jeudi 14 janvier 2016

LE ROI DE FRANCE

LE ROI DE FRANCE

Version française – LE ROI DE FRANCE – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson sefardite en Judeo-espagnol - El rei de Fransia – anonyme – circa Xième siècle
d’après la version italienne de Riccardo Venturi.
Provenance attestée : Smyrne (Turquie), XVIème siècle


Smyrne vers 1500

Il doit être, je pense, assez connu maintenant que, de temps en temps, l’ici présent a besoin de quelque « retour » dans le temps, et même fort en arrière. Avec l’espoir d’être accompagné aussi par celui qui éventuellement lit et écoute les délibérément très inactuelles pages du genre, ce soir je voudrais vous emmener dans l’Espagne sefardite du onzième ou douzième siècle, époque à laquelle sans doute ce chant doit trouver son origine. Un chant que, si possible, je vous conseillerais d’écouter dans le noir, ou les yeux fermés ; il parle d’un rêve. Le beau rêve d’une très jeune fille, peut-être encore une enfant, fille d’un fabuleux roi de France, qui brode, et qui ne veut pas être réveillée par sa mère. Sa mère, cependant, le lui interprète : en extrême synthèse, le sujet de cette ancienne composition en Juif-espagnol, langue qui à l’époque correspondait à l’espagnol commun (avec ses évidents judaïsmes) mais qui, avec l’expulsion à l’époque de la reine Isabelle (le 12 octobre 1492, le jour-même de la « découverte de l’Amérique » par Colomb), s’en alla très loin, sur les rivages orientaux, pour y rester cristallisée ; de sorte que les juifs sefarades, peu nombreux, restés dans cette région parlent encore l’espagnol d’il y a huit siècles. El rei de Fransia (LE ROI DE FRANCE) est réapparu au seizième siècle environ, dans des canzoniers écrits en alphabet hébreu et arabe, provenant de la ville de Smyrne. Et il fait partie de la tradition musicale de la ville de Smyrne ; on dit qu’il fut chanté en grec. Alors qu’il était déjà tout un mélange de langues, d’exodes, de peuples. Au fond, j’aurais été tenté de ne pas mettre ce chant parmi les « Extras », comme tout ce qui provient de n’importe quelle diaspora de n’importe quel temps : fils d’exils, de chasses, de violences, de traditions et de chansons qui suivaient et suivent les peuples éradiqués. Et ainsi, pendant qu’une reine très catholique chassait les Juifs d’Espagne, ceux-ci emportaient la chanson de rêve de bonheur et de joie de la fille d’un roi. [RV]


LE ROI DE FRANCE

Le roi de France
Avait trois filles
Une travaillait
L’autre cousait.

La plus jeune
Brodait
Et de travailler, travailler
Vint le sommeil.

Sa mère qui la vit
Voulut la réveiller :
« Ne me réveillez pas, mère,
Non vous ne me réveillerez pas.


Je faisais un rêve
De joie et de bien-être. »
« Vous faisiez un rêve,
Et je vais vous le traduire. »

« J’étais sortie à la porte,
Je vis la lune pleine,
Je me suis mise à la fenêtre,
Je vis Vénus l’étoile.

J’étais allée au puits
Je vis un pilier d’or
Avec trois petits oiseaux
Qui becquetaient l’or. »

« La lune pleine
Est ta belle-mère,
Vénus l’étoile
Est ta belle-sœur.


Les trois petits oiseaux
Sont tes petits beaux-frères,
Et le pilier d’or
Est le fils du roi,
Ton fiancé. »