne, on l’a souvent entendu ce discours, on le retrouve dans la logorrhée de nombreux pays du monde. En fait, depuis grosso modo un siècle, on n’entend plus que ça.
On n’entend plus que ça et partout, Lucien l’âne mon ami, il convient de comparer le principe de départ et la réalité qui s’en est suivie. Et partout, on découvre la même histoire : il y a là un écart abyssal, sinon un complet reniement par les faits. C’est ce que constate ingénument la jeune fille de la chanson dans sa rédaction. Cette fille du peuple, cette enfant de petites gens sait pertinemment que son avenir est bouché, que les dés de la vie en Zinovie sont pipés. Et elle le dit, elle l’écrit, elle le décrit à l’aide d’exemples simples, tirés de son quotidien. En quoi, elle a tort ; c’est intolérable qu’elle dise ainsi que « le roi est nu ».
« Voyez les plages en bord de mer.
Il en est de deux sortes où prendre l’air :
Les laids espaces encombrés de milliers de gens
Et les vides étendues dorées réservées aux dirigeants. »
Et alors, dit Lucien l’âne, quelle importance ; ce n’est jamais qu’une rédaction d’une élève parmi des millions d’autres ? Il suffirait tout simplement de l’ignorer. Elle finirait – la rédaction – dans le tas de papiers des devoirs d’écoliers.
Mais, Lucien l’âne mon ami, là n’est pas la question, ni la manière de considérer la chose en Zinovie. Le problème, c’est que la rédaction – en d’autres lieux, il y a la confession – révèle plus que ce qu’elle dit ; son contenu est inquiétant pour le pouvoir qu’elle dénonce. Elle dévoile chez la jeune fille l’embryon d’une résistance à venir, elle laisse augurer du danger d’une critique plus générale du régime en place en Zinovie. Imagine ce qui se passerait, si on laissait les gens dire ouvertement les défauts, et au-delà, les injustices, les crimes, les privilèges des dirigeants petits et grands. Ce serait le début de la fin.
Soit, dit Lucien l’âne, mais ensuite ? Quid pour cette jeune fille ?
C’est terriblement simple, répond Marco Valdo M.I., on va la faire disparaître « en douceur », l’envoyer se faire soigner pour son bien et pour celui de la société.
Mais c’est ignoble, dit Lucien l’âne.
Ignoble, reprend Marco Valdo M.I., est un concept suranné et ne saurait s’appliquer en Zinovie où on a depuis longtemps aboli tout ce vocabulaire et ces idées à consonances anciennes. Donc, il n’y a pas à tortiller, c’est ainsi que ça va en Zinovie. Maintenant, la dernière strophe – la quatrième – est d’une autre teneur. Elle tente d’élucider sur quel substrat social et en quelque sorte, psycho-social repose cette pyramide de dirigeants qui va du plus petit chef au plus grand jusqu’au guide tout puissant. Et on découvre là, en action souterraine, le même moteur : l’ambition. Cette même ambition à la base de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les puissants (petits et grands) font aux pauvres et aux gens afin d’assurer leurs pouvoirs, d’étendre leurs privilèges, de renforcer leur domination et surtout, de se faire voir, se faire admirer, se faire obéir, affirmer leur puissance et satisfaire leurs envies.
Ah, dit Lucien l’âne, l’ambition et ses sœurs, l’avidité et l’arrogance sont les plaies de l’humanité et elles la rongent depuis tant de temps. Il faudra bien arriver à les extirper du cœur des gens et de celui de la société. Alors, maintenant, tissons le linceul de ce vieux monde riche, dominateur, impudent et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Titre de la rédaction : « L’Avenir ».
En Zinovie, on veut abolir
Les troubles de la civilisation,
Asseoir et conforter la révolution.
La fille écrit : « L’avenir, n’a rien de bon.
Mes parents n’ont pas de piston.
Ainsi, assurément, ça va mal finir,
C’est évident, je ne peux réussir ;
Je ne suis pas membre de l’Union,
Sur la liste, ils ont pointé mon nom.
Accusation : elle a vilipendé, calomnié
Odieusement, notre merveilleuse société.
Oui, dit la fille, quelle belle société ?
Légalement, je devrais aller là-bas
À l’école, tout à côté de chez moi ;
Mais on m’interdit d’y entrer
Et y va ce gars-là, fils à papa.
– Moi, je ne lui en veux pas, –
Chez lui, il a une chambre et un bureau.
Nous, on vit à quatre dans un boyau.
Voyez les plages en bord de mer.
Il en est de deux sortes où prendre l’air :
Les laids espaces encombrés de milliers de gens
Et les vides étendues dorées réservées aux dirigeants.
Tout le monde à partir de ce moment
S’écarte d’elle précautionneusement.
Elle n’est pas en bonne santé,
Elle est souffrante, il faut la soigner,
En un bel ensemble, collectivement,
Écrivent les professeurs et les étudiants.
Discrètement, on force ses parents
À souhaiter – pour son bien – son internement.
À l’école, on promet son retour
En fin d’année, pour le concours.
Aux examens, on ne la vit pas ;
Jamais, elle ne passa son baccalauréat.
À quoi rêvent nombre de gens ?
Au spectacle de l’existence,
À leur valeur, à leur importance,
À occuper un siège de président,
Être à la tribune, recevoir une ovation,
Passer dans la presse, paraître à la télévision,
Faire des voyages, faire des rencontres,
Recevoir des récompenses, cumuler les titres,
Obtenir des grades, rayonner de gloire,
Participer au spectacle de l’histoire.
C’est l’ambition des braves gens,
Mais c’est le privilège des dirigeants.