DU SOUFRE AU CHARBON
Version
française – DU SOUFRE
AU CHARBON – Marco
Valdo M.I. – 2019
Chanson
italienne – Dallo
Zolfo Al Carbone – Giacomo
Lariccia – 2014
Les
mineurs qui ont émigré en Belgique étaient pour la plupart des
mineurs en Italie. Une
bonne part
(25%) étaient des soufriers
(ouvriers des mines de soufre)
siciliens.
Dialogue
Maïeutique
C’est
exact, dit Marco Valdo M.I., mais j’ajouterai cependant ceci :
une autre grande part de ces mineurs italiens étaient les mineurs de
charbon des mines sardes, concentrés autour de Carbonia et Iglesias
durant l’époque de l’autarcie fasciste ; paradoxalement,
une bonne part d’entre eux étaient déjà des émigrés de
l’intérieur, venus des autres régions d’Italie. Mais
évidemment, il y avait tous les autres exilés d’après-guerre,
qui s’exilaient ou qu’on exilait d’Italie pour les mêmes
raisons : en gros, pour certains, la misère d’un pays ruiné
par 20 ans de fantasme d’Impero ; les zones rurales ne
pouvaient plus porter leurs populations et l’industrie était en
pleine déconfiture et en réorganisation après les destructions de
la guerre. Pour d’autres émigrants, ce qui les avait poussés à
l’exil, c’était l’ostracisme politique – ainsi, dans les
mines belges, au fond des galeries, les fascistes et les communistes,
les miliciens et les partisans se retrouvaient côte à côte face au
charbon et au grisou.
Sur
ce sujet, Marco Valdo M.I., j’en suis sûr, tu pourrais épiloguer
longuement. Pour
preuve, ta chanson sur les mines de soufre de Sicile : « Néron
le Sicilien ».
En
effet, Lucien l’âne mon ami, je connais assez bien cette
émigration et ses enfants et ses petits-enfants et même, à
présent, ses arrières-petits-enfants qui de fait, ne sont jamais
rentrés au Pays – un endroit mythique où le retour est pour la
plus grande part impossible ; un rêve dans lequel il est
impossible de se retrouver. Tout comme la carte n’est pas le
territoire, le rêve n’est pas la réalité. Loin de là. Quand ils
reviennent, ils reviennent dans un autre temps, au milieu d’autres
gens, dans une autre Italie qui n’a que faire de ces fantômes d’un
autre temps. Dans cette Italie – disons de maintenant – ces gens
sont en fait des migrants. Cela dit, par exemple, c’est pareil pour
les émigrés portugais ou grecs ou espagnols ou tous ceux d’Europe
centrale ou orientale ou des émigrés turcs, africains ou
asiatiques. Et ce qui est vrai pour l’exil vers l’Europe, est
évidemment aussi exact pour l’exil vers les autres terres d’exil
et elles sont nombreuses. Avec en plus, une sorte de jeu de vases
communicants. Les vides créés par l’exil se remplissent
d’immigrants, venus de terres lointaines et d’ailleurs encore
plus désolants. C’est normal ; on fuit la misère partout,
sauf que la misère est un phénomène relatif. La misère d’ici
est vue de là-bas comme un pays de Cocagne. Sans oublier, pour en
revenir aux mines et mineurs en Belgique qu’elles ont commencé par
vider les campagnes belges – en Wallonie d’abord, près des
charbonnages et des mines de fer et de la sidérurgie ; puis,
les campagnes flamandes. À la longue, les populations migrantes se
sont installées – un simple coup d’œil aux noms qui
apparaissent sur les registres d’état-civil permet de retracer
cette lente migration ou le nom des commerçants le long des rues ou
ceux des enfants dans les écoles ou ceux des médecins qui nous
soignent.
Et
puis, dit Lucien l’âne, moi qui voyage depuis tant de temps en
tant et tant de lieux, je peux attester que c’est un long et lent
phénomène multipolaire et très hétérogène. Pour fixer les
idées, il suffit de rappeler que les Lombards sont venus d’ailleurs
et qu’on ne sait trop d’où venaient ces Étrusques qui ont
peuplé la Toscane. Et, m’est avis, que ces mouvements incessants
ne sont pas près de finir, même avec des barrières maritimes.
Pour
preuve, ajoute Marco Valdo M.I., les Amériques et l’Australie sont
pour une grande part (si l’on excepte le solde après massacre des
« indigènes » – Amérindiens) peuplées de migrants
qui ont oublié qu’ils le sont et qui font à autrui ce qu’ils
n’auraient pas aimé qu’on leur fasse ou que l’on a peut-être
fait à leurs ancêtres. Mais ce n’est pas une raison pour infliger
à d’autres des discriminations semblables.
On
aurait pu s’attendre, dit Lucien l’âne, que les migrants d’hier
accueillent à bras ouverts et avec joie les migrants d’aujourd’hui.
« Marin, ne tire pas sur un autre marin », chantait Jean
Ferrat (Potemkine):
« Tu
ne tireras pas sur qui souffre et se plaint
… Marin, ne tire pas sur un autre marin »
… Marin, ne tire pas sur un autre marin »
Sans
doute, ont-ils oublié, la misère de laquelle ils ont fui ;
mais la misère, Lucien l’âne mon ami, n’est
pas
la pauvreté avec
laquelle on peut vivre et même souvent, mieux qu’avec la richesse.
La misère et le souvenir enfoui de cette ancienne misère, la gêne
d’avoir aussi été miséreux, fait perdre le sens à certains ;
on
dit que la misère n’est pas une bonne mère, car elle pousse
ses enfants au
départ.
Que peut-elle faire d’autre ? C’est sans doute, au
contraire, son plus grand geste d’amour. Qu’on
se le dise, il n’y a rien de honteux d’avoir été miséreux et
si on peut se réjouir d’en être échappé, c’est raison de plus
pour ne pas y repousser les autres. Là, on touche au cœur de la
Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les installés font
aux pauvres et aux migrants pour garder leurs aises, conserver leurs
privilèges, maintenir leur domination et satisfaire leurs boulimies.
Halte-là,
Marco Valdo M.I., on pourrait encore en dire tant et plus, mais il
nous faut conclure et tisser le linceul de ce vieux monde riche,
replet, obèse, xénophobe et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
La
misère avait la couleur
Des
champs où j’étais voleur ;
La
saveur et le goût de la faim
Quand
manque le travail, quand il n’y a rien ;
L’arrogance
de ces recruteurs
Qui
pour m’envoyer sous terre
Pour
un jour de travail à la soufrière,
Me
demandaient ma sœur.
On
a laissé le soleil enfermé chez lui
Et
nous sommes partis par le train de nuit.
Les
mères criaient fort dans la gare
En
agitant des mouchoirs.
On
se demande assis dans ce train.
Si
on les reverra, si un jour, on revient.
On
se demande comme est le monde, car
De
là, on n’était jamais partis bien loin.
Je
veux fuir, nous ne sommes pas des esclaves,
Laisser
le pays de ce servage.
Je
veux échapper à ce patron,
Je
suis passé du soufre au charbon.
Le
monde semble pareil sous terre,
On
y meurt de chaleur où qu’on soit ;
Dans
l’air, les nuances de la poussière
Dessinent
des monstres et puis, se noient.
Les
couleurs de la fumée sur les visages
Des
hommes sont des paysages
Et
dans la couleur des visages,
On
retrouve son village.
Aujourd’hui
encore, on creuse la terre
Pour
chercher le charbon et le diamant.
En
Chine, ça fait 20 000 morts par an ;
Chez
nous, ces morts-là indiffèrent.
Sous
ce ciel, rien n’a changé,
Les
gens dans les mines vont toujours creuser
Et
ces hommes sont mes frères
Au
visage couvert de la noire poussière
Sous
ce ciel, rien n’est changé
Et
le chanter, c’est folie
Pour
contenter la bête d’un monde affamé
D’argent
et d’énergie.
Mais
sous terre, nous sommes tous frères.
Tous
pelletant pour le même patron
Italiens,
Chinois, Espagnols, Berbères,
Et
nous qui avons
fui le soufre pour
le charbon.