jeudi 27 novembre 2014

NE JOUE PAS AVEC LES ENFANTS SALES

NE JOUE PAS AVEC LES ENFANTS SALES


Version française - NE JOUE PAS AVEC LES ENFANTS SALES – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson allemande - Spiel nicht mit den schmuddelkindern – Franz-Josef Degenhardt - 1965















NE JOUE PAS AVEC LES ENFANTS SALES, ne trouves-tu pas Marco Valdo M.I. mon ami qu'on dirait là un titre sorti tout droit de l'imagination d'Alexandre Vialatte ?




Oh que si ! Lucien l'âne mon ami, laisse-moi te dire qu'outre d'avoir deux oreilles, tu as de l'oreille… Évidemment, de l'oreille d'âne, mais d'un âne outrageusement cultivé. Car qui irait voir là un titre sorti tout droit de l'imagination d'Alexandre Vialatte ? Et ton sentiment est juste et la chose se vérifie dans toute la chanson de Degenhardt. Elle sent comme sentait La Complainte des Enfants frivoles, mais avec en plus une autre histoire, une autre dimension. Un ton commun, un autre air, en quelque sorte. J'ai d'ailleurs failli donner comme titre à la version française : « La Complainte des enfants sales ».




Ce serait un beau titre, en effet, dit Lucien l'âne. Cependant, j'imagine bien qu'il s'agit d'une histoire d'enfants, mais encore… Que dit-elle ? Car encore une fois, tu t'égares dans des considérations exotiques…




Pas tellement, comme tu vas le voir… Alors, que dit-elle… Beaucoup de choses. Elle raconte pour une part une histoire que Georges Brassens, notre Tonton Georges (dont Degenhardt se revendiquait et dont il a chanté les versions allemandes de 10 chansons qu'il avait lui-même concoctées) que Tonton Georges donc avait été chercher chez Jean Richepin : celle des enfants de bourgeois [[44602]]. Mais, si le point de départ est semblable, la chanson de Degenhardt raconte quand même tout autre chose. Il y a là une ambiance de destin sinistre ; elle tient du fait-divers et du fatum ; elle raconte la reproduction sociale et ses dérapages à l'heure de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres depuis tant de temps. Pour le reste, pour les considérations plus générales, pour les interprétations, je laisse le champ libre à l'imagination.




Laissons, laissons, tu as raison, laissons courir l'imagination et reprenons notre tâche que n'aurait pas dédaignée Franz-Josef Degenhardt, l'avocat chantant, qui dans la chasse aux chômeurs et dans la chasse aux pauvres se tient toujours du côté des pauvres. Reprenons cette tâche infinie, du moins tant qu'il y aura des riches et des richesses, qui consiste à tisser le linceul de ce vieux monde de « la ville haute », répressif, respectable, respectueux, brutal et cacochyme.




Heureusement !






Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane








« Ne joue pas avec les enfants sales,
Ne fredonne pas leurs airs.
Va donc dans la ville haute,
Fais comme tes frères »

Ainsi, parlait la mère, parlait le père, prêchait le pasteur.
Cependant, il se glissait toujours par la porte du jardin
Dans les clapiers, où on jouait au bésigue
Pour du tabac et des peaux de rat,
On zyeutait sous les jupes des filles.
Sur de vieilles caisses en bois
Des chats au soleil somnolaient.
Quand la pluie tombait,
On écoutait Englebert le benêt,
Celui qui sur un peigne en plastique,
Jouait des airs hypnotiques
Le soir à la table familiale, après le bénédicité,
Il entendait alors : « Tu sens de nouveau le clapier.
Ne joue pas avec les enfants sales,
Ne fredonne pas leurs airs.
Va donc dans la ville haute,
Fais comme tes frères »

On l'inscrivit dans une école dans la ville haute,
On lui lissa aussi ses cheveux et son parler confus.
On lui apprit à plier son échine et ses phrases.
Au lieu de ses airs touffus,
Il devait jouer du classique.
Devant de vieilles dames squelettiques,
Sous leurs cils rouges,
Une kyrielle d'enfants grelottent -
Alignés en rang par quatre,
Leurs os geignent pourris, toujours plus pourris -
Sous les drapeaux
Ils hurlent, qu'ils sont pour l'amitié.
Parfois le soir, il gagnait le clapier ;
Accroupis, les enfants sales chantaient des grossièretés.
Ne joue pas avec les enfants sales,
Ne fredonne pas leurs airs.
Va donc dans la ville haute,
Fais comme tes frères »

Par revanche, il est devenu riche. Dans la ville haute,
Il s'est construit une maison. Il prend un bain tous les matins.
Il sent comme sentent les meilleures personnes.
Il rit grassement, quand tous les rats du coin
Se jetèrent angoissés dans les ravines
Car ils l'avaient senti.
Il a détruit les clapiers
À leur place, il a construit
Des jardins pour les enfants du quartier.
Il aimait des femmes de la haute,
Les voitures rapides et la musique,
Blondes et bruyantes et moelleuses.
Son fils, le renfermé, un soir tard, est rentré
Il l'a senti, l'a frappé, il a crié : « Tu pues le clapier.
Ne joue pas avec les enfants sales,
Ne fredonne pas leurs airs.
Va donc dans la ville haute,
Fais comme tes frères »


Un jour, il manqua un virage.
On l'a sorti du tas de ferraille.
Lui plus tard par les routes
Boitait, on le vit des journées entières
Sur un peigne de plastique jouer des airs,
La peau de rat au ras du col.
Il boitait sautillant derrière des enfants,
Il voulait barrer le chemin de l'école
Et retourna autour des clapiers.
Un jour en pleine clarté
Il a ensorcelé un enfant,
Il l'a entraîné dans une étable.
On a trouvé son corps qui flottait dans la mare aux rats ;
Tout autour les enfants sales sur leur peigne fredonnaient déjà :

« Ne joue pas avec les enfants sales,
Ne fredonne pas leurs airs.
Va donc dans la ville haute,
Fais comme tes frères »